Chaussure populaire, le sabot existe dans plusieurs pays : Flandres, Allemagne, France… Arrivé en Gascogne, le sabot prend des spécificités et alimente des légendes.
L’origine du sabot
Rappelons qu’un sabot est une chaussure taillée dans un seul morceau de bois dont la forme, en particulier le creux, épouse celle du pied.
Il semblerait qu’il soit apparu à la fin du XVe siècle, et, chez nous, un peu plus tard, début XVIe. En tous cas, il devient vite populaire. En effet, il est léger, imperméable, résistant, et permet de marcher dans des lieux humides.

D’ailleurs, en 1532, Rabelais s’en empare et parle des sabots portés par la Sibylle de Panzoust que Panurge va rencontrer pour avoir son avis sur le mariage (Tiers Livre Ch. 17): « Depuys je veidz qu’elle deschaussa un de ses esclos, (nous les nommons Sabotz) mist son davantau sus la teste, comme les presbtres mettent leur amict quand ilz voulent mësse chanter:… »
Le sabot est largement porté et ce, pendant plusieurs siècles. L’homme de lettres de Vic-Bigorre, Cyprien Dulor, un des premiers adhérents à L’escòla Gaston Febus, écrit : La coumtesso dous Bigourdâs qu’en anàuo dab escloupetos / La comtessa deus Bigordans que n’anava dab esclopetas [La comtesse des Bigourdans s’en allaient avec des esclopettes].
Le choix du bois des sabots

L’écrivain gersois Joseph de Pesquidoux (1869-1946) nous a laissé une description précise des sabots gascons dans son livre Chez Nous, Travaux et Jeux rustiques.
Il note que les sabots d’homme sont faits de bois communs, aulne ou hêtre, et les sabots de femme de bois fins, ormeau ou noyer. Et même de préciser : Le hêtre est blanc veiné de roux, l’ormeau plus gris, le noyer terre d’ombre strié de noir, l’aulne rose saumon avec des filets clairs. Peints, ils se ressemblent tous : noir ou jaune verni, égayés de fleurs, lorsqu’ils sont destinés aux femmes.
Mais comment fait-on ?
Tout d’abord, les esclopèrs [sabotiers] partent choisir leur matériau, frappent les troncs, examinent les feuillages pour s’assurer qu’ils sont bien sains. Puis, ils négocient le prix avec le propriétaire. Ils se hâtent : les arbres doivent être abattus le premier vendredi de la lune d’aout. Sa fibre s’en trouve plus serrée, et toute trempée de flamme à l’abri des vers, indique Pesquidoux.

La préparation des sabots

Lo boèr [bouvier] transporte les arbres abattus jusqu’au domicile de l’esclopèr. Puis, on les laisse s’aérer tout l’automne, achever de se durcir aux premiers grands gels […] En février, on scie les troncs en rondelles de 40 à 45 centimètres, elles-mêmes ensuite fendues en cubes.
À l’aide d’un pigassa ou picòla, les sabots sont dégrossis. Il s’agit d’une hachette au taillant très long et incurvé, dont le manche renflé au bout fait contre poids.

Ensuite, commence le travail fin de façonnage. D’abord, on utilise un rasclet [paroir]. On le passe au « paroir », pour lui donner sa coupe, tracer « le bout du nez », arrêter le talon. On l’entame au milieu avec une tarière, on le creuse avec la « cuillère » pour y ménager la place du pied, on le polit avec la « rase ».
C’est un travail physique et pénible. En effet, l’esclopèr, debout, pèse sur la tarière ou la cuillère en poussant avec son épaule et sa poitrine.
La dernière façon

On a laissé les sabots pendus dans l’atelier jusqu’au mois d’aout suivant. Il ne reste plus qu’à les rendre beaux ! Alors, le sabotier les polit, les vernit, leur ajoute des clous de formes variées.
Enfin, il ajoute la bride de cuir épais pour les hommes, ou la trousse pour les femmes qu’il ajuste avec des pointes courtes en fil d’acier bleu. Pesquidoux commente : il faut à la femme une « trousse » entière, étalée, comme une gaine souple, depuis le bout des doigts.
Notons aussi une variante : l’esclopeta [l’esclopette], cette sorte de sabots à peine couverts en pointe, et garnis d’une mince bride. Plus élégant, orné, ce petit sabot était porté pour aller à la messe.
En général, une paire de sabots en bois durait environ quatre mois.
La sabots selon les contrées

Les sabots sont adaptés à chaque contrée, nous dit Pesquidoux. Étalés en Armagnac pour ne pas glisser sur l’argile, à bout rond dans le Marensin pour marcher dans le sable, avec une pointe pour enlever la neige vers Andorre.
À noter, dans la vallée de Bethmale, ils présentent un bout relevé tout à fait étonnant. Mais, c’est à cause d’une légende…

Lorsque les Maures envahirent la vallée de Bethmale au IXe siècle, leur chef Boabdil s’éprit de la belle Esclarlys. Or, celle-ci était fiancée au chasseur d’isards, Darnert. Pour se venger, il déracina deux noyers dont la base formait un angle droit avec les racines. Avec sa hache et son couteau, il en fit une paire d’esclops ayant la forme d’un croissant de lune avec une longue pointe effilée comme un dard. Puis, avec ses amis pastors [pâtres], Darnert livra combat aux envahisseurs. Vainqueurs, ils défilèrent dans le village. Darnert avait accroché le cœur de la Bethmalaise infidèle sur la pointe de son sabot de gauche et celui du Maure à droite.
Le cadeau du fiancé
Dans la vallée de Bethmale, le soir de Noël, le nòvi [fiancé] offrait à sa prometuda [promise] une paire d‘esclops à longues pointes, très ornés, avec un cœur dessiné sur le dessus. Bien sûr, plus la pointe était longue, plus son amour était intense !
En Armagnac, le nòvi offrait aussi à sa prometuda de fins sabots de mariage, noirs, jaunes ou bleus, vernis au fer et décorés de fleurs emblématiques.
Pesquidoux raconte :
On l’essayait en grande pompe la veille des épousailles. Assise entre ses parents, entourée des donzellons et des donzelles, la fiancée tendait son pied. La première donzelle apportait le sabot, le premier donzellon en chaussait la promise. Et alors, à genoux, le marteau à la main, le fiancé clouait la trousse à la mesure du cou-de-pied, en frappant gaiement sur les petites pointes bleues. Et, tandis que la fiancée court-vêtue rougissait, les donzelles demandaient en chantant aux donzellons :
— Diga, diga, donzelon, quant t’an costat los bèths esclops?
— Cinc sòus de bòi, cinc sòus de trossa, cinc sòus de tachas, com son tots naus
« Dis-nous, dis-nous, donzelon, que t’ont couté les beaux sabots ? » / « Cinq sous de bois, cinq sous de trousse, cinq sous de pointes, comme ils sont tout neufs. »
On reconnait la chanson traditionnelle, Los esclòps chantés par Gilbert Rouquette de Saint-Martory (31)
La charge aux sabots

Pesquidoux rapporte la bataille du 6 novembre 1792. Dumouriez et l’armée française attaque Clerfayt et ses Autrichiens pour enlever Jemmapes (Belgique). Dumouriez envoie ses soldats, au dire de l’ennemi des tailleurs et des savetiers, baïonnette à la main.
Lors de la charge, en plus du chant de La Marseillaise, l’ennemi entend un grondement plus fort que le canon ou les tambours. C’était la Révolution en sabots lâchée sur l’Europe éperonnée… La bataille fut gagnée au bruit de ce piétinement…
Esclòp, sabot, sabotage

On considère que le mot sabot est un mixte des deux mots sabata (mot occitan pour soulier) et bota (botte). Quant à esclòp, il fait bien plus penser au klump du Danemark ou de l’Allemagne ou au klomp de la Suède ou des Pays-Bas. Et il fait surtout penser au bruit de cette chaussure sur le pavé !
Selon Louis Alibert, sabar signifie en occitan frapper sur le bois pour en détacher des morceaux d’écorce. En tous cas, le mot « saboter » prend une autre signification dans le « bas langage » dès le début du XIXe siècle. Et il va passer réellement dans la langue. Ainsi, l’anarchiste Emile Pouget écrit en 1898 Le sabotage, en commençant par :
Le mot « sabotage » n’était, il y a encore une quinzaine d’années qu’un terme argotique, signifiant non l’acte de fabriquer des sabots, mais celui, imagé et expressif, de travail exécuté « comme à coups de sabots ». Depuis, il s’est métamorphosé en une formule de combat social et c’est au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu’il a reçu le baptême syndical.
Le sabot deviendra d’ailleurs le symbole des anarchistes.
Les expressions avec los esclops

Simin Palay, dans son célèbre dictionnaire, rapporte plus d’une expression. Par exemple :
arroussega l’esclop: mendier
batala coum û esclop poudat: parler sottement
bèstie coum û esclop: bête comme un sabot
gens dou medich esclop: gens de même acabit
nas d’eclop: nez relevé (en pointe)
Les derniers sabotiers ont fermé mi XXe siècle, quelques rares un peu plus tard. Aujourd’hui, on peut visiter Lo musèu de l’esclòp en Catalogne, à Meranges. Ou se tourner vers les nouveaux sabots, généralement en cuir, dessinés par Dior ou Hermès (les plus chers sont à plus de 1000€) ou les sabots graphiques en toile de Dries Van Noten à 360€.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Chez nous, Les sabots, Joseph Pesquidoux, p. 211-220, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
L’Esclopièr – Le Sabotier
Esclops et sabots, première partie
Mémòria de ca l’esclopeter, Llibre de la Festa Major, 2003
Emile Pouget – Le sabotage
merci belle documentation un vielh me disié pétara como un esclop!!! en par
lant d’un de ses copains!!!
J’adore !!!
J’ai un ancêtre galocher et j’ai retrouvé dans cet article l’odeur du bois travaillé … un bonheur à lire