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Les régents ou arregents en Gascogne

Longtemps réservée aux élites, l’école, en France, s’est progressivement démocratisée pour devenir obligatoire, gratuite et laïque à la fin du XIXe siècle. Bien avant, en Gascogne, les écoles dirigées par des régents ou arregents étaient nombreuses et prises en charge par les communautés. C’est une particularité de la Gascogne.

Non, ce n’est pas Charlemagne qui a inventé l’école !

Allégorie de la Grammaire et son amphithéâtre d'élèves dans un manuscrit du Xe siècle
Allégorie de la Grammaire et son amphithéâtre d’élèves dans un manuscrit du Xe siècle

Depuis le capitulaire de Charlemagne du 23 mars 789, les ecclésiastiques dirigent l’enseignement. Il concerne plutôt l’élite de la société.

Au XIIe siècle apparaissent les collèges et les universités. Une des plus anciennes d’Europe est celle de Toulouse fondée en 1229 par Raymond VII. Celle de Bordeaux est créée en 1441 car, sous domination anglaise, les élèves ne pouvaient pas se rendre à Paris pour étudier.

Louis XIV publie une ordonnance, le 13 décembre 1698, pour que les parents envoient leurs enfants dans les écoles paroissiales.

Les écoles, les arregents sont nombreux en Gascogne

En Gascogne, les écoles existaient depuis longtemps sous la direction des régents ou arregents. Ce sont les communautés, qui s’occupent des écoles. Elles procurent un local, cherchent des maîtres et leur donnent des gages. Elles rendent ainsi l’instruction moins onéreuse, sinon gratuite.

Les délibérations ou livres de comptes nous apprennent qu’une école existe à Condom en 1417, à Auch en 1439, à Pontacq en 1511, à Jurançon en 1598, à Capbreton en 1612 ou à Liac (Bigorre) en 1650. Les consuls de Miradoux disent en 1672 que De tout temps, la communauté a été pourveue d’un maistre d’escolles.

Le recrutement des arregents

Les arregents sont recrutés par les communautés, en accord avec le curé du lieu car, comme nous le verrons, ils ont d’autres fonctions que de tenir l’école.

Le recrutement donne parfois lieu à des concours pour s’assurer du meilleur arregent pour la communauté. Le concours de 1692 à Pontacq comporte les épreuves suivantes :
1 – on exhibe un livre où les candidats lisent et syllabent,
2 – chacun écrit sous les yeux du corps de ville,
3 – on leur fait écrire une demy page afin de scavoir lequel entendoit mieux loctographe,
4 – on leur fait faire les quatre premières règles de l’arrimetique,
5 – on leur donne de vieux parchemins à déchiffrer.
Le curé intervient ensuite pour interroger les candidats sur le contenu du catéchisme.

Comment trouver le bon arregent

Les régents et la petite école sous les monarchie de juillet
La petite école sous les monarchie de juillet

La communauté de l’Isle Jourdain organise, elle aussi, un concours en 1781. Le procès-verbal relate que François Cuq, maître écrivain, habitant la ville de Toulouse, paroisse de la Dalbade, rue des Moulins [s’est présenté au concours et] après avoir exposé et montré un exemplaire d’écriture dont il s’est déclaré l’auteur ; que, sur cette exposition, ledit Conseil de ville, l’ayant reçu à concourir, luy auroit fait faire en sa présence plusieurs essais d’écriture, ensuitte fait lire et montré en public plusieurs règles d’arithmétique que le conseil de ville a adopté. Il sera finalement reçu.

Quelquefois, le recrutement des arregents donne lieu à des conflits comme à Capbreton en 1722. Les habitants écrivent à l’intendant de Lasseville : Il y a un an que de mauvais esprits, de concert avec le 1er jurat, destituèrent un pauvre maître d’école qui s’acquittait de son devoir depuis plusieurs années, et le remplacèrent par un marin qui n’entendait rien à l’école. Comme il faisait le commerce du vin et ne chantait pas à la messe, les habitants demandent l’autorisation de rappeler l’ancien arregent.

