Les Gascons ont aussi lors arneguets, leurs jurons. Depuis le Mordiu des mousquetaires jusqu’au Bondiu actuel, en passant par l’original Vivant, ils sont si nombreux qu’on ne peut tous les présenter.
Les jurons d’Henri IV

Henri IV (1553 – 1610) adorait jurer, ce qui désolait son confesseur jésuite, Pierre Coton. Ses deux jurons préférés étaient Ventre Saint Gris et Jarnidiu [Je renie Dieu]. Le premier pourrait être une déformation amusante de Ventre Dieu, horrible sacrilège, où Dieu est remplacé par Saint-Gris c’est-à-dire Saint François d’Assise. Pour le deuxième juron, le père Coton, qui avait fort à faire avec notre roi gascon turbulent, voulut le protéger contre des soupçons sur la sincérité de sa conversion au catholicisme. il lui proposa donc de renier plutôt… son confesseur. Henri IV amusé se mit à dire Jarnicoton, juron qui devint très à la mode à la Cour et qui remplaça prudemment le précédent.
Les vieux jurons rapportés
Rabelais relève un juron gascon

Le Tourangeau Rabelais (1483 ? – 1553) fait dire à des Gascons : Sang de las cabres / Sang des chèvres. Est-ce une tournure arrangée ? Il semblerait pourtant que Sandis, Sandédis, Sandiu [Sang Dieu, Sang de Dieu] aient été plus courants en ce temps-là, mais c’était parole de mécréant.
De façon similaire, Cadedís ou Cadediu fait partie des vieux jurons dont on a trace au XVIIe siècle. On peut y reconnaitre Cap de Diu [Tête de Dieu].
Antoine Furetière confirme cadedís

L’académicien Antoine Furetière (1619 – 1688) le rapporte dans son Furetiriana, ou Les bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, p.100 : Au siège de Roses les Espagnols ne s’accommodoient point des bombes ; quand la place fut prise un Gascon se moqua d’eux, en leur disant : Quoy cette petite machine vous fait peur, cadedis vous estes de pauvres gens, les femmes de Flandre les ramassent par douzaine dans leurs tabliers.
Philippe Poisson amuse avec la verve gasconne

Plus tard, l’acteur Philippe Poisson (1682 – 1743) le fait dire à son personnage gascon, dans sa comédie L’après-soupé des auberges, p 172 (remarquons au passage que les Gascons prononçaient le français avec un fort accent gascon) :
Cadedis, ye bois vien que bous ne l’êtes pas
Yentilhomme, & de bous ye fais fort peu de cas.
Un peu plus loin, dans cette même comédie s’ajoute une deuxième juron de la même veine, mordi (p. 190):
Cadedis,
Ils beulent me tuer, & ne biennent que dix ?
Qu’ils s’en aillent, mordis ! Ye les plains ; que leur faire ?
Dix ne sont pas vastans de me mettre en colere
Abec tranquillité ye turois tous ces gueux ;
Car des graces, mordi, j’en ai tant que je beux ;
Notons aussi que le côté hâbleur du Gascon fait recette dans les comédies. Une réputation qui nous restera collée à la peau.
Ce mot de mordis, mordi, mordiu, mourdious, morblous, le professeur Christian Desplat le reprendra dans Le crime des seize, livre qui raconte le meurtre de l’abbé de Sauvelade le 25 octobre 1663 : Mourdiu, Barboutan nou es pas encoere mourt / Mordiu, Barbotan non es pas enqüèra mort / Mort-Dieu, Barbotan tu n’es pas encore mort.
Dieu me damne et Dieu me sauve
Jurer c’est se moquer de Dieu

