Au printemps et à l’automne, la montagne semble bruler. C’est la saison des feux pastoraux, cremadas ou uscladas en gascon, pour l’entretien des pâturages. Cette pratique ancestrale oppose le monde rural et les défenseurs de la nature. Peut-être abus et ignorance ne favorisent pas le dialogue…
Une pratique ancestrale d’entretien de la montagne
L’écobuage se définit comme le défrichement avec brulis de la végétation en vue d’une mise en culture temporaire.
Cette pratique est aujourd’hui abandonnée en plaine. En fait, jusque dans les années 1960, on a l’habitude de bruler les chaumes pour fertiliser le sol. Puis, la généralisation de la mécanisation de l’agriculture et l’apport des engrais contribuent à sa disparition.
Cependant, elle est toujours employée en montagne : l’écobuage reste la méthode d’entretien des pâturages en terrain difficilement accessible aux engins agricoles. Tout en fertilisant le sol, il permet d’éliminer les résidus végétaux et les broussailles qui gênent la pousse des plantes herbacées au printemps. Et il permet de fournir des pâturages aux troupeaux.
Ainsi, en haute montagne, la croissance de la végétation étant lente, le brulage se fait tous les 7 à 10 ans sur une même parcelle. En basse montagne, la croissance des ajoncs, genévriers et genêts est plus rapide, il se fait tous les 2 ou 3 ans.
L’évolution de la pratique des feux pastoraux

L’exode rural, l’abandon des terres et la diminution des troupeaux ont favorisé la pousse des friches. Alors, les feux pastoraux se sont espacés et couvrent de plus grandes surfaces concentrées dans les endroits les plus facilement accessibles. Mais le manque de main d’œuvre provoque la baisse du savoir-faire ancestral.
De plus, les pâturages sont descendus sur des zones anciennement cultivées, plus proches des zones habitées où la végétation est plus dense. Ainsi, les feux sont plus importants et concernent parfois des versants entiers de montagne. Par conséquent, les dégâts peuvent être importants sur la faune, les lignes électriques ou les habitations.
De plus, ces mêmes espaces concentrent les projets de développement économiques et touristiques, ce qui provoque inévitablement des conflits d’usage et la remise en cause des faux pastoraux.
Que reproche-t-on aux feux pastoraux ?

Ses détracteurs reprochent aux feux pastoraux de gêner la protection du gibier en gardant des espaces ouverts, de détruire la faune incapable de fuir, comme les mollusques ou les larves, d’entrainer une diminution de la diversité florale, d’être une source de pollution de l’air dans certaines conditions par l’émission de fines particules.
Toutefois, les recherches semblent montrer que les feux pastoraux n’ont pratiquement aucun effet de dégradation sur la composition végétale. Les mêmes espèces se retrouvent avant et après, seules les proportions changent au bénéfice des plantes herbacées.
De plus, le brulage ne concerne que la partie aérienne des plantes. Il a peu d’impact sur les racines et sur les graines enfouies. En revanche, il permet la réouverture de milieux qui contribuent à la biodiversité de nos montagnes.
Détracteurs et défenseurs s’acharnent. Tout comme l’ours, le feu est un révélateur des problèmes d’aménagement de l’espace en montagne : enfrichement des milieux, entretien des espaces pastoraux ou paysagers, choix touristiques, écologiques ou forestiers, etc.
Des catastrophes qui provoquent une prise de conscience
La sécheresse de l’hiver 1988-1989 provoque d’innombrables incendies et des dégâts importants. C’est le point de départ d’une prise de conscience qui conduit à la création des commissions locales d’écobuage dont le canton d’Argelès-Gazost sera le précurseur.

De plus, le 10 février 2000, huit randonneurs sont piégés par un incendie sur le GR 10 dans les montagnes d’Estérançuby : cinq sont morts, deux gravement brulés, un seul rescapé. Ce drame accélère le processus de concertation entre les parties prenantes à la montagne.
Pourtant, des agriculteurs continuent leur pratique plus ou moins maitrisée. En février 2002, dans un contexte de déficit pluviométrique, de sécheresse hivernale, de températures élevées et d’un fort vent du sud, une vague d’incendie touche les montagnes. Excepté dans les Hautes-Pyrénées où les commissions locales d’écobuage fonctionnent, les feux dégénèrent presque partout : des forêts brulent, plus de 5 000 hectares dans le seul pays basque, les canadairs interviennent.
Cet épisode douloureux accentue la gestion des feux pastoraux au niveau départemental. Cela n’empêche pas de nouveaux feux incontrôlés comme celui qui a ravagé la montagne de la Rhune en février 2021.
La réhabilitation des feux pastoraux
Longtemps accusés de dégrader les pâturages, les feux pastoraux sont désormais au cœur des enjeux de l’aménagement de l’espace pastoral et forestier. Après avoir cherché à les interdire, on les reconnait comme outil d’aménagement de l’espace et la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 le réhabilite en tant que technique de prévention des incendies de forêt.
La loi sur la mise en valeur pastorale de la montagne de 1972 crée les Associations Foncières Pastorales et les Groupements pastoraux, qui réorganisent l’élevage. La loi pour le développement de la montagne de 1985 conduit à l’engagement des collectivités locales avec la création des Commissariats de Massif. L’Union Européenne met en place des aides pour la gestion de l’espace et de l’environnement. Chaque département met en place des organismes de développement pastoral.
S’appuyant sur les dispositions du Code forestier, des arrêtés préfectoraux réglementent la pratique des feux pastoraux.
Les commissions locales d’écobuage, instances de concertation et de régulation

Le code de l’environnement interdit le brulage des végétaux en plein air. Ils doivent être apportés en déchetterie. Les feux pastoraux constituent une exception notable à la réglementation.
Pour faciliter les feux pastoraux dans des conditions de sécurité améliorées, chaque département crée des commissions locales d’écobuage. Elles réunissent les collectivités, les services d’incendie et de secours, les éleveurs, les chasseurs, les forestiers, les gestionnaires d’espaces naturels, les naturalistes, les forces de l’ordre, etc. Ce sont des instances de concertation qui donnent un avis sur les chantiers déclarés et permettent leur organisation.
Les feux pastoraux sont autorisés seulement du 1er novembre au 30 avril de l’année suivante. Des arrêtés préfectoraux peuvent réduire cette période en cas d’épisodes de pollution de l’air.
Préalablement à tout chantier, le propriétaire doit en faire la déclaration à la mairie qui prévient les pompiers, les gendarmes, les communes environnantes et les riverains situés à moins de 200 mètres du brûlage. Une signalisation particulière doit être installée sur les sentiers de randonnée passant à proximité pour avertir les promeneurs éventuels.
Le propriétaire doit rester sur place et surveiller le feu jusqu’à sa complète extinction. En cas de manquement, les sanctions peuvent aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et une lourde amende.
Serge Clos-Versaille
écrit en orthographe nouvelle

Références
« Quinze années de gestion des feux pastoraux dans les Pyrénées : du blocage à la concertation », Jean-Paul Métalié et Johana Faerber, Sud-Ouest Européen, n° 16, p 37-51, Toulouse, 2003.
« Le feu pastoral en pays basque », Les cahiers techniques de Euskal Herriko Laborantza Ganbara, 5 mai 2019