Les différentes fonctions des arregents en Gascogne

Les arregents cumulent plusieurs fonctions dans les petites communautés. Ils servent de secrétaires à la communauté, font les rôles des impositions et autres écritures nécessaires. Celui de Capbreton reçoit 7 livres de la communauté en 1612 pour avoir copié les privilèges du lieu. En 1727, le régent de la communauté devient aussi greffier de police pour 15 livres.

À Angresse (Landes), il est également benoît et doit sonner l’Angélus chaque jour, carillonner selon l’usage, assister le curé dans ses fonctions viatiques et balayer l’église une fois par semaine. À Capbreton, il doit menager les cloches, monter et regler l’horloge, balayer l’eglise, faire les jonchées d’usage, comme aussi de sonner les cloches lors de l’aparance des orages. Cette dernière fonction est essentielle à la communauté car on croit que le son des cloches préserve des orages et de la grêle.

Les arregents assistants du clergé

Les arregents enseignent également le catéchisme, conduisent les enfants à la messe, chantent pendant les offices et assistent le curé dans l’administration des sacrements. Ils doivent instruire les enfants selon les principaux ministères et devoirs de la religion catholique apostolique et romaine, les conduire à la messe tous les jours ouvriers, leur donner des instructions dont ils auront besoing sur ce sujet et avoir soing qu’ils assistent au service divin les dimanches et jours des fetes.

Comme aussy le regent sera tenu de repondre et chanter tous les dimanches et jours de fetes a la messe vepre processions et benedictions comme aussy aux enterrements et devoirs de mort comme etant un des principaux devoirs du regent. Jean Casterot promet aux consuls de Capbreton qu’il chantera même le jour des fettes et dimanches la messe paroisialle et les vepres, et le samedy la messe de la frérie.

L’enseignement des arregents en Gascogne

Abraham Brosse - Le maître d'école, v. 1638
Abraham Brosse – Le maître d’école, v. 1638

Les arregents doivent enseigner aux enfants soigneusement à lire, écrire, chiffrer et prier Dieu, bien évidemment avec douceur et sans les maltraiter. Il recevra indistinctement les garçons et les filles et instruira tous les enfants de lun et lautre sexe et recevra tous les enfants de la paroisse qui lui seront envoyés.

Les horaires de classe sont prévus par contrat : Il ne pourra tenir les enfants moins de 3 heures le matin et 3 heures l’après midy chaque jour ouvrier. Le plus souvent, les horaires sont fixés avec précision, scavoir aux longs jours à sept heures du matin jusqu’aux onze heures et l’après-midi une heure jusqu’à cinq heures, et aux jours courts a sept heures et demy du matin jusqu’aux onze heures et demy et l’après-midi a demy heure jusqu’à quatre heures et demy.

Le contrat définit l’enseignement dispensé par les arregents. Il les fera lire deux fois le matin et deux fois le soir. Il donnera a chacun de ceux qui ecrivent leur exemple et les corrigera chaque jour dans le defaut des lettres et de l’orthographe.  Dès qu’ils sauront lire et écrire, il les fera passer par les différents caractères. Il leur fera lire leurs écritures. Il les fera chiffrer à mesure qu’ils en seront reconnus capables. Enfin il fera 1 heure de catechisme chaque mardy et vendredy de chaque semaine de son école.

Les arregents sont rétribués par les communautés

La communauté rétribue les arregents qu’elle emploie. Les familles en donnent une part. Mais les plus pauvres ne payent rien. Ils bénéficient d’un enseignement gratuit pour leurs enfants.

