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La course landaise, tradition gasconne

La tauromachie ou l’art d’affronter les taureaux est un sport qui prend différentes formes dans les pays du sud de l’Europe. Si la corrida est la plus connue, la course landaise peut être considérée comme un sport traditionnel gascon des plus savoureux. Aux dires des amateurs, tout le monde s’y amuse : la vache, le torero, le public. Cette course, issue d’une longue tradition, mérite le détour. Pour un aperçu, ne ratez pas la vidéo finale avec l’extraordinaire Nicolas Vergonzeanne.

La course landaise et les trois autres

La course landaise et la corrida espagnole
La corrida espagnole

La corrida, espagnole, est un jeu d’affrontement du taureau comprenant plusieurs phases dont des passes de grande technicité où le taureau est attiré par une muleta (cape) ; elle se termine par la mise à mort du taureau par le matador, mort foudroyante de rapidité. La tourada, portugaise, privilégie un affrontement à pied ou à cheval sans mise à mort. La course camarguaise consiste à attraper des attributs en général fixés sur le front ou les cornes d’un biòu (boeuf en provençal).

La course landaise, elle, se caractérise par un affrontement de l’homme et d’une vache de combat, exprimé par des figures de deux types différents. Elle fait appel à des sportifs de haut niveau, los escartaires e los sautaires (les écarteurs et les sauteurs). C’est un sport officiel exigeant, spectaculaire et festif.

Le taureau symbole de virilité

Le mythe de Mithra terrassant le taureau et la course landaise
Le mythe de Mithra terrassant le taureau

Si on remonte l’histoire, le culte du taureau célèbre la force et la fécondité. Par exemple,  Mithra, dieu indo-iranien, donne naissance au monde en répandant le sang d’un taureau lors d’un sacrifice pendant lequel un scorpion pince les testicules du dit taureau.

Les hommes, et plus particulièrement les soldats des armées romaines vouent un culte au taureau. Se mesurer à un  taureau, vaincre un taureau rentrera vite dans l’imaginaire masculin comme un jeu de démonstration virile.

Chez nous, dès le Moyen-Âge, les Gascons aiment les jeux taurins, comme en atteste un document des archives de Bayonne, daté de 1289. À l’époque, on lâche des taureaux, des bœufs, des vaches destinés à l’abattoir dans les rues étroites de nos villes et les bouchers les font courir. Les jeunes courent devant ou affrontent les cornes. Ces jeux seront condamnés à la fois par l’Église et par les autorités civiles à cause des nombreux accidents, parfois mortels. Pourtant, ils continueront…

Sous l’influence de l’Espagne, les courses landaises prendront une tournure plus brillante, avec musique et habits de lumière. Puis elles deviennent, à partir du milieu du XIXe siècle, un sport officiel avec des règles strictes, un classement (un peu comme pour les tennismen) et des héros.

La course landaise commence

La course commence par la marche cazérienne (en l’honneur de Cazères-sur-l’Adour), fête oblige ! Et cette marche un peu provocante et enlevée est bien dans l’esprit gascon :

A tu Mazzantini, aquera qu’ei la toa,
Se ne l’escartas pas, seràs un pelheràs1.
A tu Mazzantini, que’t la cau escartar
Totun se vòs pojar en haut de l’escalòt.
À toi Mazzantini, celle-là c’est la tienne,
Si tu ne l’écartes pas, tu seras un moins que rien.
À toi Mazzantini, il faut que tu l’écartes
Si tu veux monter tout en haut de l’escalot2.

1seràs un pelheràs o seràs un gran feniant, les deux versions existent
2escalòt (petite échelle) : classement officiel des joueurs

Lo sautaire

Auguste Camentron (1882 – 1964), dit Mazzantini, fut un escartaire célèbre du début du 20e siècle, et un sautaire comme il aimait s’appeler, puis il devint président de la Mutuelle des toreros landais de 1926 à 1939.
Il y eut même un Mazzantini 2: Gaston Destouroune qui réintroduisit le saut périlleux dans la course landaise.

C’est la course landaise !

L’escartaire

En 1932, le libraire-éditeur G. Cazaux raconte, dans ses notes de voyage, une foule en partie couverte de bérets, le jury dans l’amphithéâtre, les cuivres qui jouent un air de parade. Puis arrive la cuadrilla, tous de blancs vêtus. Les figures commencent…

(…) L’instant est émouvant, les deux adversaires promptement se mesurent, exaltent leur ardeur, car dans cinq secondes la chose est réglée : l’homme est sauf ou gravement blessé. Ils se fixent, ils sont prêts : l’animal fonce tête en avant sur l’écarteur, qui, d’un souple coup de rein, se dégage en frôlant la corne. Et les bravos retentissent par milliers dans l’arène.

