Épisode 1 : La tension – la mobilisation – le premier mois – le regard de la France sur le sud.
La France décide la mobilisation générale. Stupeur pour les habitants, puis ralliement à la « grande patrie ». Mais la France n’est pas sure du patriotisme des gens du sud…
C’est la guerre ! Mobilisation…
On l’a appris à l’école, l’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, déclenche la guerre 14-18. Bien sûr, d’autres causes complexes font monter la tension dans les années qui précèdent. Citons la montée du nationalisme en Allemagne, l’envie de revanche des Français de reprendre l’Alsace et la Lorraine, l’épouvantable bazar dans les Balkans et le peu de place de l’Allemagne dans les Colonies. Rappelons la dispute entre l’Allemagne et la France au sujet du Maroc, avec le coup d’Agadir en 1911…
Pour beaucoup de Français, dont les 22 millions de ruraux, tout cela est bien lointain. Et les guerres jusqu’alors n’engageaient que les armées de métier (même en 1870). Aussi, quand le 1er aout 1914 à 15h45, la France décrète la mobilisation générale de 3 780 000 hommes, un tiers des hommes valides, c’est, selon l’historien Jean-Jacques Becker, la stupeur, la consternation et l’angoisse, bien plus que l’enthousiasme ou l’élan patriotique qui, eux, n’arriveront qu’en second.
D’ailleurs, pour calmer les inquiétudes, Raymond Poincarré précisera le 2 aout : La mobilisation n’est pas la guerre.
La guerre côté sud ?

Si les Gascons et autres méridionaux réagissent à la mobilisation comme le reste des Français, le gouvernement n’est pas sûr de leur engagement. Il est vrai que depuis 50 ans la République travaille, parfois brutalement, à la francisation de ce sud où des personnes peu civilisées parlent une langue étrangère.
La débâcle de la bataille de Morhange le 20 aout 1914 est immédiatement interprétée comme un patriotisme insuffisant des gens du sud. Le XVe corps, composé de Provençaux, est mis à l’index pour couardise. Le général Joffre, pourtant originaire des Pyrénées Orientales, relayé par le sénateur et journaliste Auguste Gervais parle de défaillances individuelles et collectives. Gervais rappelle que tout le monde doit vaincre ou mourir. Ce dernier s’excusera plus tard de ses propos hâtifs et diffamatoires.
Gascogne rouge ?
Dès la mobilisation, la Gascogne apparait à L’État Major comme « rouge » donc aux tendances pacifistes. Une question se pose : seront-ils pugnaces pour défendre la patrie ?
Zacharie Bacqué (1880-1950), instituteur de Vic-Fezensac (Gers), est mobilisé à Mirande au 88e RI. Face au choc de la guerre, en trois mois il perdra 20 kg et tombera malade. Il rapporte dans son Journal d’un Poilu, les propos du capitaine :
« Vous n’êtes pas des soldats, vous n’êtes que des réservistes habillés en soldats ; vous allez f…iche le camp aux premiers obus ; mais prenez garde ; voyez ce révolver, il est chargé, ceux qui se trouveront à côté de moi peuvent se considérer comme morts. »
La réaction des félibres gascons à la mobilisation
La langue gasconne est puissamment installée dans sa région. En 1912, la Maintenance de Gascogne-Béarn (la section régionale du mouvement) représente le quart des inscrits de tout le Félibrige du sud de la France. Cela montre un sentiment très fort d’appartenance à la « petite patrie ». D’ailleurs, en 1913, le gascon représente encore 20% de la surface rédactionnelle des journaux landais.
Aussi, peut-être, les élites intellectuelles, dès la mobilisation générale, se sentent-elles obligées de donner haut et fort, des gages de loyauté. Et elles font souvent appel à la grandeur des personnages de l’histoire locale. Ainsi réagit Louis Batcave, alors président de l’Escòla Gaston Febus, dans son éditorial de la revue Reclams qui sort le 10 aout 1914, Vive la France :
« Alerte donc, fils du Béarn et de la Gascogne ! Vous êtes les descendants de ces vaillants qui, aux guerres d’Italie du XVe et du XVIe siècle inscrivirent leurs exploits en lettres d’or dans l’histoire. Vous avez compté de valeureux prédécesseurs aux champs de bataille prussiens du premier empire ; beaucoup des nôtres furent victorieux à Auerstaedt où les Français combattaient un contre quatre Prussiens, à Iéna. Le nom de Huningue que l’on prononce aujourd’hui rappelle le bel exploit de ce fils de Pontacq, que fut le général Barbanègre, en un temps où il y avait des ennemis généreux. Avec calme, le gouvernement français a fait le geste de notre Gaston, montrant sa devise : Touquey si gauses ! »
L’avenir est sombre
Juste avant la mobilisation, le 31 juillet 1914, le Tarnais Jean Jaurès, qui voulait stopper les hostilités, est assassiné. Le languedocien Antonin Perbosc, un des félibriges « rouges » les plus connus, en songeant à Jaurès, écrit en aout dans sa préface de Contes de la vallée du Lambon :
« Voulez-vous savoir à quoi je songe ? À cette formulette douce et triste que vous connaissez bien…, à ses six vers mystérieusement émouvants même pour les enfants qui les répètent sans pouvoir en saisir le sens profond :
Margarideto dou pèu rous, Quants de mainages auètz-vous Cinq à la guèrro, Cinq debat tèrro, Cinq à la hount: Coumptatz-les pla, que quinze soun . |
Margarideta deu pèu ros, Quant de mainatges avetz-vos Cinc a la guèrra, Cinc devath tèrra, Cinc a la hont: Comptatz-los plan, que quinze son. |
[Marguerite aux cheveux roux, Combien d’enfants avez-vous ? Cinq à la guerre, Cinq sous terre, Cinq à la fontaine : Comptez-les bien, quinze ils sont.]
Vous, écoliers d’hier, où êtes-vous maintenant ? Hélas ! deux d’entre vous sont déjà « sous la terre » ; sept sont soldats, et demain peut-être, ils seront vraiment « à la guerre ». Vous, écolières, qui êtes maintenant d’alertes et de vaillantes ménagères, quelques-unes des mamans, vous êtes plus de cinq qui allez « à la fontaine » ou qui, comme dit une variante de la formulette, « gardez la maison ».
Cinq que me gardon la maizoun.
Oui, vous surtout, vous « garderez la maison », je veux dire la tradition de votre race, et grâce à vous les contes et les chansons des lointaines aïeules refleuriront sans fin sur les lèvres des enfants. »
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Les résistances à la République dans le cœur de la Gascogne de 1870 à 1914, thèse de Céline Piot, 2013, 701 p.
Journal d’un poilu, août 1914 – décembre 1915, Zacharie Bacqué, 221 p.
Reclams, août 1914
Fourès, Estieu, Perbosc : trois « félibres rouges » devant les guerres / Forès, Estieu, Perbòsc: tres « felibres roges » acarats a las guèrras, Hervé Terral, 2017