Le rugby un sport pour les Gascons
Même s’il n’est pas très ancien, le rugby a vite enthousiasmé les gens du sud-ouest de la France. Pourquoi cet attrait ? Quelle appropriation ? L’histoire et le charme d’un sport festif. Un enthousiasme pourtant qui s’estompe…
Le rugby nait à Rugby !
Même si les jeux de ballon sont très anciens, le rugby, lui, naît en Angleterre, à Rugby, au XIXe siècle. On l’appelle alors le football de Rugby.
La Rugby School publia le 28 août 1845, 37 règles dans un ouvrage, Laws of football as played at Rugby School. La majorité sont des règles de jeu, la 28e est plutôt de sécurité : No player may wear projecting nails or iron plates on the heels or soles of his shoes or boots. (Aucun joueur ne peut porter des clous ou des plaques de fer en saillie sur les talons ou les semelles de ses chaussures ou de ses bottes.)
Jeu éducatif pour jeunes gens dans des établissements d’enseignement huppés, il va rapidement se répandre en Royaume Uni avec des caractéristiques : canalisation de l’énergie combative, développement des liens entre membres, aspect festif (troisième mi-temps)…
Le rugby arrive en Gascogne
Grâce aux commerçants et aux étudiants anglais, le rugby débarque au Havre en 1872. Des Britanniques travaillant au port créent le premier club qui mélange rugby et football, le Havre Football Club. Puis les étudiants britanniques à Paris s’y mettent. Des hommes d’affaires anglais montent le English Taylors RFC, en 1877. Puis l’année suivante est créé le Paris Football Club qui se scindera en Racing club de France, Stade Français et Olympique avant la fin de la décennie.
Pierre de Coubertin va se passionner pour le rugby et poussera à reproduire ce modèle pédagogique dans les grands établissements parisiens. Peut-être comme un nouveau souffle collectif après la défaite de 1870.
En province, c’est d’abord la création du Stade Bordelais en 1889, et plus tard, de LOU Rugby (Lyon Olympique Universitaire rugby) en 1896, le Stade Toulousain en 1907.
Les premiers championnats de France opposèrent les clubs parisiens. Mais dès 1899, les provinciaux ont droit d’y participer. Le Stade bordelais (SBUC) en profite aussitôt pour remporter son premier titre. Il gagnera 7 titres de champions de France entre 1899 et 1911.
Le sud-ouest adopte le rugby
Après Bordeaux, Pau accueille le rugby. Dès 1890, les Coquelicots de Pau disputent des matchs face aux équipes des Montagnards de Bayonne et de la Pyrénéenne de Tarbes. Puis des anciens élèves du lycée Louis-Barthou fondent le Stade palois en 1899.
Vers 1900, un lecteur anglais du lycée d’Agen et le dentiste Alfred Armandie créent le Sporting Union Agen. Puis, en 1904, c’est le tour de l’Aviron Bayonnais rugby.
Non seulement, le rugby va se répandre comme une trainée de poudre dans toute la Gascogne mais l’intérêt, la passion et la qualité sont au rendez-vous. Beaucoup ont imaginé des causes à cette implantation plus grande dans le sud-ouest qu’ailleurs.
Le rugby et le sud-ouest, des valeurs similaires ?
Le rugby se serait implanté parce que les locaux jouaient déjà à un jeu de ballon appelé la soule. La Normandie, haut lieu du jeu de soule, n’a pourtant pas autant mordu au rugby. L’argument parait faible.
Le climat doux du Sud-Ouest permettrait de pratiquer ce sport toute l’année, même l’hiver. Le propos, dans ce cas, vaut pour tout le sud de la France.
La rivalité entre les institutions laïques et les catholiques (qui n’apprécieraient pas le contact physique dans ce jeu) aurait favorisé le rugby. Le rugby ayant débuté plutôt dans les classes aisées, ce n’est pas tout à fait convaincant.
Jean-Pierre Bodis, historien passionné de ce sport, y voit aussi l’attirance naturelle des gens du sud-ouest pour l’opposition, rejoignant l’esprit insoumis du rugby puisque celui-ci provient de son opposition au football.
L’influence anglaise est forte en région bordelaise et en Aquitaine.
Enfin, culturellement, le sud-ouest serait prédisposé par deux aspects. Combattants, hommes d’armes tout au long de l’histoire, la force et la puissance physique sont valorisées, comme, par exemple, dans les démonstrations de force basque. Deuxième élément, souligné par Antoine Blondin, Denis Tillinac, Jean Lacouture et bien d’autres, la tradition festive du sud-ouest est en phase avec celle du rugby.
