1

Constance de Rabastens

Constance de Rabastens est une des premières prophétesses françaises. Elle n’est pas gasconne mais elle est la sibylle de Gaston dit Febus.

Constance de Rabastens fréquente le Couvent des Frères Mineurs de Rabastens, aujourd'hui maison de retraite
Le Couvent des Frères Mineurs de Rabastens, aujourd’hui maison de retraite

Constance nait à Rabastens, à 29 km de Toulouse en allant vers Albi, au XIVe siècle, probablement vers 1340. C’est, pense-t-on, la fille d’un bourgeois. Elle déclare ne pas savoir lire et elle a peu de connaissances. Elle se marie, a une fille et un fils, Amangau, qui deviendra moine.

À la mort de son mari, une voix lui annonce qu’elle mourra moniale. Aussi, elle fréquente l’église du village tous les jours ainsi que le couvent des Frères mineurs de Rabastens.

Jeanne d'Arc dans un registre du Parlement de Paris par le greffier Clément de Fauquembergue, Paris, Archives nationales, 10 mai 1429.
Jeanne d’Arc (1412-1431) dans un registre du Parlement de Paris, 10 mai 1429.

On a recensé une soixantaine de visions ou révélations. Elles s’étendent sur une période de trois années, de 1384 à 1386. Elle est ainsi une des premières prophétesses françaises avec la bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414), Marie Robine appelée aussi Marie la Gasque (Gasque pour Gasconne, ?-1399), et avant la très connue Jeanne d’Arc (1412-1431).

Après ces années de prophétie, on perd sa trace.

Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, natif aussi de Rabastens en Albigeois, lui consacre une monographie en 1984.

Un courant de prophétesses

Sainte Brigitte dans l'église de Berg bei Neumarkt in der Oberpfalz
Sainte Brigitte dans l’église de Berg bei Neumarkt in der Oberpfalz

Avec Brigitte de Suède (1303-1373) débute un courant de prophétesses et de visionnaires.  Leurs visions sont souvent politiques et religieuses. Et si, dans le passé, les femmes mystiques sont surtout des dévotes, elles sont au XIVe siècle des femmes de bonne bourgeoisie peu instruites. En fait, la valorisation de ces personnes passe un message : les gens simples peuvent accéder à un savoir d’origine divine qui déborde ainsi des seuls lettrés et des puissants.

Ces nouvelles mystiques transmettent des paroles révélées, parfois indirectes ou allusives, sur les succès ou échecs des seigneurs de l’époque, sur l’avenir du pape d’Avignon ou de celui de Rome.

Les visions, ou plus exactement les paroles entendues, se traduisent souvent par des manifestations physiques. Constance parle de douleur au bras.

Ainsi, par exemple, le dimanche 29 juin 1386, pendant la grand-messe, Constance se redresse brusquement de sa génuflexion, “sa tête rejetée violemment en arrière”, les yeux “hagards semblent fascinés par les peintures de la voute, par ce grand Christ en Majesté, qui parait lui aussi la regarder intensément”. Elle a le “visage livide”, les “lèvres complètement décolorées qui remuent à peine, laissant passer une espèce de râle imperceptible”. Et elle se met à parler avec un quelqu’un que personne ne voit :“ Oui, je serai ta flèche pour transpercer le cœur des trompeurs… je suis ta flèche, Seigneur !” (Ch.55 p 196)

Constance de Rabastens et les ennuis avec l’Église

Les révélations de Constance de Rabastens - Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei
Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei (Bibliothèque de France)

Ces extases impressionnent probablement les personnes présentes et inquiètent aussi Constance de Rabastens. Ses premières visions ont lieu pendant son sommeil, puis lorsqu’elle est en prière. Fo raubida [Elle est ravie] puis sort de son respira [ravissement] pour répondre à la voix ou pour dialoguer avec elle.

Dès 1384, elle s’en ouvre à son fils alors novice au prieuré de Notre-Dame de la Daurade. Celui-ci en parle à son abbé, qui en parle à l’archevêque qui lui envoie… l’inquisiteur de la dépravation hérétique de Gascogne et de Languedoc, Hugues de Verdun. On ne plaisante pas avec la parole divine !

Et Constance se retrouve en prison jusqu’au procès. Pourtant, de façon étonnante, elle est vite innocentée et rentre à Rabastens. Elle rapporte une vision d’un ange menaçant l’inquisiteur et disant : « C’est grand miracle qu’une femme pécheresse, telle que tu es, leur déclare les Saintes Écritures, alors que tu ne les as jamais apprises. »

Son confesseur, Raimon de Sabanac, probablement le jutge dels appels de Toloza, après avoir pesé si ces révélations sont inspirées par Dieu ou par le Diable, se décide à les mettre par écrit sur un parchemin, peut-être en occitan. Ce texte, perdu depuis, a été traduit en catalan, et c’est cette traduction, Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei, qui est conservée à la Bibliothèque Nationale : Dien los sants pares e doctors de la Sgleya que la persona vehent visions deu en tal manera esser examinada…

Jean-Pierre Hiver-Bérenguier en fait une traduction en 1985.

