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Les chansons historiques de Gascogne

Les troubadours écrivaient des chansons historiques, racontant des faits d’histoire. Au cours des siècles, les Gascons garderont ce gout et en feront des chansons populaires.

Les chansons historiques des troubadours

Evidemment, les troubadours ont écrit beaucoup de chansons racontant des faits historiques. Parmi les plus connues et les plus anciennes, citons la complainte sur la mort du roi Richard Cœur de Lion (1157-1199) de Gaucelm Faidit (1150?-1205?).

Extrait de 2’40 de la complainte sur la mort du roi Richard Cœur de Lion (complainte entière 11′ Troubadour Gaucelm FAIDIT, Lament for Richard I, king of England, La douleur – G.Le Vot – YouTube)

Fortz chausa es que tot lo major dan
e-l major dol, las ! q’ieu anc mais agues,
e so don dei totztemps plaigner ploran,
m’aven a dir en chantan, e retraire —
Car cel q’era de valor caps e paire, 
lo rics valens Richartz, reis dels Engles,
es mortz — Ai Dieus ! cals perd’ e cals dans es !
cant estrains motz, e cant greus ad auzir !
Ben a dur cor totz hom q’o pot sofrir…

C’est une chose fort cruelle, la plus grande douleur
et le plus grand deuil, hélas ! que j’ai jamais éprouvés
et que je dois désormais toujours déplorer en pleurant,
ce que j’ai à dire et retracer en un chant.
Car celui qui de Valeur était le chef et le père,
le puissant et vaillant Richard, roi des Anglais,
est mort. Hélas ! Dieu ! quelle perte et dommage !
quel mot étrange et qu’il est cruel à entendre !
Bien dur est le cœur de celui qui peut le supporter…

Les chansons historiques souvenirs

Chansons et danses de Gascogne de Gaston Guillaumie
Chansons et danses de Gascogne de Gaston Guillaumie

Gaston Guillaumie (1883-1961) a rassemblé certaines de ces chansons historiques de la Gascogne, ou très célèbres en Gascogne, dans son Anthologie de la littérature et du folk-lore gascons. Il n’a malheureusement consigné que leur version française. Parmi les thèmes les plus fréquents, il y a les guerres. Par exemple, la chanson de Renaud de Montauban, un des Quatre fils Aymon, était très chantée dans le nord de la Gascogne. Renaud rentre chez lui pour mourir et la chanson commence ainsi :

Quand Renaud de la guerre vint
Il tenait son ventre dans ses mains,
— Mon fils Renaud, réjouis-toi,
Ta femme est accouchée d’un roi.

Ou encore celle, conservée en vallée d’Ossau, qui parle d’un connétable envoyé en 1550 en Guyenne pour combattre les Anglais. Elle débute par :

Près des tours de Marmande,
Il y a un gentil guerrier,
Landéridette,
Il y a un gentil guerrier,
Landéridé.

Les satires et autres trufandisas

Tout aussi descriptives mais plus moqueuses sont les chansons historiques sur les guerres de religion. Par exemple, Justin Cénac-Moncaut (1814-1871) recueille Mon ami Pierre, où la belle Jeanneton attend vainement son ami Pierre, mort et enterré sous un romarin.  Toutefois, en l’examinant de plus près, les paroles sont chargées de sens. Voici le début : En revenant de Nantes, / Passant par Avignon. Nantes fait référence à l’édit de Nantes et Avignon au schisme d’Avignon. En fait, la chanson est une satire contre le catholicisme !

Plus tard, la chanson qui raconte la captivité de François 1er en Espagne après sa défaite à Pavie en 1526 connait un énorme succès. Elle peut être lue comme une simple description ou comme une moquerie.

Quand le roi partit de France / Conquérir d’autres pays / Vive la rose /
Conquérir d’autres pays, / Vive la fleur de lys. / Arrivé devant Pavie, / Les Espagnols l’ont pris.

