Nous connaissons tous la Grande Ourse. Pourtant nous n’avons pas toujours employé ce nom. Comment nos aïeux en parlaient-ils ? Et qu’est-ce que cela leur inspirait ?
La Grande Ourse, lo car ou lo carriòt

La Grande Ourse est une des constellations les plus connues et les plus faciles à reconnaitre. À vrai dire, il n’est pas si simple d’y voir une ourse, car, de toutes ses étoiles, seules 6 sont vraiment brillantes. On en retient souvent ce que l’on appelle en français la Casserole ou le Chariot, c’est-à-dire les sept étoiles qui évoquent clairement cette forme.
En outre, elle reste dans notre ciel toute l’année et durant toute la nuit. Pas étonnant qu’elle ait été un repère dans nos pays.
Cependant, en Gascogne, elle s’appelle lo Carriòt de David [le Chariot de David], lo Car deu cèu [le Chariot du ciel], lo Car triomfau [Le char triomphal], lo Carriòt deus sèt estèus [Le chariot des sept étoiles] ou simplement los Sèt estèus [les Sept étoiles].
Ainsi, on peut l’identifier dans ce poème du Bigourdan Jean-Pierre Pecondom, écrit en 1860, et intitulé Estreos d’et permé d’et an :

Gardatz eras set crabèras
Un lugran escarrabelhat,
Tres hustets e huserèras
Qui van decap ath Vedat;
Sus nos eth car de renversa,
De Noë era senta crotz;
Cèu estelat qui versa
Sus nosauts mila favors
[Regardez les sept chevrières / Une étoile brillante / Les trois coins et les filandières / Qui vont vers le Bedat ; / Sur nous le char retourné / De Noë la sainte croix / Ciel pur étoilé qui verse / Sur nous mille faveurs]. Traduction de Francis Beigbeder.
Vous noterez les constellations Set crabèras, Tres hustets, Huserèras, Eth car, Noë era senta crotz.
Quel est l’origine de la Grande Ourse ?

Si nous n’avons pas d’information sur la Gascogne, nos voisins Catalans en ont une. Et l’ethnologue catalan Joan Amades (1890-1959) nous raconte, dans Costumari Català : La constel·lació de l’Óssa major és coneguda en molts pobles pel Carro. La veu popular diu que el carro del cel va ésser el primer que hi va haver i que, com que va representar un gran avenç per al transport, puix que abans tot s’havia de portar a coll d’homes o a bast d’animals, Nostre Senyor, desitjós que no es perdé- la mena d’aquell nou invent que representava un tan gran descans per a l’home, va fer posar el primer carro dall del cel, perquè sempre més se sabés com era i se’n pogués tornar a fer un altre.
[La constellation de la Grande Ourse est connue dans plusieurs villes sous le nom de Char. La légende raconte que le Char du Ciel était le premier qui exista et que, compte tenu du grand progrès qu’il représentait pour le transport, puisque, auparavant, il fallait tout transporter à dos d’homme ou a dos d’animal, Notre Seigneur, voulant que cette invention qui évitait à l’homme tant de fatigue ne se perde pas, a mis le premier char dans le ciel pour l’on sache toujours comment s’y prendre pour en faire un autre.]
Lo Car deu rei David

Quant à Jean-François Bladé (1827-1900), il rapporte dans ses Contes de Gascogne, cette légende intitulée « Le Char du roi David », donc une légende de la Grande Ourse, et dictée par Pauline Lacaze, originaire de Panassac (Gers) : La nuit, quand il fait beau temps, vous voyez, du côté de la bise [nord], sept grandes étoiles et une petite, assemblées en forme de char. C’est le Char du roi David, qui commandait, il y a bien longtemps, dans le pays où devait naitre le Bon Dieu. Le roi David était un homme juste comme l’or, terrible comme l’orage. Voilà pourquoi le Bon Dieu le prit au ciel, quand il fut mort, et plaça son char où vous le voyez.
Lo car e los bueus [Le char et les bœufs]

