Salies de Béarn, la reine des eaux salées
Faut-il aller à la mer pour soigner les enfants ? Non, répond le médecin Charles Raynaud, au début du XXe siècle. Et de défendre les vertus des eaux salées de Salies du Béarn.
Quelles sont les particularités des eaux de Salies ?
Ses eaux profondes traversent des couches de sel déposées par la mer présente il y a 200 millions d’années. Du coup, elles sont incroyablement minéralisées. Avec plus de 290 g de sel par litre d’eau, elles battent les 275 g par litre de la mer morte. Si on ajoute ses 26 oligoéléments, ses 837 mg d’ion magnésium, son calcium, son brome et son lithium, on comprend leur spécificité.
Grâce à des fouilles archéologiques, on sait que le sel était déjà extrait à Salies il y a trois-mille ans. Mais une légende raconte une plus belle histoire. Un jour, des chasseurs poursuivaient un sanglier. Ils réussirent à en blesser un qui s’enfuit pour mourir un peu plus loin dans un marécage. Les chasseurs le retrouvèrent peu après, le corps couvert de cristaux de sel. Ainsi fut découverte l’eau salée et des cabanòtas furent construites autour, aujourd’hui la ville de Salies.
Mais la légende ne s’arrête pas là. La bête moribonde aurait murmuré un dernier mot à nos chasseurs : Si you nou y eri mourt, arres n’y bibéré / Si jo non i èri mort, arrés n’i viveré [Si je n’y étais pas mort, personne n’y vivrait]. Des mots gravés en 1927 sur la fontaine du Sanglier, place du Bayaà !
Le premier bain médical
C’est mi XIXe que le docteur Nogaret (1817-1878) plonge un premier patient dans les eaux de Salies, même si les habitants ont l’habitude de se baigner dans le bassin de la fontaine. Le succès ne tarde pas, d’autant plus que son confrère, le docteur Jean-Brice de Coustalé de Larroque, médecin de Napoléon III, vante les eaux salisiennes à la cour impériale. Il écrit même un livre en 1864 : Hydrologie médicale. Salies de Béarn et ses eaux chlorurées sodiques (bromo-iodurées).
En 1891, l’Académie nationale de médecine les signale pour leurs bienfaits sur les pathologies liées aux rhumatismes, les affections gynécologiques et les troubles du développement de l’enfant. Dans les années 1900, des affiches ornent les murs du métro parisien avec le slogan : Salies-de-Béarn, la santé par le sel.
Pourtant, le bord de mer est souvent préféré pour nos chers petits. Un médecin parisien, installé à Salies, va attirer l’attention des parents sur la station béarnaise.
Charles, Auguste, Joseph, Noël Raynaud
Charles Raynaud nait le 25 décembre 1875 à Paris. Il fait ses études et passe son diplôme à Paris. Sa thèse concerne le Sanatorium d’Argelès. Puis, il exerce comme médecin à Salies-de-Béarn où il sera connu pour traiter les maladies des femmes et des enfants.
Son père, Maurice (1834-1881), était déjà médecin et pas n’importe quel médecin puisqu’il donna son nom à cette maladie rare qui contracte les vaisseaux sanguins des extrémités.
Sa mère, Emilie Paravey (1849-1931), aime particulièrement le dessin. Elle survit 49 ans à son mari. Mais elle quitte la région parisienne pour se réfugier dans la maison de la Goardère de Salies-de-Béarn, maison habitée par son fils Charles.
Entre temps, le 16 avril 1901, Charles épouse à Urt Jeanne de Prigny de Quérieux, avec qui il aura onze enfants. Celle ci est née comme Charles le 25 décembre 1875 mais à Saint-Laurent-de-Gosse dans les Landes. Elle meurt le 25 décembre 1956 à Urt, au pays basque. Charles, lui, est décédé le 20 décembre 1929 à Paris.
Salies du Béarn ou la mer ?
Au début du XXe siècle, Salies de Béarn est déjà bien connu pour les bienfaits de ses eaux salées pour les affections des femmes, les ostéites et arthrites. Le bon docteur Raynaud veut aussi faire connaitre les qualités de la station pour les enfants. On sait que les eaux salées sont efficaces pour revigorer les petits souffreteux. Charles Raynaud précise que, pour des maladies importantes, il faudra passer 8 à 10 mois à Berck-sur-mer pour obtenir le même résultat qu’en un mois à Salies.
Il constate aussi que le choix entre la mer et Salies est souvent lié aux moyens financiers des parents. Un séjour de plusieurs mois en établissement de bord de mer permet aux moins favorisés de remettre l’enfant sur pied à moindre cout, et de le récupérer quelques mois après apte au travail. Alors que les plus fortunés préfèrent une série de cures courtes et énergiques.
Les indications des cures à Salies du Béarn
Le docteur Raynaud signale l’anémie comme première indication. Une maladie que Salies combat avec succès. Le médecin accuse la pollution des grandes villes (les intoxications comme il dit) où les enfants passent d’un appartement trop chauffé au brouillard et fumées des usines et des cheminées à l’extérieur. Une autre cause est la santé familiale : ces enfants sont parfois fils ou filles de syphilitiques, de tuberculeux, de paludiques, etc.
La deuxième indication est le rachitisme quel qu’en soit l’avancement. Les eaux salées permettent de mieux fixer les phosphates, analyses d’urine en preuve. Et les enfants déformés par la maladie (gros ventre, jambes en cerceaux…) reprennent un cours normal de croissance. Les résultats sont visibles à l’œil nu !
La troisième indication est le lymphatisme, ce trouble se traduisant par de la mollesse, de la nonchalance. À Salies, les enfants se revivifient et arrêtent rapidement d’attraper des rhumes ou autres maladies respiratoires.
Enfin les nerveux (souvent enfants d’alcooliques ou d’intellectuels surmenés selon les dires du docteur) vont retrouver le calme grâce aux effets sédatifs de Salies.
Du doigté dans les cures
Les enfants peuvent suivre les cures à partir de deux ans, exceptionnellement avant. Mais on ne se trempe pas comme ça dans des eaux aussi salées. Aussi, le médecin prend-il des précautions en diluant les eaux pour les premiers bains. On demande aux petits patients de rester allongés pendant une heure ou une heure et demie après le bain pour lutter contre la révolte des enfants et la faiblesse des parents. Une réaction qui s’estompe après trois ou quatre bains. Les enfants s’endorment souvent après le bain.
La cure continue tant que l’enfant ne présente pas de signe de fatigue, de baisse d’humeur ou d’appétit. Charles Raynaud n’hésite pas à faire des pauses pour laisser l’enfant récupérer. Puis, après la cure, il conseille deux à trois semaines de repos à la campagne, en moyenne altitude afin que l’enfant « digère » sa cure.
Et ça marche docteur ?
Qu’il nous suffise de citer quelques chiffres : Pour des cas très mauvais, presque désespérés (enfants de l’assistance publique « rescapés » des grands services de chirurgie des Hôpitaux de Paris) il y a eu après un mois de séjour en moyenne de 80 à 90 pour cent de guérisons. Pour des cas moyens de clientèle de ville, il y a toujours amélioration en une ou deux saisons, parfois transformation radicale, au point qu’il nous arrive de ne plus reconnaître les enfants d’une saison à la suivante.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Salies-de-Béarn station d’enfants, docteur Ch. Maurice-Raynaud, 1909
Une chute historique, L’écho de Stan, Charles Marie Raynaud, 1893
Le site des Thermes de Salies
Charles Nogaret
Un sel de légende et de tradition