Comme dans beaucoup de pays, religion aidant, plusieurs jurons faisaient référence à Dieu. Les autorités n’aimaient guère ces jurons qui défiaient Dieu. Et des papes ou des rois avaient condamné ces crimes. En France, Saint-Louis et plusieurs de ses successeurs interdirent de jurer. En 1681 par exemple, Louis XIV, sous l’influence de la dévote madame de Maintenon, interdit par une ordonnance à tous soldats de jurer et de blasphémer le saint nom de Dieu, de la sainte Vierge et des saints, sous peine d’avoir la langue percée d’un fer chaud. Châtiment délicat qu’avait déjà choisi Saint-Louis. Et la menace n’était pas théorique : Un misérable qui avait proféré plusieurs blasphèmes à Versailles eut la langue percée devant la cour du château (Œuvres de M. Claude Henrys, De la peine des blasphémateurs, 1708).
Et ces diables de Gascons ne sont pas bien disciplinés ! Ils jouent allègrement avec Dieu. Dieu me damne, & Dieu me sauve, c’est le juron des Gascons, précise le Dictionnaire de Trévoux, 1771, p.316. Et ils en rajoutent avec des Noum d’un Diu / Nom d’un Diu / Nom d’un Dieu, Miladiu / Mille Dieu (juron exprimant l’énervement). Les Armagnacais, eux, ont un faible pour Bou diou / Bon diu / Bon Dieu.
Jurer Au Diü bibent impose Jeanne d’Albret

Le juron le plus connu et le plus étonnant est probablement : Biban / Vivant / Vivant, et ses nombreux dérivés : Diou biban / Diu vivant, Diu bibos, Diou-bibotes, biboste / vivòste, bibailles, gran diu bibant, double diu bibant double bant. Et même Oh biban, ôbiban qui soulignent la colère. Selon Jan Bonnemason, le plus drôle est que ce jurement fut imposé par Jeanne d’Albret dans un édit de 1561 qui prescrit de prêter serment sur la bible avec ces mots : Au Diü bibent.
Mais attention, seuls les hommes osent une telle provocation. Les femmes, elles, plus mesurées, préfèrent Per ma fé / Per ma he / Par ma foi, ou mieux Diou mé daou / Diu me dau / [À] Dieu je me donne. Pourtant, ne nous y trompons pas. Diu me dau est une transformation trufandèra du juron du Moyen-Âge, Diu me damn / Dieu me damne !
Les jurons autour de hilh de, fils de
Beaucoup moins criminels, les jurons avec hilh de offrent une belle variété de possibilité. Le dictionnaire de Vincent Foix en rapporte plusieurs, des jurons burlesques :
Hilh de le maï / Hilh de la mair / Fils de ta mère (sous-entendu illégitime) et ses variantes
Hilh de le maï coudétte / Hilh de la mair codeta / Fils de la mère bigote,
Hilh de l’aoüt / Hilh de l’aute / Fils de l’autre,
ou encore Hilh dou trénte / Hilh de trente, Hilh de clouque / Hilh de cloca / Fils de glousse, Hilh de piques / Hilh de pica…
ou des jurons plus grossiers :
Hilh dé garce / Hilh de garça / Fils de garce
Hilh de pute / Hilh de puta / Fils de pute
Hilh de la pute biélhe / Hilh de puta vielha / Fils de vieille pute
Et, bien sûr, l’intonation permettra de donner bien des reliefs différents à un même juron, comme le souligne Jean-Claude Coudouy dans son sketch :
Dans le même esprit, on pourrait ajouter Macarèou / Macarèu, bien que ce juron soit venu du français Maquereau.
Les jurons secondaires
À côté de ces grands jurons, l’imagination en a trouvé beaucoup d’autres. Par exemple, Noum d’un sort / Nom d’un sòrt / Nom d’un sort, c’est une expression qui fait référence au sort jeté par un sorcier. Ou encore Crouts dé pailhe / Crotz de palha / Croix de paille, Diagne / diable ou A le diagnou / diantre, diable hòu… Rappelons que le diantre est un forme vieillie qui signifie le diable.
Lanche ou Laïtre / L’âme, ou encore Lanche dou tros ou Laïtre dou tros / L’âme des morceaux, L’amne dou cos / L’âme du corps : il s’agit là de jurer par son âme.
D’autres jurons sont plus moqueurs comme Couyon de la lue / Colhon de la lua / Couillon de la lune, machante peyt / maishanta pèth, porc / pòrc..
Aoü gran bireban / Au gran viravan, ou plus doux aoü gran bire pachèt / au gran vira-paishèth / au grand tourne pieu est plutôt un juron comique : aoü gran bire-ban qu’an tout perdut, Saint-Jean-Tauziet, Lou marchand de cantes, Le Républicain landais, 1872.
Et ceux qui terminent en chanson commingeoise
L’autre dio sus la faugèiro, Que goardàbi lou bestia, Rencountrèri io pastourèlo A l’oumbreto d’un alba. Elo me dit : Petit garçou, Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche, Elo me dit : « Petit garçou, Cantariots io cansou ? »Jou per plaire à la bergèro Me metèri à canta, (bis) E per milhou la coutenta, Me metèri à dansa.Jou la prengui e l’embrassi, Sus l’erbèto la pausèi ; (bis) Elo jamais noun digo ré, De tant que preniò plasé.Las poupétos de la bergèro Sentission à soun parel, E lai de lai doumaisèlos A la roso dou mousquè. O Diu bibant ! Qu’auét hèit pla, Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche, O Diu bibant ! Qu’auét hèit pla, Se bous y bouliots tourna. |
L’autre dia sus la faugèira, Que guardavi lo bestiar, Rencontrèri ia pastorèla A l’ombreta d’un alba. Ela me ditz : Petit garçon, Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche, Ela me ditz : Petit garçon, Cantariatz ia cançon ?Jo per plaire a la bergèra Me metèri a cantar (bis) E per milhor la contentar Me metèri a dansar.Jo la prengui e l’embrassi, Sus l’erbèta la pausèi ; (bis) Ela jamais non diga ren, De tant que preniò plaser.Las popetas de la bergèra Sentissian a son parel, E lai de lai domaisèlas A la ròsa deu mosquèr. O Diu vivant ! Qu’avetz hèit plan, Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche, O Diu vivant ! Qu’avetz hèit plan, Se vos i voliatz tornar. |
La version en français
L’autre jour sur la fougère,
[Tandis] que je gardais le bétail
Je rencontre une pastoure
[Assise] à l’ombre d’un saule.
Elle me dit : Petit garçon,
Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche,
Elle me dit : Petit garçon,
Chanterais-tu une chanson ?

