Raymond d’Espouy, le pyrénéiste
Les Pyrénées ont gardé Raymond d’Espouy. Un homme dont les yeux, « bleus comme des yeux d’enfant, avaient conservé la faculté de s’émerveiller devant la beauté du monde », comme écrira un de ses amis.
Dans la série des Gascons de renom avec François Lay, Le duc d’Epernon, Max Linder, Pierre Latécoère, Jean Bourdette, Jean-Baptiste Sénac, Guillaume Saluste du Bartas, Antoine de Nervèze, Sans Mitarra, Jacques Lacomme, Alexis Peyret, Marcel Amont, Ignace-Gaston Pardies, André Daguin, Jean Laborde, Joseph du Chesne.
Raymond d’Espouy
Raymond nait en 1892 à Monléon-Magnoac. De 1911 à 1914, il étudie à l’école des beaux-arts de Paris et chez un oncle Hector d’Espouy, peintre et architecte (grand prix de Rome). Après la guerre, il rentre au pays et devient exploitant agricole. Mais, dès 1913, il s’inscrit au Club Alpin Français, en même temps que Jean Arlaud. Jean Arlaud, c’est cet alpiniste savoyard qui participe à la première expédition française en Himalaya en 1936, et qui tombe très tôt amoureux des Pyrénées. Il meurt d’ailleurs sur la crête des Gourgs Blancs en 1938. Les deux montagnards resteront amis jusqu’au bout.
Raymond d’Espouy épouse Anne de Beaupuy, nièce du pyrénéiste Henry Brulle. Ils ont trois enfants : Philippe, Bénédicte et Chantal. Bon sang ne saurait mentir, Chantal est la plus jeune ascensionniste de l’Aneto, à l’âge de 9 ans (aout 1934). Elle a le virus : « Pour moi, la montagne est un sanctuaire où je suis en contact avec la nature. Ce n’est même pas une philosophie, c’est une passion, un besoin vital« . (Revue du Comminges janvier-juin 2008)
Raymond d’Espouy peint, cartographie, écrit. Il publie des articles ou des livres sur les excursions comme, en 1922 Les Posets par le sud, ou en 1949, Ascensions sur les souvenirs d’Henri Brulle.
Nuestro Don Quijote
Raymond d’Espouy adhère en 1921 au Cercle Excursionniste de Catalogne (CEC) et aux Montañeros de Aragón. Il œuvre toute sa vie pour un rapprochement des gens du nord et du sud des Pyrénées. Il crée d’ailleurs l’association des Amitiés montagnardes, qui se réunit dans la tour de Mayrègne, en vallée d’Oueil. Les espagnols le surnomment Nuestro Don Quijote.
Il sera particulièrement heureux de provoquer, en aout 1951, le rendez-vous franco-espagnol de la Rencluse. Cette même année, il est élu secrétaire français de la commission franco-espagnole de pyrénéisme, et président du Groupe des Jeunes.
« Dans toutes les vallées des Pyrénées espagnoles, de Vénasque à Saint-Maurice, de Gistaïn à Eriste, il n’y avait ni village ni cabane de pasteurs où sa figure ne fût connue. Et quand, de quelque crête ou col que ce fût, on voyait descendre sa svelte silhouette, avec son grand béret, son vieil anorak portant brodées sur la poitrine les couleurs espagnoles, et sa barbe-collier, que le soleil faisait encore plus blanche, on disait : « C’est Papé ! » confie un de ses amis.
L’artiste Raymond d’Espouy
Raymond d’Espouy est décrit comme un homme de bonté et de lumière. Il est humble, pur. Il a de réels dons artistiques. Raymond d’Espouy entre dans la société des peintres de montagne, participe aux salons, expose. Il peint des huiles, des aquarelles, des dessins d’illustration, et aussi des tables d’orientation, des plans en relief, des panoramas.
Il s’intéresse même à la musique et compose en 1912 une valse, Mirage d’Amour.
Le cartographe
Raymond d’Espouy acquiert l’un des deux orographes III du Bordelais Franz Schrader (1844-1924), un autre grand pyrénéiste.
En 1923, Raymond d’Espouy collabore à la première édition du Guide Souviron. Il s’occupe de la partie cartographique.
Par exemple, il corrige, dans un croquis au 40 000e, les erreurs de la carte Schrader sur la région des Posets (Aragon), deuxième plus haut massif des Pyrénées. Il réalise plusieurs tables d’orientation.
Dans sa communication, Les Monts Maudits et leur représentation cartographique de Ramond à nos jours, il apporte des informations très complètes sur la chorographie et la topographie de cette région alors peu connue.
