L’école « Des mots et des choses » et la Gascogne

Pyrénées - paysage
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« Wörter und Sachen », « Des mots et des choses » est une école allemande d’études ethnographiques. Son travail est essentiel pour la Gascogne. Elle se développe à Hambourg dans l’entre-deux guerres et elle s’intéresse aux sociétés rurales des peuples romans.

L’école des mots et de choses

Jacob Grimm Le linguiste Jacob Grimm (1785-1863) utilise le premier le terme ds mots et des choses
Jacob Grimm (1785-1863)

Le linguiste Jacob Grimm (1785-1863) utilise le premier le terme Wörter und Sachen. Mais c’est Rudolf Meringer  (1859-1931) et Hugo Schuchardt (1842-1927) qui créent vraiment l’école « des mots et des choses » en 1912 à Munich ; ce sera d’ailleurs le nom d’une revue.

Wörter und Sachen (Des mots et des choses)
Wörter und Sachen, la revue de R. Meringer

Meringer pense que l’étude d’une langue n’est « qu’une partie de la recherche sur les cultures, que l’histoire de la langue a besoin pour expliquer les mots de l’histoire des choses, de même que l’histoire des choses à la connaissance de la vie et de l’ensemble des activités d’un peuple ». La méthode consiste à mettre en regard le mot et l’objet pour les décrire. Ainsi, la connaissance de la culture, de la pensée et de l’âme d’un peuple devient essentielle à la compréhension des mots.

Fritz Kruger fonde l'école des mots et des choses
Fritz Kruger, au port d’Acumuer (Aragon – 1927)

C’est à l’université de Hambourg que l’école « des mots et des choses » prospère sous la direction du professeur Fritz Krüger. Entre 1927 et 1929, celui-ci parcourt les deux versants des Pyrénées pour réaliser des enquêtes. Il publie plusieurs ouvrages sur la comparaison des habitats permanents et pastoraux dans les différentes vallées, sur l’architecture intérieure et extérieure des maisons, sur la culture matérielle pastorale, sur les moyens de transport dans les Hautes-Pyrénées, sur les pratiques agricoles et apicoles, sur le tissage du lin.

 L’école « des mots et des choses » nous laisse 53 études ethnographiques réalisées dans les pays européens où des sociétés rurales emploient encore, à côté des langues nationales, leurs dialectes issus du latin. Parmi elles, 16 concernent la France. 

L’école des mots et des choses en Gascogne

G. Rohlfs (1892-1986)
G. Rohlfs (1892-1986)

Entre 1926 et 1935, le Professeur Gerhardt Rohlfs fait des enquêtes dans les vallées pyrénéennes. Dans la vallée de Barèges, il travaille avec Joseph-Pierre Rondou (1860-1935), instituteur à Gèdre. En 1935, il publie Le gascon, études de philologie pyrénéenne, ouvrage de référence sur le gascon et sa comparaison avec les autres dialectes. Je me suis simplement proposé, dit-il, d’étudier le gascon surtout dans les traits où cet idiome se détache de l’évolution générale des parlers du midi. Il est réédité en 1977.

D’autres érudits de l’école « des mots et des choses » publient sur la terminologie pastorale dans les Pyrénées centrales (Alphonse Schmitt), sur la maison ou les modes de transport (Hans Brelis et Walter Schmolke), etc.

Joseph Pierre Rondou (1860-1935)
Joseph Pierre Rondou (1860-1935)

Les chercheurs de l’école « des mots et des choses » font des enquêtes sur le terrain. Ils décrivent les outils, les maisons, etc., font des croquis et prennent des photos. Ils relèvent le vocabulaire correspondant qu’ils restituent dans leurs publications.

La méthode de l’école « des mots et des choses » inspire des travaux comme l’Atlas linguistique de la France de E. Bermont et J. Gilliéron (1902-1910),

 

Ou encore l’enregistrement, pendant la 1ère guerre mondiale, de la voix de 2 000 soldats français prisonniers en Allemagne qui s’expriment dans leur langue ou dialecte.

Lotte Lucas Beyer et l’école dans les Landes

De 1931 à 1934, Lotte Lucas Beyer, élève de Fritz Krüger, réalise une étude ethnolinguistique dans la forêt des Landes, Der Waldbauer in den Landes der Gascogne. Elle soutient sa thèse en 1936. Elle est éditée en français en 2007. Dans son étude réalisée selon les préceptes de cette école, Lotte Lucas Beyer décrit l’habitat, la vie familiale et la vie économique des Landes. Elle consacre 14 pages au gemmage et restitue un vocabulaire gascon précieux.

Lotte Lucas Beyer cite le lieu de recueil des mots (Host. = Hostens, Belh = Belhadeade, Sabr = Sabree, Pis = Pissos). Pour expliquer les mots, elle cite abondamment des auteurs comme Félix Arnaudin, Simin Palay ou Césaire Daugé.

Lotte Lucas Beyer - Le paysan de la forêt dans les Landes de la Gascogne et dessins
Lotte Lucas Beyer – Le paysan de la forêt dans les Landes de la Gascogne et dessins

L’école « des mots et des choses » dans le val d’Azun

Lotte Paret - Arrens 1930 - Les mots et les choses
Lotte Paret – Arrens 1930 – Les mots et les choses

En Val d’Azun, Lotte Parett, une autre élève de Fritz Krüger, réalise une étude sur le vocabulaire de la vie courante à Arrens-Marsous. Elle publie sa thèse en 1932 et la dédicace à Miquèu de Camelat qui l’a aidée dans son travail de recueil :

A moussu Miquèu de Camelat
Felibre Mayourau,
En respectuous mercés
D’era soua recounechenta

La thèse a été récemment publiée par l’Association Guillaume Mauran et la Société des Sept vallées. Elle parle des productions animales et végétales, de la fabrication des produits de l’élevage, de la maison, des repas, des fêtes des superstitions, etc.

À cette occasion, on redécouvre les noms donnés aux vaches en fonction de la couleur de leur poil (extrait de la traduction française) :

  • Haubina f. « vache fauve » (M.I, 1108) < FALU-INA,
  • Coloúma f., couloumeta f. « vache de couleur blanche » (comme les colombes), (M.I, 607 « vache grise en Gascogne ») < COLUMBA,
  • Palouméta f. « vachye de la couleyur de la palombe » < PALUMBA,
  • Nabéta f. « vache de la couleur blanche du navet » < NAPU,
  • Saurina f. « vache saure » < germ. SAUR « sec, maigre » (REW7626),
  • Mouréta f. « vache noire » (M. II.371 vaco moureto « vache noiraude ») < MAURU,

L‘apport considérable de l’école allemande – à rééditer ?

Les élèves de l’école « des mots et des choses » nous ont laissé un remarquable travail d’ethnographie et de linguistique sur la vie rurale et les mots de tous les jours en Gascogne dans la première moitié du XIXe siècle.

Rédigés en allemand, ces travaux sont progressivement traduits et publiés en français. Ils nous montrent tout ce que nous devons aux romanistes allemands de l’école « des mots et des choses » dans la connaissance du gascon.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wörter und Sachen
Le gascon, études de philologie pyrénéenne, Gerhardt Rohlfs, 1935
Bulletin société de Borda, 1er trimestre 2021
Arrens 1930, des mots et des choses, Lotte Paret, 2008, édité par l’association Guillaume Mauran
Un demi-siècle après… Redécouvrir les travaux de l’école romaniste de Hambourg   Christian Bromberger

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