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Histoires de loup

Le loup a longtemps hanté les campagnes gasconnes. Et on lui a fait une chasse intensive, si bien qu’on aurait tué le dernier loup gascon à la fin du XIXe siècle. Le croyait-on disparu ? Le voilà de retour…

Les premiers Loups sont ducs de Gascogne

Alors que règnent les Mérovingiens, la Gascogne échappe à leur contrôle. Ce sont les Vascons qui la gouvernent. Certes, on en sait peu de choses, sinon par le biais de chroniqueurs francs qui les décrivent comme des « sauvages ».

Sanche I Loup de Gascogne
Sanche I Loup de Gascogne (? – 812)

Voilà que surgit Lop 1èr [Loup 1er], Duc des Vascons de 670 à 688. Lop II est Duc de 768 à 778. Étant considéré comme le responsable de la défaite de Roland à Roncevaux, le roi des Francs l’aurait fait destituer et exécuter.

Son fils, Sanche-Lop, est Duc de 800 à 812. Puis, il cède sa place à son frère Semen-Lop, Duc de 812 à 816. D’ailleurs, il serait le père du premier roi de Pampelune Eneko Arista.

En continuant, son fils Garcia-Semen gouverne pendant 2 ans avant de céder sa place à son frère Lop III Centolh, duc de 818 à 819. Bien que la fausse charte d’Alaon lui attribue deux fils : Centolh-Lop, vicomte de Béarn et Donat-Lop, comte de Bigorre, il semble qu’il n’ait pas eu de descendance.

Ensuite, on ne parle plus de Lops au duché de Gascogne.

Le loup ne s’attaque pas qu’aux troupeaux

François Grenier de Saint-Martin (1793-1867) - Petits paysans surpris par un loup
François Grenier de Saint-Martin (1793-1867) – Petits paysans surpris par un loup

Pierre Bordages, curé d’Estancarbon en Comminges écrit dans ses registres paroissiaux : « Le deux août 1761, les loups dévorèrent une fille de Pointis-Inard, on ne trouva que le crâne et les habits huit jours après. Le douze, ils tuèrent une fille de Villeneuve-de Rivière, la transportèrent assez loin, la mirent à nu et la meurtrirent. Le quatorze, ils tuèrent un garçon d’environ quinze ans à Beauchalot, et le seize, une femme de cinquante ans à Aulon, vers les huit heures du matin, et les autres à la même heure du soir, en gardant le bétail, ce qui mit l’alarme dans le pays, ces malheurs étant sans exemple ».

Jean-Marc Moriceau, professeur émérite d’histoire à l’université de Caen, a dépouillé des registres paroissiaux de 1580 à 1842. Il recense 18 000 cas de prédation de loups sur l’homme en France métropolitaine. Ainsi, il note que les loups attaquent surtout de jeunes enfants isolés. L’Auvergne, la Champagne et la Bretagne sont particulièrement concernées, alors qu’on n’en trouve presque pas en Normandie.

Les périodes les plus propices aux attaques de loups sont celles où on les chasse le moins, notamment pendant les troubles comme les Guerres de Religions.

La chasse aux loups / la caça a la lobatalha

Pour lutter contre les lops [loups], on organise de grandes battues et on verse des primes à ceux qui tuent des loups.

Blason marquis de Flamarens, grand louvetier
Blason du Marquis et du Comte de Flamarens, Grand Louvetier

Charlemagne crée la Louveterie / Lobateria en 813. À sa tête, un Grand Louvetier qui prête serment au roi. Il est assisté de Lieutenants et de Sergents de Louveterie / lobatèrs qui lui prêtent serment à leur tour. Gaston de Crossoles, Marquis de Flamarens est Grand Louvetier de 1741 à 1753, Emmanuel-François de Crossoles, Comte de Flamarens, occupe la charge de 1753 à 1780.

De plus, les seigneurs hauts-justiciers doivent organiser des battues tous les trois mois. Par exemple, le 13 mars 1712, on organise une chasse dans le bois du Marmajou à Vic de Bigorre. Les habitants doivent venir avec leurs fusils. Ceux qui sont absents sont pignorés de 3 livres et ceux qui tuent un loup sont récompensés. De même, le 12 mars 1775, la communauté de Lherm en Comminges délibère sur la dépense de 10 livres 11 sols occasionnée par une chasse aux loups ordonnée par le Subdélégué et « sur quel essaÿ il ne pareu que beaucoup de pies & de corbeaux, et non de loups, comme nen paroissant point dans ce paÿs, que fort rarement ».

Insigne d'un lieutenant de louveterie contemporain
Insigne d’un lieutenant de louveterie contemporain

Mais le versement de primes conduit à des abus qui entrainent la suppression de la Louveterie en 1787. Puis, les guerres de la période révolutionnaire entrainent la multiplication des attaques de loups sur les soldats, si bien que Napoléon la rétablit en 1804.

Les Lieutenants de Louveteries existent toujours. Et la loi de 1971 les charge de veiller à réguler les nuisibles et à maintenir l’équilibre de la faune sauvage.

Le Baron de Ruble, chasseur de loups en Gascogne

La loi du 3 août 1882 facilite la destruction des loups. D’après le Bulletin du Ministère de l’agriculture, on a tué 1 316 loups en 1883, 760 en 1886 et 515 en 1889. En 1940, il ne reste plus de loups en Europe, sauf en Espagne et en Italie.

Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896)
Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896)

Le Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896) est Lieutenant de louveterie en 1830. Il habite le château de Bruca sur la commune de Blanquefort dans le Gers. En fait, il parcourt la Gascogne pour chasser le loup.

Pour mieux y parvenir, il croise des chiens et crée une race des Bleus de Gascogne appelés Chien de Ruble.

Finalement, en 1848, le Baron de Ruble tue le dernier loup du Gers entre Lectoure et Fleurance. La chasse nous est racontée par les témoins : « Huit heures dura la chasse, d’un train d’enfer, par monts et vallées, mais en vain. Harassés, hommes, chevaux et chiens durent s’arrêter. Plus madré qu’un ancien, le jeune loup avait disparu aux alentours d’un vaste étang… Dix-sept jours de suite, la bête fut relancée, poursuivie à outrance. Enfin les chasseurs l’emportèrent. Le loup squelettique fut forcé et l’hallali sur pied fut sonné. L’explication de ce mystère est que, chaque jour, la bête sur ses fins se réfugiait à la nage sur un minuscule îlot broussailleux au centre de l’étang. Elle en sortait la nuit pour aller se nourrir ».

Il est de retour

Présence du loup en Europe de l’Ouest (source Large Carnivore Initiative for Europe)

Que’s lobatèja [On crie au loup]. On a aperçu les deux premiers loups en 1992 dans le Mercantour. Il progresse rapidement : on le voit dans les Vosges en 2011, dans l’Aude en 2014, puis dans le Tarn. En Gascogne, on observe le premier loup à Troncens dans le Gers en 2012. Des rumeurs le font apercevoir en Béarn, en Bigorre, en Ariège. En fait, il revient dans toute l’Europe.

Le loup est un carnivore. Il mange des cerfs, des chevreuils, des sangliers mais ne dédaigne pas les lapins, les oiseaux, les œufs, les grenouilles et même les baies sauvages. On sait que la présence du loup contribue à réguler la population d’ongulés (cerfs, chevreuils, isards, chamois, sangliers, etc.) et à améliorer leur état sanitaire car il chasse les plus faibles et les animaux malades. Il s’attaque aussi aux troupeaux qui ne représentent que 8 % de son alimentation.

Le loup vit en meutes de 5 à 6 individus. À la recherche d’un nouveau territoire, un loup peut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres par jour. C’est ce qui explique que l’on en voit çà et là de manière isolée.

Aujourd’hui, le loup fait partie des animaux protégés. On en compte plus de 600 en France.

Un Plan national d’actions couvre la période 1998 à 2023. Il vise à limiter l’impact du loup sur l’élevage : installation de parcs électrifiés, achat de chiens de protection, gardiennage des troupeaux, lutte contre les chiens errants qui font aussi beaucoup de ravages dans les troupeaux. Lorsqu’on constate une attaque, la réglementation prévoit que l’éleveur reçoive des indemnisations.

Comparons chiens et loups

Sa place dans la culture populaire

Un si long voisinage avec l’homme n’a pas manqué d’inspirer nombre de contes et de fables.

Par exemple, La Fontaine écrit Le loup et l’agneau. Un auteur bayonnais anonyme (peut-être François Batbedat) traduit ses fables en gascon en 1776 avec le titre Fables causides de La Fontaine en bers gascouns :

Le Loup et l'Agneau - Les Fables de La Fontaine illustrées par G. Doré (Gallica)
Le Loup et l’Agneau – Les Fables de La Fontaine illustrées par G. Doré (Gallica)

Un agnét en ibe aigue pure
Que bebé delicademen :
Bin un loup cercan abenture ;
Lou querela brutalamen.
………………..
Atau sur lo prat, sus la bignbe,
Aus petits lous grans cerquen grigne ;
Qu’ous minyen, qu’ous gahen l’aryen.
Sauva qui pot dequere yén.

Jean-François Bladé (1827-1900) a recueilli plus de 10 contes populaires avec des loups : La Messe des loups, Le loup malade, La chèvre et le loup, Le loup et l’enfant, etc. Naturellement, le loup n’a jamais le beau rôle et fait les frais de l’histoire !

Le gascon est riche d’expressions comme Minjar com un lop [manger beaucoup et avec voracité], Hicà’s dens la gòrja deu lop [se jeter dans la gueule du loup], Un vente de lop [un ventre affamé], Un caishau de lop [une molaire ou quelqu’un de vorace], Qu’a entenut a petar lo lop [il a une grande connaissance], Tuar eth lop [faire bombance], Ací, que i a un lop [se dit quand on rencontre une difficulté], etc.

Le loup est également présent dans la toponymie gasconne : Lupiac, La loubèra, Pouyloubrun, etc.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références.

Revue de Gascogne
Fables causides de La Fontaine en bers gascouns, 1776, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus.
Dix contes de loups, Jean-François Bladé, La Bibliothèque électronique du Québec
Notice sur la vie et les travaux du baron de Ruble lue dans la séance du 11 août 1899,  Henri Thédenat
Le loup en France, Office Français de la biodiversité
Le loup ni ange ni démon, Site du WWF France