L’aventurier de la montagne
Sur notre planète en remous, il n’est pas défendu de distinguer les deux espèces gui s’agitent pour leur survie : Bourgeois en pantoufles et Aventuriers suiveurs d’étoiles… Nous serons surement du bon côté en choisissant l’aventure, et la montagne reste encore, malgré, tout, son terrain de choix. Ainsi s’exprime Raymond d’Espouy.
En fait, c’est un montagnard très complet. Il est fin connaisseur de tout ce qui est matériel, technique. Il fait de tout des randonnées de tout niveau, de l’escalade. Sa première ascension, c’est le pic Le Bondidier (3185 m), dans le massif de la Maladetta, qu’il fait en compagnie de Jean Arlaud.
Notre pyrénéiste a un faible pour le massif des Posets, en Aragon. Il l’appelle d’ailleurs Mon cher Posets. Il en fait l’ascension dix-neuf fois, par quatorze itinéraires différents. En été 1954, il confie à un ami espagnol qu’il reste encore trois itinéraires inédits. Il ne dit pas lesquels et il n’aura pas l’occasion de les suivre.
À partir de 1949, dans ce même secteur, il découvre la spéléologie. Il rejoint alors le spéléo club de l’Aude et de l’Ariège.
Les Pyrénées sauvages
L’alpinisme, c’est l’escalade ; le pyrénéisme, c’est moins l’esprit sportif qui l’anime que la soif de solitude et de liberté, l’attrait du pittoresque, de l’aventure, de la pénétration dans le mystère des aspects de la nature… écrit-il. Les Pyrénées font écho à sa foi profonde, à son œil d’artiste, et lui permettent de partager un même amour avec ses camarades de marche.
Il écrit des articles descriptifs ou techniques à toutes les revues pyrénéennes. Le pyrénéisme, écrira-t-il, est œuvre d’amour… Et il souhaite disparaitre un jour dans ces lieux.
Mourir en montagne
Le 20 Février 1955, Raymond d’Espouy est parti de l’Hospice de France avec des amis vers l’Aneto via la Rencluse. Assez vite, constatant que ses skis sont mal réglés, il fait demi-tour. Peu avant midi, l’équipe fait de même car le temps est en train de changer. De retour au refuge, les compagnons constatent que d’Espouy n’est pas là.
Non loin, au-dessus du vallon de la Frèche, ils aperçoivent un bout de corniche détaché et une grande coulée de neige jusqu’à un ruisseau. Ils cherchent jusqu’à la nuit, en vain. Le lendemain, renforcés des secours en montagne de Luchon, ils reprennent les recherches. Ils sondent le cône d’avalanche qui fait 30 m de large et plus de 3 m d’épaisseur avec des tiges de fer. L’espoir de retrouver le corps diminue au fur et à mesure que le temps passe. Enfin, à moins de deux mètres de la surface, ils découvrent les skis, puis le sac et enfin le corps du bienheureux couché dans l’eau du ruisseau.
Le souvenir de Raymond d’Espouy
Dans les dernières années de sa vie, Raymond d’Espouy sillonne, avec Pierre Billon (1917-2002), l’austère massif du Cotiella. Un massif qui recevrait les sorcières pour des nuits de sabbat ! Il réussit en 1954 la première ascension du point culminant (2912 m.) depuis la brèche de Las Brujas (arête nord-est).
Après sa mort, les Catalans demandent à la Fédération Espagnole de Montagne (FEM) de baptiser une des pointes du massif à son nom. Ce sera chose faite le 26 juin 1958. 40 Français et 150 Espagnols se retrouveront au sommet. Il y aura Julián Delgado Úbeda, premier president de la Federación Española de Montaña, Suzanne Bacarisse, la créatrice du club Pyrénéa-sports de Pau et plein d’autres pyrénéistes admirateurs du papé. Régulièrement, les Montañeros de Aragon organisent une manifestation à sa mémoire.
Aujourd’hui, la pointe d’Espouy (2825 m) n’apparait plus sur les cartes. Elle est désormais appelée punta de Armeña.
Plus qu’un autre, le grand homme savourait ses randonnées, ses aventures en Montagne sans se laisser obnubiler par l’ivresse du sommet vaincu. En ce sens, il n’aurait pas contredit Gabriel Garcia Marquez : « Tout le monde veut vivre au sommet de la montagne, sans soupçonner que le vrai bonheur est dans la manière de gravir la pente. »
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Raymond d’Espouy, JB Chourry, 1956
Les chefs d’oeuvre du Cazérien Hector d’Espouy, de son fils Jean et de Raymond d’Espouy, Monique et Joel Granson, 2019
Raymond d’Espouy, Pyrénées passion
La diagonale nord du pic d’Espouy, Florian Jacqueminet, 2014