La bataille de Pavie (1523)
La bataille de Pavie (1523)

Henri III de Navarre, futur Henri IV de France
Henri III de Navarre, futur Henri IV de France

Bien sûr, de nombreuses chansons parlent d’Henri IV, dont la savoureuse Le meunier des tours de Barbastre. Henri IV le séducteur se déguise en meunier, ramasse une rose tombée du corsage d’une paysanne et demande un baiser en salaire. La belle, ne reconnaissant pas le roi, l’éconduit.

La protestation politique

Charles de Gontaud, duc de Biron (1562-1602) - chanson historique pour son exécution
Charles de Gontaud, duc de Biron (1562-1602)

Le maréchal Charles de Gontaut, duc de Biron (1562-1602) est originaire de Saint-Blancard dans l’Astarac. Il porte une grande amitié et un fort dévouement à Henri IV. Il se montre un soldat remarquable, se couvre de gloire et, même, sauve la vie du roi. Lo noste Enric le remerciera en le nommant amiral, maréchal, gouverneur de la Bourgogne puis duc. Pourtant, en 1599, Biron complote avec le duc de Savoie contre le roi.

Il est arrêté, jugé, condamné à mort. Ces évènements déclenchent les passions et une chanson historique La mort de Biron restera populaire. Aussitôt, il est défendu de la chanter, sous les peines les plus sévères… ce qui n’impressionnera pas les Gascons.

La chanson parle de Biron sur l’échafaud qui demande à un page de dire au roi de venir voir l’exécution. Le roi vient et Biron lui rappelle qu’il lui a sauvé la vie par trois fois.

Premièrement, devant Lyon,
Secondement, dans la Lorraine,
Troisièmement, devant Paris,
Trois fois je t’ai sauvé la vie.

– Biron, tu as trop tard parlé,
J’en ai perdu la souvenance,
Si tu avais parlé plus tôt,
Moi, la vie, je t’aurais sauvée.

Nos ancêtres ne semblaient pas avoir d’illusion sur les promesses des grands de ce monde…

La dernières chansons historiques

A faut espérer q'eu jeu la finira ben tot (1789)
A faut espérer q’eu jeu la finira ben tot (1789)

Après Henri IV, les Gascons abandonnent la chanson historique. Elle renaitra à la Révolution. Elles sont souvent écrites dans un patois qui mélange le gascon et le français. Celles de la Révolution exaltent le paysan et le berger. La chanson des paysans par exemple liste dans les six premières strophes les souffrances de leur condition, puis se termine par :

De ton faix de misère,
Tu te déchargeras pourtant,
Et bientôt tous crieront :
Vive le paysan !

L’Empire

Puis, le ton change avec l’Empire. La chanson populaire n’exalte pas les guerres napoléoniennes mais exprime plutôt la lassitude des levées d’hommes, les départs, les absences, les souffrances, les deuils,  les déceptions des retours.  On retrouve ces thèmes dans Où sont-ils ?

Où sont-ils ces gentils garçons, / Qui, l’an dernier, veillaient avec nous, / Faisant cuire des marrons / Et mangeant avec nous des galettes ?
Hélas ceux qui vont en Russie / Souffleront sur leurs pauvres doigts, / Mais ceux qui vont en Italie / Cuiront leur peau au soleil.
C’est bien beau que la jeunesse / Aille ramasser son faix de lauriers ! / Ils viendront un jour à la messe, / Avec leur pompon de grenadiers.
[…]
Pierre me voulait en mariage, / L’empereur rompit le marché. / Par mon âme ce serait dommage / Qu’on me le rendit endommagé.
[…]
voyez-le ce grand Bonaparte, / Celui-ci n’a pas peur pour sa peau. / Sur le cheval du roi de Prusse, / Son bel habit de drap anglais, / Garni d’une pelisse russe, / Et doublé d’un cœur de Français, / C’est le plus grand homme de guerre / Que ‘on ait jamais couronné, / Mais il sera plus beau encore, / Quand mon Pierre sera revenu.

Les campagnes de Napoléon susciteront des chanson politiques à la gloire des soldat - Napoléon à la bataille de la Moscova
Napoléon à la bataille de la Moscova

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Corpus des troubadours, Union Académique Internationale, Institut d’Estudis Catalans
Chansons et danses de la Gascogne, Anthologie de la littérature, n°7, Gaston Guillaumie, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus