La vie sexuelle des femmes des Pyrénées

image_printImprimez la page

Si la sexualité est assez débridée au Moyen-âge, l’inégalité est flagrante. Les hommes ont tous les droits et les femmes ont obligation de virginité et de fidélité…  même si l’Église essaie de contenir aussi les hommes. Cependant, une exception : les Pyrénées.

Le statut de la femme au Moyen-âge

Rupert von Deutz parle de la vie sexuelle des femmes
Rupert von Deutz (1075-1129)

Ève est créée d’une côte d’Adam. Et elle est responsable du péché originel pour avoir donné une pomme (fruit défendu) à manger à Adam. D’ailleurs, début XIIe, le moine et théologien liégeois Rupert de Deutz rappelle qu’elle le lui a fait manger à force de l’importuner par son entêtement féminin […].

Ainsi la femme, fille d’Ève, démarre mal dans notre monde. Elle est considérée faible, portée sur la luxure et elle reste sous la domination de l’homme. En particulier, elle ne peut exercer le pouvoir – sauf s’il n’y a pas d’héritier mâle –, elle ne peut entrer dans les lieux où il y a des actions de justice, etc.

Rappelons que la femme est femme de 14 à 28 ans. Avant, c’est une fillette, après, une vieille dame. L’éducation est différente selon le genre. Chez les nobles, on entraine les garçons à faire la guerre et on instruit les filles. Ainsi, elles apprennent au moins la lecture, l’écriture et les travaux d’aiguille. Parfois, elles apprennent le latin, la médecine ou les sciences.

La virginité est une valeur. Toutefois, tout dépend de son statut social : la jeune fille noble est, par essence, plus pure que celle du peuple. Il faut dire que le droit du sang dans la noblesse et la bourgeoisie patriarcale est essentiel dans la transmission du patrimoine. En revanche, le viol des filles non nobles est très pratiqué. Aussi, en milieu rural, on s’intéresse plus à la fertilité qu’à la virginité. Dans tous les cas, la femme sera étroitement surveillée.

La vie sexuelle à l’époque médiévale

Albrecht Classen (1956- ) a écrit sur la sexualité féminine au Moyen-Age et sur la ceinture de chasteté
Albrecht Classen (1956- ), auteur de The Medieval Chastity Belt: A Myth-making Process (2008)

La vie sexuelle n’est pas un sujet tabou au Moyen-âge. D’ailleurs, il nous faut peut-être oublier quelques clichés. Par exemple, le médiéviste Albrecht Classen (1956- ) montre, après une étude détaillée, que la ceinture de chasteté n’a jamais existé. Ce serait une métaphore de la fidélité et de la pureté.

Plus tard, à partir du XVIe siècle, on trouve des illustrations montrant un mari qui installe une ceinture de chasteté à sa femme, l’amant, avec la clé, étant caché derrière le lit… Illustrations aujourd’hui considérées comme humoristiques. D’ailleurs, le British Museum qui présente de tels objets, explique : il est fort probable que la plupart des modèles conservés aient été fabriqués au XVIIIe ou au XIXe siècle comme objets de curiosité pour les personnes les plus graveleuses ou de plaisanterie pour celles de mauvais gout.

Des écrits sur la sexualité

Le Roman de la Rose parle de sexualité
Étrange cueillette dans Le Roman de la Rose via BNF ms. Français 25526 fol. 106v

Le Roman de la Rose (XIIIe siècle) illustre bien cette liberté au moyen-âge vis-à-vis de la vie sexuelle : une enluminure représente une femme faisant une cueillette étonnante !

Ou encore, El Mirall del fotre [Le Miroir du foutre], édité au XIVe siècle en Catalogne, est un manuel pour faire l’amour. Ainsi, il présente des remèdes pour améliorer les performances, des façons d’augmenter la production de sperme (masculin ou féminin), d’obtenir la jouissance des femmes et des hommes et aussi les dangers de l’excès de sexualité. L’auteur précise qu’il s’est inspiré des traités érotiques arabes et du kamasutra. Un extrait :

 

Si per ventura la minva és deguda a la congelació i a la fredor de l’esperma, curar amb coses que l’escalfen i l’esclareixen. Si la minva és deguda a la flacciditat, a la impossibilitat que té el penis d’aixecar-se, observar si ha perdut la sensibilitat. Si empetiteix, l’home pateix de flaquesa del membre i és gairebé impossible que es curi. Si la flacciditat és deguda a un defalliment de cor, l’home que pateix d’això està impossibilitat, no pot tenir erecció, i aviat mor. És aquesta mena de persones que la gent titlla d’«efeminats» perquè tenen una veu petita i femenina i pocs pèls.

