Les artistes gascons à la cathédrale d’Auch
De nombreux artistes ont contribué à construire la cathédrale Sainte-Marie d’Auch. Des artistes locaux habiles et talentueux, architectes, maitres-maçons, peintres-verriers, sculpteurs, imagiers, charpentiers, menuisiers, serruriers, etc. qui font écho au renouveau littéraire gascon du XVIe siècle.
La cathédrale Sainte-Marie d’Auch
Quoique commencée en 1489, c’est au XVIe siècle qu’auront lieu les grands travaux de la cathédrale d’Auch, pendant cette période artistique foisonnante qu’est la Renaissance. Le cardinal François de Clermont-Lodève (1480-1540) est nommé archevêque d’Auch. En 1507, il désigne les vicaires généraux Antoine Morilhon et Emeric Magnan pour s’occuper des travaux.
Des ouvriers locaux vont y travailler. Prosper Lafforgue (181?-1880), conservateur du Musée d’Auch en propose les noms : Guiraud de l’Arcan, peyré / peirèr [maçon], Me Alem, Arstébé, Bidau, fustés / hustèrs [charpentiers], Guiraud Baric, menusté / menustèr [menuisier], Anthony, saralhé / sarralhèr [serrurier], Arnaud-Guilhem Depun et Domingon, arsegayres / arresgaires [scieurs de long], etc.
Enfin, les capots / capòts [cagots] sont employés pour les travaux de grosse charpente, tels que l’établissement des tuiles sur les toitures.
Les verrières sont confiées à Arnaud de Moles. Elles portent les armes du cardinal François de Clermont-Lodève, archevêque d’Auch.
Meric Boldoytre, maitre d’œuvre de la cathédrale d’Auch
Meric Boldoytre est un architecte connu à Auch, il fait différents travaux comme construire la halle de Betclar (1536). Il est aussi lo mestré de lobra / lo mèstre de l’òbra de la cathédrale d’Auch. Le fonctionnement à cette époque est différent d’aujourd’hui. Les ouvriers viennent travailler souvent à la journée et ce sont les magistrats municipaux ou les fabriciens des paroisses qui assurent la collecte des fonds, les achats de matière première et des outils, le paiement des ouvriers ; ils en tiennent registre. Ils pratiquent aussi ce qu’on appelle aujourd’hui les réunions de chantier et récompensent le maitre d’œuvre en l’invitant, comme ici, à partager du pain et du vin blanc.
Item a fornit et pagat lo dit Cosso deu Poy per so que le 15 jorn deu mes de juillet anem besé lo obratgé qué Joban Damade squerré abé feyt à la porta de la Trilha, et hy menem mestre Meric Boldoytre mestre de lobra per besé lo dit obratgé, et lo combidem a bébé. Despensem en pan et bin blanc 6 sos. cy 6 sos. [item a fourni et payé le dit Cosso du Pouy pour ce que le 15 juillet nous sommes allés voir l’ouvrage que Jean Damade avait fait à la porte de la Treille, et nous y avons amené Meric Boldoytre maitre d’œuvre pour voir le dit ouvrage, et nous l’avons convié à boire. Nous avons dépensé 6 sous en pain et vin blanc.]
L’inspiration italienne dans la cathédrale d’Auch
Le cardinal de Clermont-Lodève, amoureux des arts, connait Rome. Il aurait envoyé aux artistes gascons des cartons des travaux de grands noms de la Renaissance italienne, dont l’architecte François Lazzari le Bramante (1444-1514) qui fit le plan de Saint-Pierre de Rome, pour qu’ils s’en inspirent. Certains détails d’architecture témoignent de cette influence, dont les coupoles initialement prévues.
Pour le chœur, des artistes sont venus d’Italie. Ils s’établissent dans le quartier de l’archevêque, dans une rue appelée Carreira deu porteau de Jaymes / Carrèra deu portau de Jaime [rue du Portail St-Jacques]. La rue changera de nom pour devenir rue de Florence. Après les travaux, les artistes italiens doivent se plaire à Auch car ils y restent. Certains gardent leur nom comme Dominique Cabano, Pierre Brodonno, Bernard Bardoti, François Maurosi, Jean Molio, George Labajo, Jean Barraccia, Jean Barreria, François Pazzi, Pierre Fontano, etc. D’autres le changent pour lui donner une désinence locale, comme il est alors d’usage.