De son côté, Félix Arnaudin (1844-1921) publie dans les Condes de la Lana Gran, un conte qu’il a collecté. Il est intitulé Le Char et les Bœufs. Il parle donc de la Grande Ourse :
Le Char et les Bœufs sont sept grosses étoiles que l’on distingue fort bien dans le ciel. Il y en a quatre qui sont les quatre roues du Char une autre le Timon, et les deux dernières représentent le Bouvier et le Bœuf. Il y a aussi une autre petite étoile que l’on peut voir au-dessus du Bœuf ; celle-ci est le Loup. Une fois, le loup avait mangé un des bœufs du bouvier. Et, naturellement, l’homme ne pouvait plus faire tirer son char par un seul bœuf. Alors, pour refaire la paire, il attrapa le loup et l’attela avec le bœuf, à la place de celui qu’il avait mangé. Et depuis, le loup et le bœuf tirent ensemble.
La punition de l’avare
Toujours Joan Amades rapporte cette légende d’une région catalane du nord, fort différente des précédentes :
La gent vella de l’Empordà deia que era la carreta de bous d’un hisendat molt ric, qui, un any de molta fam, tenia els graners abarrotats, mentre tothom es moria de gana. Perquè no volia vendre el blat per esperar que pugés més, el poble es va amotinar i anava a cremar-li els graners. L’avar, espantat, va carregar la carreta tant com pogué, i anava a fugir amb el seu blat, però Nostre Senyor el va castigar i se’l va emportar al cel. perquè els avars en prenguessin exemple.
[Les anciens de l’Empordà disaient que c’était le char à bœufs d’un propriétaire très riche qui, une année de grande faim, avait les granges bondées tandis que tout le monde mourrait de faim. Parce qu’il ne voulait pas vendre le blé afin d’attendre qu’il monte davantage, les gens se sont révoltés et allaient bruler ses granges. L’avare, effrayé, allait charger le chariot et allait s’enfuir, mais Notre Seigneur le punit et l’emmena au ciel pour que les avares s’en souviennent.]
Les autres noms de la Grande Ourse
Si les Romains y voyaient une ourse, les Egyptiens y voyaient un chien ou un taureau et les Hébreux un sanglier ou une ourse.
Cependant, on retrouve dans plusieurs peuples l’idée d’un chariot souvent tiré par des animaux et parfois même conduit par un homme. Ainsi, les Egyptiens l’appelaient le Chien de Typhon ou le Char d’Osiris, les Suédois le Chariot du dieu Thor et les Wallons le Char-Poucet.
D’ailleurs, le Dictionnaire étymologique de la langue wallonne précise :
Chaur-Pôcè (la Grande-Ourse, verb. : le char-Poucet) : des huit étoiles dont semble formée cette constellation, les quatre en carré représentent, selon les paysans, les quatre roues d’un char, les trois qui sont en ligne sur la gauche sont les trois chevaux, enfin, au-dessus de celle de ces trois qui est au milieu, il s’en trouve une petite qu’ils regardent comme le conducteur du char et qu’ils nomment Pôcè.
D’autres lui donnent un nom simple comme les Perses qui l’appellent les Sept grandes étoiles. Enfin, d’autres encore lui donnent un nom plus original comme les Indiens (d’Inde). Ils l’appelaient la Mer d’or, ou le Pays de Galle, histoire oblige, la Harpe d’Arthur.
On retrouve malgré tout l’idée du car ou des set estelas de la Gascogne.

Le rôle de la Grande Ourse

Pour les Egyptiens, la Cuisse du Taureau [la Grande Ourse] ordonnait l’univers. elle indiquait les points cardinaux et signalaient ainsi les saisons.
Il est vrai qu’elle permet de trouver l’étoile polaire. Ainsi, il suffit de prolonger la ligne qui passe par les deux étoiles qui constituent le bord extérieur de la casserole. Puis, de prolonger cinq fois la distance entre les deux étoiles.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
La Grande Ourse est une table d’orientation très pratique au printemps, Le Monde, 7 avril 2018
Contes de Gascogne, Jean-François Bladé, 1886
Condes de la Lana Gran, Felix Arnaudin, 1912
Le Petit Poucet et la Grande Ourse, Gaston Paris, 1875
Dictionnaire étymologique de la langue wallonne, Charles Grandgagnage, 1837, p. 153
À la découverte du ciel, exposition château de Mauvezin (65)