[Si par hasard la diminution est due au gel et au froid du sperme, guérissez-le avec des choses qui le réchauffent et le nettoient. Si la diminution est due à la flaccidité, à l’impossibilité pour le pénis de se relever, observez s’il a perdu sa sensibilité. S’il devient émacié, l’homme souffre d’une faiblesse du membre et est presque impossible à guérir. Si la flaccidité est due à une insuffisance cardiaque, l’homme qui en souffre est incapable, ne peut pas avoir d’érection et meurt rapidement. C’est ce genre de personnes que les gens appellent « efféminées » parce qu’elles ont une petite voix féminine et peu de cheveux.]

L’exception pyrénéenne

La mécréance du sortilège de Pierre de Lancre
L’incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue…  de Pierre de Lancre (1622)

En fait, là où l’Église s’implante, elle encadre les comportements, précisant les positions acceptables, les jours interdits, condamnant les viols, etc.

Pourtant, ces exigences ne semblent pas atteindre les Pyrénées ! Ainsi, le magistrat bordelais, Pierre de Rostegui de Lancre (1553-1631) est outré des comportements dans nos montagnes. En particulier, il note que les Basques essayent les femmes plusieurs années avant de les épouser. Et, la cause lui parait évidente : le pays basque est un pays de pommes et les femmes sont portées à croquer la pomme. D’ailleurs, il précise qu’elles sont des Ève qui séduisent continuellement les fils d’Adam, vivant toutes nues en toute liberté et naïveté dans les montagnes du Pays basque… Voir aussi l’article Les siècles noirs de la sorcellerie en Gascogne.

Plus tard, le Bordelais Louis de Froidour (1625-1685), grand maitre des Eaux et Forêts, déclarera sans détour :  les Bigourdanes sont des grandes putains. De même, il notera que les Béarnais laissent un excès de liberté sexuelle […] à la jeunesse.

Ces jugements moraux restent des jugements d’hommes de culture patriarcale et inégalitaire.

Les femmes en Vasconia et la sexualité

Isaure Gratacos
Isaure Gratacos

Isaure Gratacos défend l’idée que la femme vasconne (en gros des deux côtés des Pyrénées) occupait une place égale à celle de l’homme dans la société traditionnelle.

En fait, l’historienne précise que la latinisation des vallées est très tardive et que les Vascons gardent leur coutumes. Or, les Vascons forment une société sans État et non patriarcal. Une des traductions directes est le droit d’ainesse absolue, c’est-à-dire que l’ainé·e, homme ou femme, héritait. Voir l’article Héritières et cadettes des Pyrénées.

Ainsi, la culture locale s’oppose clairement à la vision chrétienne. Par conséquent, la faute originelle n’existe pas, et la virginité n’a aucune valeur dans les Pyrénées. On est dans un traitement équitable et libre des hommes et des femmes. Et, malgré la christianisation, cela va persister jusqu’au début du XXe siècle.

Divers travaux le confirment : à Saint-Savin, les naissances prénuptiales sont très supérieures à celles des autres villages de France (enquête entre 1739 et 1789).  Environ 30 % des conceptions ont lieu avant mariage au XIXe siècle. Notons que la paternité d’un homme d’église n’est pas rare.

Les traditions de liberté sexuelle subsistent

Isaure Gratacos note que des traditions anciennes subsistent encore début XXe siècle. Par exemple, la fête de la Saint-Jean reste dans les montagnes une fête préchrétienne, celle de la fécondité et de la vie. Ainsi, elle rapporte des propos d’une Pyrénéenne : Après le feu, il y avait plus de baisers que de prières.

Elle rapporte aussi un jeu usuel nommé Quate cantons [quatre coins]. Des garçons et des filles célibataires se rencontraient et des couples disparaissaient derrière les buis.

Enfin, une autre pratique était en vigueur : la “capture” par un groupe de femmes dont des célibataires, d’un homme se déplaçant seul et ceci à des fins d’utilisation sexuelles par l’une d’entre elles. Une étrange coutume au bénéfice d’une cadette restée célibataire.

Feu de Saint-Jean
Feu de Saint-Jean

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

The Medieval Chastity Belt: A Myth-making Process, Albrecht Classen, 2008
Les siècles noirs de la sorcellerie en Gascogne, Anne-Pierre Darrées, 2018
Dans les Pyrénées, la liberté sexuelle existait plus qu’ailleurs, CQFD, Jean-Sébastien Mora,2020
À quoi ressemblait le sexe au moyen-âge ?
Les femmes au moyen-âge, Histoire pour tous, Viviane, 23 mars 2021
El mirall del fotre

image_printImprimez la page

Une réflexion sur “La vie sexuelle des femmes des Pyrénées

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *