Seigneurs du ciel, les rapaces sont aussi dans notre patrimoine. Comme ils sont faciles à observer, pourquoi ne pas profiter des promenades en montagne pour se laisser charmer par le majestueux aigle royal ?
Sa majesté l’aigle royal

Magnifique bête qui aime la montagne, l’aigle royal est puissant, agile, léger malgré ses 3-4 kg (mâle) ou 5-6 kg (femelle). À la fin de l’hiver, ils se lancent dans de splendides parades. En vrais acrobates enchainant des piqués, des retournements, des vols sur le dos. Ils semblent s’amuser, s’accrochent les serres, s’offrent des proies…
Regardez-les voler ou planer avec leurs 2 mètres et plus d’envergure, les doigts (grandes plumes du bout des ailes) ouverts. Vous les différencierez aisément des lourds vautours grâce à leur vol souple. Peut-être aussi aurez-vous la chance (ils s’expriment peu) de les entendre japper (kya) ou glatir.
Une chasse de bas-vol
On peut voit un aigle assez facilement car il n’aime pas la forêt (il est trop gros pour y évoluer aisément). Il préfère chasser dans des milieux plus ouverts comme les estivas [alpages]. Son terrain de chasse est immense, d’une cinquantaine de km2. Il mange des oiseaux, des rongeurs, des lièvres, des marmottes, des renards voire un petit chevreuil. Il peut tuer une bête d’une quinzaine de kilos et transporter jusqu’à 4 ou 5 kg de viande à la fois. Pourtant il mange peu, se contentant de 250 g de viande par jour (mâle) ou 300 g (femelle). Il supporte d’ailleurs des jeûnes d’une semaine sans difficulté.
Pour chasser, il vole bas au-dessus de la prairie ou au ras d’un bois. Il repère sa proie grâce à une vue huit fois plus perçante que celle de l’homme. Ayant vu par exemple un écureuil, il pique puis, en arrivant sur lui, se redresse et ouvre ses serres dotées d’ongles jusqu’à 7 cm pour l’arracher à son arbre. Il doit être rapide car la proie à son arrivée va tenter de lui échapper, ce qu’elle réussit neuf fois sur dix.
Un seigneur peu combatif
L’aigle royal vit en couple et est d’un naturel tranquille. Si besoin, il protège son territoire en intimidant les intrépides mais attaquera rarement. Les choses changent si l’inconscient s’approche du nid. Là, l’aigle deviendra agressif et engagera le combat. D’ailleurs, les Albanais disent : Aimer la patrie comme l’aigle son nid.
Par chance, ou avec des jumelles, vous pourrez distinguer son arcade sourcilière noire qui lui donne son air féroce. C’est en fait sa « visière » qui lui protège les yeux et lui permet de ne pas être ébloui par le soleil.
L’aire de l’aigle
Son aire qui peut avoir deux mètres de diamètre et de haut, est fait de branches. En avril, naitront trois ou quatre aiglons blancs dont un seul arrivera jusqu’à l’envol, parfois deux. En effet, l’aiglon le plus fort tuera ses frères et sœurs. Sa survie n’est pas encore acquise, un seul jeune sur quatre arrivera à l’âge adulte (4 à 5 ans). Heureusement, ils vivent longtemps, vingt-cinq à trente ans.
C’est un oiseau que l’on trouve un peu partout, dont les Pyrénées, mais il est devenu rare. On ne compte même pas 80 couples aujourd’hui dans nos montagnes. Il reste encore dérangé pendant la nidification, empoisonné…
L’aigle dans la littérature gasconne
Ce splendide animal n’a pas attiré l’attention de nos ancêtres, peut-être parce qu’il n’était ni un allié ni un ennemi. Il a d’ailleurs peu de noms en gascon : agla, aguilla avec quelques variantes comme angla, aguinla, aguita. Cependant, il est quelque fois cité dans un poème, un conte, une expression…
Les eglògas de Pèir de Garròs

Dans la troisième églogue de Pey de Garros, peut-être la plus belle, Hranquina raconte son rêve. Il se termine par une belle et douce description de la paix descendue sur terre :
Man dessus man, portaua en pertreytura,
Laqla a l’œlh gay hoc sa cabaugaduro
Qui la vengoc, volen s’arrepauza
Dessus un coup de montaña pauza.
Man dessús man, portava en pertrietura,
L’agla a l’uelh gai hoc sa cabaugadura,
Qui la vengoc, volent s’arrepausar
Dessús un cop de montanha pausar.
Deux mains superposées elle portait en peinture,
L’aigle à l’œil joyeux qui lui servait de monture,
Vint, quand elle voulut se reposer
En haut d’une montagne la déposer.
Les contes et les fables
L’Aigle et le Roitelet est un conte gersois collecté par Jean-François Bladé (1827-1900), qui montre la victoire du petit malicieux contre le grand benêt.

Jules Portes (1823-1875) a traduit trois fables de La Fontaine parlant d’aigle : L’aigla e l’Escrabat [L’aigle et l’escarbot], L’aigla e lo gahús [L’aigle et la chouette], L’aigla la gata e la sanglièra [L’aigle, la laie et la chatte]. On retrouve le style imagé, loquace et proche de la nature du Gascon qui contraste avec l’austérité du récit du fabuliste français.
U cop l’aiglo qu’abê soun nid encraouistad
A’t soum, entre dus rams, d’u bieil cassou curad,
Pendent que dins sa tuto, aou bèt pè, la sanglièro
Abê fourmat lous sue ‘n u pailhad de hounguèro.
N’ey pàs tout : aou mème arbre, en â caous, mey en sus,
U gato abê gatouat encor’ entre las dûs.
Un còp l’aigla qu’avè son nid encrauistat
Ath som, entre dus rams, d’un vielh casso curat,
Pendent que dins sa tuta, au bèth pè, la sanglièra
Avè format lo sué en un palhat de honguèra.
N’ei pas tot : au mèma arbre, en a cauç, mei en sus,
Ua gata avè gatoat encor’ entre las dus.
Une fois l’aigle avait son nid accroché
Au somment, entre deux branches d’un vieux chêne creux,
Tandis que dans sa bauge, au pied, la laie
avait formé le sien sur un tas de fougères.
Ce n’est pas tout : au même arbre, sur le tronc au-dessus,
Une chatte avait mis bas entre les deux
La Fontaine en deux vers dit la même chose :
L’Aigle avait ses Petits au haut d’un arbre creux,
La Laie au pied, la Chatte entre les deux ;
Les expressions
Les Gascons diront « crier comme un aigle » quand les Français préfèrent « crier comme un putois ».
La vue extraordinaire de l’aigle a été reconnue un peu par tous. Ainsi Edmond Rostand décrit les cadets de Gascogne dans son Cyrano de Bergerac :

Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups,
Fendant la canaille qui grogne,
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Ils vont, – coiffés d’un vieux vigogne
Dont la plume cache les trous ! –
Et même s’il n’est pas Gascon, nous pouvons terminer avec cette belle phrase du poète surréaliste parisien Robert Desnos (1900-1945), publiée dans Rrose Sélavy, 1922 : Le temps est un aigle agile dans un temple.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Ausèths, Francis Beigbeder,
La migration des rapaces dans les Pyrénées,
Eglògas, Pèir de Garròs
Les contes de Gascogne, Jean-François Bladé,
Fablos caousidos de Lafountaino, Jules Portes
merci vos articles sont passionnants!!!et instructifs