La rétribution comporte une part en argent et une autre en nature. A la rétribution ordinaire peut s’ajouter pour apprendre à lire 12 sous par mois, à écrire 20 sous, et 30 sous pour l’arithmétique. À Hinx (Landes), le regent reçoit la rente des capitaux laissés par les fondateurs de l’école, plus des pères et mères de famille, 10 sous par mois pour chaque enfant a qui on montre à écrire, et 15 sous pour ceux a qui on enseigne à écrire et à chiffrer, plus la somme annuelle de 101 livres et 8 sous de la communauté.

La rétribution en nature est le plus souvent en grains. Comme à Liac en 1650, une cartère de froment ou carrou et trois souls et demy qu’il prendra pour chaque enfant ou fille qu’il enseignera en particulier. À Angresse, chaque habitant tenant ménage et ayant des bœufs en payaient annuellement une mesure ; les autres une demi mesure seulement. Ailleurs, il reçoit 12 charrettes de bois de pin ou encore deux charges de bois chaque par écolier ou l’équivalent en argent.

Les arregents bénéficient le plus souvent d’une maison avec un jardin. Ils enseignent dans une maison ou local mis à disposition, ou encore chez eux, moyennant une indemnité. Dans les petites communautés, ils enseignent dans les maisons des particuliers, à tour de rôle.

Scène de classe - Léopold Chibourg 1842
Scène de classe – Léopold Chibourg 1842

Des arregents de qualité médiocre mais des résultats probants

Les arregents n’étaient pas toujours de bonne qualité. Il suffisait parfois de bien chanter devant le curé pour avoir la place. Pey de Garros, dans sa 4e Églogue, nous fait le portrait de Mossen Duran :

Aqet garrophlard caperan
S’aperaua mossen Duran,
Et no sabé legí, ny scriue,
Ny plan parlá, ni mes plan viue,
Més damb aqo lo perpitos,
Com un gat borni despieytos,
Per enseña noste logát,
A gran dinés èra logát. 

Aqueth garroflard caperan / S’aperava Mossen Duran, / E non sabè legir, ni [e]scríver, / Ni plan parlar, ni mès plan víver, / Mès damb aquò lo perpitós, / Com un gat bòrni despieitós, / Per ensenhar nòste logat / A gran dinèrs éra logat. 

Ce coquin de chapelain / S’appelait monseigneur Duran, / Et ne savait ni lire ni écrire, / Ni bien parler, ni même bien vivre, / Mais avec cela ivrogne, / Mauvais comme un chat borgne, / Pour enseigner dans notre école, / À grand frais était logé.

Pourtant, les résultats sont probants. Selon une étude réalisée sur le département des Pyrénées-Atlantiques, le pourcentage des personnes qui savaient signer sur leur contrat de mariage était le suivant :

Hommes Femmes
De 1686 à 1690 25,49 % 2,94 %
De 1786 à 1790 71,91 % 9,19 %

En 1773, Jean Lacoste, né à Artiguelouve, en Béarn, devient arregent à Sainte-Marie-de-Gosse. Il y exerce pendant de très longues années. En effet, nous le retrouvons vers 1825, enseignant l’alphabet à un certain Isidore Salles.

Conclusion

Alphabet constitutionnel (1793) pour les régents de la Révolution
Alphabet constitutionnel (1793)

La Gascogne avait la particularité d’avoir de très nombreuses écoles prise en charge par les communautés. L’enseignement y était gratuit et même les plus pauvres y accédaient.

Les Gascons étaient bien en avance avec leurs regents et arregents. En effet, on ne créera le corps des instituteurs qu’en 1792, et l’enseignement primaire en 1795. Il deviendra gratuit en 1881 et obligatoire en 1882.

Ne résistons pas :

Vivent les vacances,
Point de pénitence,
Les cahiers au feu,
Et l’arregent au milieu !

Serge Clos-Versaille

Références

Histoire de l’éducation en France, wikipedia
Eglogas, Pey de Garros, 1567
Articles tirés des bulletins de la Société Académique des Hautes-Pyrénées, de la Société de Borda et de la Revue de Gascogne