Le parler rugby est un art gascon
Le « rubbi » est tellement bien intégré que notre langue va lui fournir toute sa verve imagée. Il faut lire le lexique de Miquèu Baris et Joan-Jacme Dubreuil, Le rugby en gascon. Grâce à lui, vous saurez commenter savamment un match (en VO gasconne par Miquèu Baris ici). Par exemple :
L‘oliva qu’estó un supositòri e lo tascat un camp de patatas. Òc los jogaires qu’avèvan lo nhac, mes que jogavan com un tropèth de crabas. E ne parli pas d’aquera bestiassa qu’a las còstas en long… / Traduction littérale : L’olive était un suppositoire et la pelouse un champ de patates. Oui, les joueurs avaient la niaque, mais ils jouaient comme un troupeau de chèvres. Et je ne parle pas de cette bestiasse qui a les côtes en long…
À comparer avec le même commentaire en « bon français » : Le ballon était glissant et le terrain mauvais. Oui, les joueurs avaient de l’énergie mais ils étaient mal organisés. Et je ne parle pas de ce joueur costaud mais fainéant…
Les années glorieuses sont chantées
En 1920, première victoire française au tournoi des cinq nations (en Irlande). Ce sera le début d’une belle série. Le sport est à la mode et Maurice Chevalier chante dès 1924 Rugby marche dont voici le refrain :
Ah! Prenez pour mari
Un joueur de rugby
Et vous aurez pour charmer vos jours
Un champion du sport et de l’amour
Oui toujours vigoureux
Même quand il s’ra vieux
Vous le verrez se décarcasser
Pour marquer tout au moins un essai
De même, Arthur Honegger compose une symphonie, Rugby, en 1928. Joueur plutôt de foot, il choisit de souligner la beauté de ce sport et de son rythme sauvage, brusque et désordonné et précise : j’ai voulu opposer la diversité du mouvement humain : ses brusques élans, ses arrêts, ses envolées, ses fléchissements.
Au cours du temps, d’autres chansons viendront en parler. Parmi les plus connus, Pierre Perret (1934- ) chantera Viv’ le quinze (1972), Les frères Jacques C’est ça l’rugby (1970). Et, plus récemment Nadau nous proposera une version humoristique, Lo nhacar (ci-dessous un extrait d’une minute de cette vidéo de Nadau)
Le rugby est un sport violent
Le rugby dans les années 1920-1930, témoigne de la hargne de gagner : jets de pierre entre joueurs, bagarres sanglantes, yeux arrachés et même des morts. En 1927, c’est le talonneur de Quillan qui décède sur le terrain. Le 4 mai 1930, en demi-finale du championnat de France, le Palois Fernand Taillentou plaque le jeune ailier agenais, Michel Pradié, avec une telle violence que celui-ci en meurt.
Les supporters ne sont pas en reste puisque en 1930, lors du match France-Galles, le public – 45 000 spectateurs – reprochant les décisions de l’arbitre anglais M. Hellewell, se fait si menaçant que la France sera exclue de toute rencontre internationale pendant plusieurs années.
Les stars de Gascogne
Le Languedoc et la Gascogne ont donné de grands joueurs. Jean Prat, né à Lourdes en 1923, est un sacré buteur. Pierre Albaladejo, le demi d’ouverture est né à Dax en 1933, il deviendra commentateur. André Boniface, dit Boni, né à Montfort-en-Chalosse en 1934, a été sélectionné 48 fois à l’équipe de France. Jacques Fouroux, dit Le petit caporal, né à Auch en 1947, est un demi de mêlée incroyable. Robert Paparemborde, né à Féas (64) en 1948, est un pilier déroutant, atypique.
Plus récemment, Raphaël Ibanez, né en 1973 à Dax, est un talonneur très demandé, ou Thomas Castaignède, né en 1975 à Mont-de-Marsan, est appelé le petit Boni puis le petit Prince par l’élégance de son jeu.
Pas chauvins, on citera Serge Blanco, dit Le Pelé du rugby, certes Vénézuélien, mais qui a fait toute sa carrière au Biarritz Olympique.
Le rugby de nos jours
Aujourd’hui, les clubs basques ou gascons n’ont plus la place ni nationale ni internationale d’hier. Les gens du sud-ouest, il est vrai, sont mal armés pour développer la professionnalisation, et les nouvelles organisations qui en découlent. Car cela signifierait de fusionner des clubs, de s’unir pour être plus forts…
De plus, avec la professionnalisation, le rugby a évolué pour être un jeu (un combat ?) violent de joueurs costauds, un grand show de gladiateurs, comme l’exprime Xavier Lacrace dans son interview à Aqui!. Cette prime au physique choque Serge Blanco qui déclarait le 16 novembre 2019 sur Europe 1: Des fois, je me dis que je n’ai pas pratiqué ce sport. Ce n’est pas en termes de technique, mais en termes de combat.
De nouvelles voies s’ouvrent comme le rugby à sept. À suivre ?
Anne-Pierre Darrées
Références
Histoire mondiale du rugby, Jean-Pierre Bodis, 1987, livre préfacé par Pierre Albaladéjo
Petite histoire du rugby, Xavier Lacarce, 2017
Sociologie du sport, Jacques Defrance,
Football et rugby ces jeux qui viennent du nord, Jean Fabre, 2007
Top 10 des joueurs mythiques