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14 – 18 vue par les Gascons : les Territoriaux du Gers

La Guerre 14 – 18 vue par les Gascons, épisode 3 : Les Territoriaux du Gers. Fait suite à l’épisode 1, La mobilisation et l’épisode 2, Bégarie un destin tragique. Voulez-vous suivre le parcours du 135e R.I.T., les Territoriaux du Gers, durant la guerre ?

Les Territoriaux, qu’es aquò ?

Les territoriaux
Les « pépères » – dessin de Georges Leroux, L’Illustration – 1916

Les Régiments d’Infanterie Territoriale, R.I.T., étaient composés des hommes âgés de 34 à 39 ans. Considérés comme trop âgés et insuffisamment entraînés pour intégrer un régiment de première ligne, les Territoriaux, aussi nommés les « Pépères », ont joué un grand rôle pendant la Grande Guerre 14–18.
En complément, la Réserve de l’Armée Territoriale incorpore des hommes âgés de 40 à 45 ans, puis rapidement, des hommes âgés de 46 à 49 ans.

Les soldats des RIT et ceux de la Réserve sont mobilisés tout au long du conflit, de la déclaration de guerre jusqu’à l’armistice. Leurs missions principales couvrent les travaux de terrassement, le creusement des tranchées, l’entretien des routes et des voies ferrées. Ils sont en charge également du ravitaillement et du soutien aux premières lignes. Ils explorent et nettoient les champs de bataille. Ils récupèrent le matériel, les armes. Ils arrêtent les soldats allemands isolés ou blessés. Ils identifient et ensevelissent les morts.

Les Territoriaux du 135e R.I.T. entrent en scène

Dès le 4 août 1914, le 135e R.I.T. est mobilisé. Ce sont les Territoriaux du Gers. Ils se rassemblent à Mirande-la-Jolie.

Journal de guerre 1914 du soldat René Jarret - Territoriaux - Agenda
Journal de guerre de René Jarret

Ils étaient venus sans hésitations, la plaisanterie sur les lèvres, à la Cyrano, en Gascons, dira le Lieutenant-Colonel Lasserre.
On leur donne une feuille de route sur un papier vert clair. Ils iront donc à pied de Mirande jusqu’au dépôt à Auch (25 km) où ils seront habillés, équipés, armés.
René Jarret, de Vic-Fezansac, en est.

Le 10 août, avec le sentiment de devoir au cœur, le régiment quitte le Gers en train pour Aix-en-Provence, puis Clermont où il exécute des travaux de défense. Le 16 octobre, le 135e prend place au camp de Châlons, à Mourmelon-le-Petit.

Les territoriaux - une escouade du 135e RIT, le 10 septembre 1914
Une escouade du 135e RIT (10/09/14)

C’est le début des opérations.
Eugène Ricard
de Saint-Clar écrit aux siens : Nous entendons les coups de fusil et le canon gronder au-dessus de nos têtes. Ce n’est pas très dangereux, car nous n’avons pas encore de victimes depuis un mois. Il faut croire qu’on a soin des vieux. 

Les Territoriaux à Gasconville

Le 28 janvier 1915, le ton change. Nos territoriaux sont à Somme-Tourbe pour des travaux à proximité immédiate de l’ennemi. Les « ouvriers » ne peuvent ni se mettre à l’abri ni riposter tandis qu’ils terrassent. Ils vivent sous les tirs et la vie quotidienne apporte son supplément de tracas. Jarret commente : Pour la 1ère fois que je vais aux tranchées, je n’ai pas de veine. On me chope [vole] la gourde pleine de vin, je perds mes gants et j’attrape des poux de vêtements.

abri militaire en bois ressemblant à ceux utilisés à Gasconville
Type d’abri militaire utilisé à Gasconville

Aux abords immédiats des tranchées de première ligne, le Lieutenant Campan fait construire des abris dans un bois, bien camouflés et alimentés en eau par un puits creusé à treize mètres cinquante de profondeur. Ce hameau d’abris est relié aux premières lignes par un boyau profond. Il est un havre où l’on peut se retrouver comme dans les velhadas (veillées) des campagnes du pays. La troupe l’appellera… Gasconville.

Gasconville permet de soutenir le moral. Pas toujours bien haut, il remonte toutefois quand la Gascogne vient jusqu’à eux. Le 29, le Lieutenant Labatut reçoit de l’armagnac, il le partage avec sa section. Mais l’hiver 1915 est très froid, même dans le Gers où on relève des -14°C. Sur le front, on a des chutes de neige abondantes en mars. Le pain et le vin gèlent.

Des Régiments de Territoriaux qu’il faut renouveler

Un hiver à Souchez – dessin de Jean Galtier-Boissière

À cause des pertes nombreuses, on devra régulièrement compléter le régiment avec des soldats de toutes origines géographiques.
Le 18 mai, Théodore Verdun écrit : Dans ce régiment, comme dans bien d’autres, il ne reste que le numéro, il a été reconstitué pour la quatrième fois avec des hommes tirés de partout. Quand le régiment rentrera à Mirande, le numéro du régiment sera porté par de braves inconnus dans le pays gascon. Pour ce motif, osera-t-on le faire entrer et défiler dans cette ville de garnison ? S’il en était ainsi, quel spectacle douloureux serait imposé aux milliers de veuves et d’orphelins du pays.

