Quand planent les vautours
Plusieurs variétés de vautours, petits et grands, planent dans les cieux de nos montagnes. Des oiseaux de mauvaise réputation. Que diriez-vous de mieux les connaitre et de faire une randonnée dans les Pyrénées pour les admirer ?
Des vautours dans les Pyrénées
S’il nous parait naturel, aujourd’hui, de voir des vautours dans les Pyrénées, ces magnifiques planeurs avaient pourtant pratiquement disparu dans les années 1920 à 1950. Leur allure, leur présence en groupe autour des cadavres et leur mauvaise réputation de charognard les avaient rendu si impopulaires qu’on les empoisonna en masse.
Parmi nos vueitres, le plus commun est surement le vautour fauve. Très présent dans les Pyrénées, il est moins installé sur le sol français. Le plus élégant est probablement le gypaète barbu. Enfin le plus petit est le percnoptère d’Egypte.
La maria bèra ou le vautour fauve
Appelé généralement en gascon par le mot générique vutre, votre, voire, vueitre , voltre, voter [vautour], il s’appelle arrian, arrianglo, trango dans la vallée de Luchon et le val d’Aran. Dans le Lavedan, le vautour fauve prend le nom sympathique de maria bèra [belle marie, où belle laisse entendre que la bête profite bien, a de belles proportions].
Le gyps fulvus (en latin) est un oiseau lourd de 2,40 m à 2,80 m d’envergure qui se délecte des animaux morts. Champion de la collaboration, Il prospecte le terrain en groupe. Une fois le cadavre localisé, lo voltre descend rapidement en spirales. Ses voisins comprennent le message et le rejoignent bien vite. Cet attroupement de panamòrts [vole-morts litt., croquemorts] peut être assez impressionnant.
On le reconnait à son vol pesant, sa courte queue carrée et sa petite tête blanche rentrée dans sa collerette blanche à rousse. De plus près, on pourra voir son ventre fauve et ses ailes sombres. On le reconnait aussi à sa sociabilité. Il chasse et il dort avec ses copains. Les fientes sur les falaises permettent de localiser les dortoirs. Peut-être aussi, l’entendrez-vous croasser ou même siffler ?
Lo cap arroi ou le gypaète barbu
Le gypaetus barbatus (en latin) est un magnifique animal de 2,70 à 2, 80 m d’envergure, donc à peu près comme le vautour fauve. À cause de ses ailes étroites, il ne ressemble pas vraiment à un vautour, plutôt à un faucon géant. Sa queue sombre forme un grand losange. Son ventre est d’un orange flamboyant en liberté, alors qu’il reste blanc en captivité ! Cet orange se retrouve aussi autour de son cou alors que son œil est souligné d’un épais sourcil noir qui finit comme une barbe sous le bec. Michel Camélat évoque dans Belina : la sanguinouse courade dou butre / la sanguinosa corada deu vutre [le sanglant collier du vautour]
Ce solitaire se tient éloigné des lieux d’agitation, plutôt à proximité des pierriers, et est plus difficile à voir et même à entendre car c’est un taiseux.
Comme les autres vautours, le cap arroi est un charognard mais c’est lui qui intervient en dernier sur le cadavre, car il mange les tendons, les ligaments, les os et leur moelle. Avec un gosier élastique et un estomac solide, il avale les petits os, jusqu’à 20 cm de long et 3 cm de diamètre. Il casse les gros os avant de les ingérer. Les Espagnols l’appellent d’ailleurs le quebrantahuesos [le casse-os]. Pour les casser, il peut emporter l’os dans les airs et le laisser tomber sur des pierres.
La maria blanca ou le percnoptère d’Egypte
Il doit son nom à sa couleur blanche : maria blanca [marie blanche], pora blanca [poule blanche], bota dera bucata [buse de la lessive] selon les vallées.
Le neophron percnopterus (en latin) se contente d’une envergure de 1,50 m à 1,80 m. Très facile à reconnaitre par sa couleur blanche et ailes noires, sa queue blanche en forme de losange, il vit comme son gros cousin dans la montagne. Il se joint aux vautours fauves pour manger quelque carcasse mais aime bien aussi finir les restes, les détritus ou se servir dans les dépôts d’ordure.