Les grandes prophéties

Charles VI
Charles VI

Constance de Rabastens prédit des choses diverses : de l’apocalypse à l’échec du pape d’Avignon en passant par les heurs et malheurs des princes de l’époque. Par exemple, elle annonce les infortunes de Charles roi de France contre les Anglais, la victoire des Sarrasins, ou encore la victoire de Febus. En mars 1384, elle révèle la trahison du comte d’Armagnac à l’égard de Charles, qui, pourtant, ne sera connue que deux mois plus tard.

En mai 1384, elle répète ces mots (lettre 6) : « Mais après, viendra une Grue à tête vermeille et elle le détruira comme Vespasien a détruit Pilate. Et il y aura une alliance si étroite entre le Roi de France et cette grue que le Roi lui sera en partie soumis. Et la vache sera bientôt à l’ombre de la fleur et remettra le pape authentique sur son siège.

La fleur est évidemment la fleur de Lys, donc le roi de France, et la vache le symbole de Béarn. Quant à la grue, on l’a rapprochée d’un motet de l’époque où Gaston est décrit la tête couronnée d’une chevelure de flamme. (Inter densas desenti maditans, manuscrit de Chantilly)

Constance de Rabastens et Febus se connaissent-ils?

Gaston Febus (Livre de la Chasse)
Gaston Febus (Livre de la Chasse)

Il n’y a, aujourd’hui, aucune preuve formelle qu’ils se soient rencontrés. Toutefois, certains éléments sont à prendre en compte.

Quelques années auparavant, des bandes de routiers (c’est-à-dire d’anciens soldats ou mercenaires sans emploi) dévastent l’Albigeois. Or, Gaston, comte de Foix-vicomte de Béarn, dit Febus, possède des domaines dans la région, comme la Vicomté de Lautrec. Aussi, le 21 juillet 1381 (deux ans avant les premières prophéties), il combat et défait des routiers dans la plaine de Couffouleux, sous les remparts même de Rabastens. Il est donc certain que Constance de Rabastens a vu Febus, ce vainqueur de belle prestance, comme il dit lui-même.

D’ailleurs, certains pensent que Constance doit à Gaston la clémence de l’inquisiteur. En effet, les révélations de l’Albigeoise sont répétées partout. Et elles sont flatteuses pour le comte. Or, Febus est respecté, influent et fin diplomate. L’image de sauveur de la France et de l’Église que lui tisse la mystique ne peut que lui servir.

Les prophéties de Constance se sont-elles réalisées?

Clément VI (Fresque de la chapelle Saint-Martial du palais des papes)
Clément VI (Fresque de la chapelle Saint-Martial du palais des papes)

Les prophéties sont des allusions que l’on peut toujours interpréter. En tous cas, Febus battra bien le comte d’Armagnac et deviendra un puissant seigneur. Mais Constance ne semble pas très au courant des manœuvres politiques. Par exemple, elle décrit Gaston du côté du pape juste, c’est-à-dire du pape de Rome. Et, effectivement, le comte de Foix, prudemment, ne prend pas position en faveur de Clément, pape d’Avignon. Toutefois, avec son sens politique, il lève une taxe en sa faveur. Et il lui demande de légitimer Yvain son fils bâtard.

Constance prédit que Febus deviendra ministre de Charles VI. Cela ne se fera pas mais il le recevra avec faste en son château de Mazères en 1390. Était-ce un premier pas ? Elle prédit aussi le 3 octobre 1384 « que le monde n’en a plus que pour sept ans et que dans sept ans le Royaume de France viendra à grands bouleversements ».  Certains y ont vu la prédiction de la mort de Febus. En effet, le comte meurt le 1er août 1391.

L’historien Noël Valois (1855-1915), écrit dans La France et le grand schisme d’Occident : « Le comte de Foix Gaston Phoebus jouait dans ces visions le rôle d’un sauveur appelé à rétablir l’autorité d’Urbain [le pape de Rome], comme aussi à prendre sur Charles VI un ascendant heureux. Par contre, il n’était pas d’anathème que la voyante ne lançât contre les Armagnacs, traîtres au roi et vendus au démon. »

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Constance de Rabastens. Mystique de Dieu et de Gaston Fébus, Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, 1985.
Une mystique. Réflexions sur Constance de Rabastens, Cahiers de Fanjeaux, Robert Cabié, 1988, pp 37-54.
La fin des temps dans le Livre des Oraisons de Gaston Fébus et les Révélations de Constance de Rabastens, Presses universitaires de Provence, Hélène Charpentier, pp 145-162.
Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes, Editions de la Sorbonne, Madeleine Jeay, pp 579-594.
les Annales du Midi de la fin du XIXe siècle où se trouvait le transcrit en catalan des Révélations de Constance de Rabastens.