Cependant les territoriaux de 135ème ont déjà la réputation de faire de bons aménagements. Le général Brulard leur décerne un Ordre de la Division des plus élogieux.

« Que peta la castanha » pour les Territoriaux

Transport de matériaux – Sur le front d’Artois, Neuville-Saint-Vaast, février 1916 – dessin de Lefort

Fin juillet 1915, les territoriaux du 135e sont chargés de la ligne de soutien en Artois. Ils transportent jour et nuit le matériel et les munitions en première ligne. Dans les boyaux étroits et sous une chaleur étouffante, que hè caumàs commentent les soldats. Le travail est éprouvant, pénible, et ils sont exposés aux tirs des mitrailleuses, aux obus, aux gaz. Que peta la castanha, raillent-ils parfois. Car, dans le régiment, on parle comme au pays.
L’hiver 1915–1916 apporte d’autres difficultés. C’est l’hiver le plus pluvieux depuis 50 ans. Le ravitaillement passe par des boyaux changés en ruisseaux d’eau et de boue glacée jusqu’au ventre.  Si quelque territorial se laissait aller à la torpeur du froid terrible, il y avait le marmitage soigné des boches pour le réveiller, rappelle leur commandant.

Fraternité - Dessin de Jean Droit (territoriaux)
Fraternité – Dessin de Jean Droit

Ce triste quotidien durera jusqu’au 8 mars 1916.

Et dans une routine affreuse, les territoriaux ramassent les corps, alors que les blessés et les morts continuent à éclaircir leurs rangs. Après huit mois, les quinze jours de repos qui suivent leur permettent de se reposer en parlant des disparus et de la petite patrie. La petite patrie, le lien à la famille, le lien à la vie… Pourtant, le pire sera pour l’année suivante.

Les Territoriaux  à Verdun: on ne passe pas

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Une tranchée – dessin de Georges Scott

Le 12 avril 1916, le 135e RIT arrive à Verdun. Les Territoriaux creusent les tranchées, construisent les réseaux de fil de fer barbelé. Nuit et jour, les obus tombent. Deux mois terribles. Des nuits d’épouvante. Le chaos. Le cauchemar.

Le 135e est décimé comme les autres régiments. C’est plus brutal que ce qu’ils ont déjà vécu. Les obus tombent sans discontinuer. On n’appelle plus cet endroit que « la Fournaise de Verdun ».

Les territoriaux - Ossuaire de Douaumont
Ossuaire de Douaumont

300 000 morts glorieux, écrira le commandant du Régiment. 300 000 morts, c’est l’équivalent des départements du Gers et de l’Ariège réunis. Ce ne sont pas les gars de Gascogne qui dépareront l’Armée d’élite qui défend la ville imprenable, renchérit le commandant. Il faut soutenir le moral. Mais qui y croit encore ?

Tous aspirent à voir la fin. Depuis un an déjà les soldats sont rassasiés de la guerre, mais que faire ! précise un Gersois du régiment, Maurice Faget.

Enfin, le 8 juillet, le 135e R.I.T. est transporté à Pernant (secteur de Soissons) pour occuper les tranchées en première ligne. Après Verdun, les territoriaux se sentent presque au calme malgré les obus car il y a des abris ici, écrira leur officier. Puis le 10 décembre, le régiment a droit à 10 jours de repos.

Le Chemin des Dames

Monument-Ailles - territoriauxLe 26 décembre, notre Régiment de Territoriaux part au sud du Chemin des Dames, à Chauchardes, à Blanzy les Fismes, pour contribuer à la préparation de l’attaque de début 1917. Il prépare les routes, extrait les pierres. Les avions survolent en permanence et lâchent des obus sur les travailleurs, tuant, blessant, intoxiquant. L’attaque aura lieu le 17 avril.

Sept villages seront détruits comme Ailles (118 habitants) dont il ne restera rien. Je ne veux pas me souvenir de l’horreur du champ de bataille, avec tous ses morts couverts de boue, écrit Maurice Faget.

Le travail sans fin des cantonniers – dessin de Georges ScottLe reste de l’année, c’est le service routier dans le secteur sud du Chemin des Dames. Mais on manque de soldats. Les hommes jusqu’à la classe 1897 sont envoyés les uns après les autres en renfort aux Régiments actifs. Il ne reste que les plus âgés pour continuer à extraire les pierres, mettre en état les routes, ravitailler la première ligne.

La dissolution du Régiment des Territoriaux du Gers

Le 31 janvier 1918, le 135e RIT, surnommé le Beau Régiment, est dissous et le colonel Vautier l’annonce : la Patrie exige de nous ce nouveau sacrifice, plus dur que tous les autres ; inclinons-nous et acceptons-le le cœur ferme. Les territoriaux sont affectés au 73e et au 74e RIT. Ils vont renforcer la 173e Brigade IT, surnommée l’Immortelle. Une unité d’élite qui subira la grande poussée des boches en mai 1918.

Références pour la rédaction de cet article

Histoire sommaire du 135e régiment d’infanterie territoriale, Colonel Commandant Vautier, 1921
Le Gers dans la grande guerre, Canopé de l’académie de Toulouse
Témoignages de 1914 – 1918, CRID 14–18
Lettres de mon père, 1914–1918, Henri Faget : ensemble de 500 lettres envoyées par Maurice Faget à sa famille à Cassaigne (Gers)
Dessins tirés pour la plupart du site http://www.dessins1418.fr/wordpress/