Les verrières d’Arnaud de Moles
Arnaud de Moles ou plutôt Arnaut de Moles nait à Sent Sever, Chalòssa, vers 1470. Il est sculpteur, peintre imagier. Son nom est gascon, on trouve des Moles, Molès, Molas, Molêre dans tout l’Armagnac. Cet artiste utilise de fins verres colorés qu’il colle sur des verres incolores, procédé inconnu jusqu’alors, qui donne une grande profondeur aux verrières. Il propose aussi des thèmes inédits et un style nouveau. Par exemple, il peint des personnages humains, probablement en s’inspirant de certains de ses contemporains.
Commencé en 1507, il finit son travail le 25 juin 1513. Et il inscrit en gascon sur le dernier vitrail : Lo XXV de IHVN M V CENS XIII FON ACABADES LAS PRESENS BERINES EN AVNOVR DE DIEV DE NOTR [Le 25 de juin 1513 furent achevés les présents vitraux en l’honneur de Dieu et de Notre Dame].
Las tempistas pour chanter dans la cathédrale Saint-Marie d’Auch
Un recueil d’époque précise des achats : Item paguem a Johan de Manha per crompa de una torcha deu pes de duos liuras per fé luminaira, per porta la capsa [la chasse] de Monseur Saint-Orens deffora la gleiza et las tempistas lo second jorn de julhet.
Mais que sont donc les tempistas ? Prosper Lafforgue répond. D’après nos recherches, las tempistas serait des sortes de timballes qui servaient à soutenir, à donner le ton, le modèle, quand on chantait les psaumes, par exemple, et particulièrement dans les forte. Les organistes étaient chargés aussi de les blouser [jouer].
À Auch, les artistes chargés alors de jouer de ces instruments s’appelaient Pèir deu Casso et son fils : Item plus despenssem que paguem a Pei deu Casso et à son fils per toqua las auras a santa Maria.
Prosper Lafforgue rapporte un témoignage d’un vieux monsieur né en 1753. Dans les fêtes solennelles, disait-il, un des meilleurs chantres, l’abbé Ader aîné, qui possédait une belle voix de ténor, chantait soit des motets, soit des Noëls, en s’accompagnant de deux tambourins suspendus ou attachés à chacun de ses poignets. Ces tambourins ne pouvaient être autre chose, d’après nous, qu’une réduction des tempistas. Ce qui nous porte à croire qu’il y en avait de deux sortes destinées les unes à l’accompagnement de l’ensemble, et les autres, d’un modèle plus petit, à l’accompagnement des soli.
Les torches aux écussons
Une tradition consiste à fournir aux consuls et leur suite des torches pour les processions. Un écusson aux armes de la ville de la ville orne celles des consuls. Mestre Jacques est un peintre d’Auch. Il est probable qu’il ait travaillé à la construction de la cathédrale d’Auch.
En 1510, il faut donc trouver un artiste pour préparer les écussons des huit consuls. Peut-être que ce travail est trop simple pour un maitre, ou couterait trop cher par un maitre, toujours est-il que ce fut lou grendé / Lo grendèr qui fit ce travail, comme le précise la tenue des comptes : Item plus despensem que crompen hoeyt armas, et las fen fé au grendé de Méstré Jacquès que costen sinq sos dus ardits.
Lo grendèr, c’est, en Gascogne, la personne qui prépare la couleur verte. On reconnaitra le mot anglais green, ou allemand grün ou encore le mot gaulois glaz, tous trois voulant dire vert.
En conclusion
Cette période est riche pour les arts et la littérature et l’on aurait pu citer bien d’autres ouvrages. Les artistes, parce qu’ils œuvraient localement, restent souvent méconnus. Ils n’en sont pas moins méritants.
Anne-Pierre Darrées
écrit en nouvelle orthographe
Références
Recherche sur les arts et les artistes en Gascogne su seizième siècle, Prosper Lafforgue, 1868
Notice descriptive et historique de l’église Sainte Marie d’Auch, P. Sentetz, 1818