La maria blanca est un migrateur qui passe l’hiver en Afrique où il ne dédaignera pas d’ouvrir un œuf d’autruche avec un caillou pour manger l’intérieur. Il fait partie des animaux qui savent utilise des outils.
La réputation des vautours
Le vautour a été un animal vénéré dans d’anciennes civilisations. En Egypte, la déesse vautour Nekhbet protège le pharaon et l’Egypte. Des vautours vont repérer, pour Rémus et Romulus, l’emplacement de la ville de Rome. Chez les Grecs, le vautour est, à la fois, un messager de Zeus et celui qui mange le foie de Prométhée.
Mais au XVIe siècle vont apparaitre des peintures où des vautours (et des corbeaux) attendent leur proie à côté d’un gibet. Et de bonne augure, le vautour devient un oiseau de mauvaise augure.
Les dessins animés reprendront cette image. Et nos civilisations, plus urbaines et plus industrielles, en s’éloignant de la Nature, le discréditent.
Docteur Vautour
Si l’homme se charge de recycler et traiter ses déchets, la Nature a tout un système de nettoyeurs qui font la même chose. Les vautours, les corbeaux, les chiens errants, les rats entre autres se chargent d’éliminer les cadavres. Malheureusement, les chiens ou les rats par exemple, étant au contact de l’homme, peuvent aussi lui transmettre des maladies : peste, rage…
Le vautour, lui, est un équarrisseur… bienveillant ! En effet, en nettoyant les cadavres, surtout dans des endroits peu accessibles pour l’homme, il évite la propagation de maladies aux autres animaux et, par conséquence, à l’être humain. Une collaboration gagnante ! Eñaut Harispuru, accompagnateur en montagne, précise : L’avantage du vautour, c’est qu’il a un estomac très acide, qui permet d’aseptiser ou de supprimer tous les virus. (La Dépêche, 2017)
Une montagne sans vautour ?
Dans Biological Conservation, déjà en 2016, deux chercheurs américains attirent l’attention sur la disparition extrêmement rapide des vautours dans le monde. Ainsi, le percnoptère d’Egypte est menacé d’extinction au niveau mondial. Dans les Pyrénées, on n’en compte plus qu’une vingtaine de couples. Le gypaète barbu ne compterait plus qu’une quarantaine de couples. Et le vautour fauve dans les 500 couples côté nord des Pyrénées.
Les causes en sont la disparition des zones d’équarrissage naturel en Espagne et en France et la diminution du pastoralisme (appauvrissement de leur ressource alimentaire), la destruction de leur habitat, le dérangement par les randonneurs durant la couvaison, et l’empoisonnement en particulier par des cadavres de bêtes domestiques traités par des produits vétérinaires dangereux comme l’anti-inflammatoire, le diclofénac.
La mobilisation pour les vautours
Les deux frères Michel et Jean-François Terrasse font leur thèse en 1973 sur le vautour fauve. Ils comptent environ 60 couples dans les Pyrénées. Ils vont attirer l’attention sur cet oiseau et œuvrer pour lui, créant une association, le Fonds d’Intervention pour les Rapaces.
L’ONU a produit en 2019 un gros rapport montrant que nous débutons la sixième extinction de masse (la cinquième est l’extinction des dinosaures). Un million d’espèces sont menacées d’extinction. Sa particularité est d’être générée par l’homme. Mais l’homme peut agir et arrêter le phénomène.
Le Vautour fauve, ses œufs, ses nids sont protégés au niveau national depuis juillet 1976 et par l’arrêté du 29 octobre 2009. Aujourd’hui, le rôle essentiel de ce nécrophage est mieux compris et plusieurs associations s’en préoccupent. Leur nombre a déjà augmenté (dix fois plus qu’au début des années 70).
Anne-Pierre Darrées
écrit en nouvelle orthographe, de 1990.
Références
Ausèths, Francis Beigbeder, 1986
vautour percnoptère, Parc National des Pyrénées
oiseaux mal aimés
Vautours en danger : pourquoi l’homme devrait s’en soucier, Félix Gouty, 2016
Vautour fauve et pastoralisme, LPO
Biodiversité, sixième extinction de masse, ONU, 6 mai 2019