(…) Un sauteur vient faire diversion parmi l’escouade des écarteurs. Il court sur la bête quand elle fonce sur lui, et d’un bond passe au-dessus d’elle, les pieds joints glissés entre les cornes.

Une belle course, c’est une vache, un escartaire, un sautaire et un còrdaire. Des « écuries » rassemblent ces acteurs. La vache doit être combative et certains ganaderos / éleveurs ont une réputation qui dépasse la Gascogne. Les acteurs humains, eux, rivalisent de technicité. Découvrons quelques grands noms de ces gladiateurs modernes.

Joseph Barrère le ganadero

Élevage dans les Landes et course landaise
Élevage dans les Landes

Joseph Barrère (1864 – 1933) s’occupe très jeune d’un troupeau, puis en acquiert un. Il sait élever les vaches, les achète en Espagne, et fournit pour les courses des bêtes terribles et redoutées comme Manola, Capitana, Passiega ou Caracola qui tua plusieurs écarteurs.

Les parents de Joseph Barrère étaient employés de M. Druillet, propriétaire du château de Buros et grand amateur de courses. En 1911, le châtelain meurt et lègue tout à Joseph Barrère. Une vraie fortune.

La grande guerre sera pourtant un moment difficile, le ganadero est obligé de vendre son troupeau à l’abattoir pour une bouchée de pain. Après la guerre, il remonte un troupeau et redeviendra un ganadero prestigieux. Albert Capin écrit pour lui un poème qui débute par :

Qui n’es rappelle pas dou bet tems d’aouan guerre,
Et dou famus troupet dou nouste gran Barrère ?
Qué podeum ésta fiers, pramoun a, et soulet,
Qu’a heyt counéche louy noste cher Gaouarret.
Qui ne’s rapèra pas deu bèth temps d’avant guèrra,
E deu famós tropeth deu noste gran Barrèra ?
Que podem estar fièrs, pr’amor a eth solet,
Qu’a hèit conéisher loi nòste chèr Gavaret.

Qui ne se rappelle du bon temps d’avant-guerre,
Et du fameux troupeau de notre grand Barrère ?
Nous pouvons être fiers, car lui seul il a fait
Connaître aux alentours notre cher Gabarret.

Ramuntcho le prince des écarteurs

Christian Vis dit Ramuntcho et la course landaise
Christian Vis dit Ramuntcho

Gitan d’origine, Christian Vis nait en Gironde en 1943. En voyage permanent, il n’ira pas à l’école et commence vers 12 ans divers travaux : docker à Bayonne, chiffonnier… Antonio, le père, avait appris le travail d’écarteur en Camargue et le transmettra à ses deux fils. A 14 ans, Christian fait ses premiers écarts sur la plage d’Arcachon et il continuera avec un talent grandissant jusqu’en 1992. Surnommé Ramuntcho, il remporte victoire sur victoire, titre sur titre et sera même deux fois champion de France. Il fait son dernier écart avec panache à 70 ans à Dax (2013), puis meurt en 2017.

Nicolas Vergonzeanne, la makina

Nicolas Vergonzeanne et la course landaise
Nicolas Vergonzeanne

Avec des figures hallucinantes, la joie du jeu, Nicolas Vergonzeanne est un phénomène. Rien ne parait impossible quand on le voit sauter. Il débute en 1995 comme sautaire, engrange tout de suite points sur points, montant tout en haut de l’escalòt. Tout de suite, il rafle  des prix, dont champion de France des jeunes dès sa première année, et champion de France quatre ans après ! Et il le restera pendant six ans, du jamais vu. Son palmarès est immense, voire unique. Ce sautaire hors du commun vient de faire ses adieux à l’arène à 36 ans en 2013.

Si vous voulez avoir une idée de ce sport magnifique, regardez cet extrait du film « Comme un envol » de Grégori Martin avec quelques sauts spectaculaires de Nicolas Vergonzeanne.

Références

La course landaise
Comme un envol de Grégori Martin (vidéo complete), description de la course landaise par Michel Agruna (ganadero)
Joseph Barrère, blog de torosencasteljaloux
Ramuntcho, blog de torosencasteljaloux
La course landaise a une histoire, Patrice Larrosa, 2018
Voyage dans les Landes et sur le littoral de Gascogne, G. Cazaux, 1932, p. 169 – 171
Nicolas Vergonzeanne, toujours plus haut