Moi pour plaire à la bergère
Je me mis à chanter, (bis)
Et pour mieux la contenter,
Je me mis à danser.
Je la prends et l’embrasse,
Sur l’herbette la pose ; (bis)
Elle, jamais, ne dit rien,
Tant elle prenait plaisir.
Les petits seins de la bergère
Sentaient à leurs pareils,
Et ceux des demoiselles
À la rose du musqué.
Ô Dieu vivant ! Vous feriez bien,
Saut demi-tour, demi-tour, demi-gauche,
Ô Dieu vivant ! Vous feriez bien,
Si vous vouliez recommencer.
Références
Furetiriana, ou Les bons mots et les remarques, histoires de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition, Antoine Furetière, 1696
Les œuvres de Monsieur Poisson, tome premier, 1743
A travers le folklore du sud-ouest, René Cuzacq, 1951, les jurons landais, béarnais et gascons
Le crime des seize, Christian Desplat, 2000
La canta et lo cantar deu noste parlar, florilège amoureux du gascon béarnais, Jan Bonnemason, 2018
dictionnaire gascon français (Landes) de l’abbé Vincent Foix, rédigé entre 1885 et 1932
Chansons populaires des Pyrénées françaises, L’autre dio sus la faugèiro, Jean Poueigh, 1989, p. 207
Bravo pour cet article très intéressant et au plaisir de vous lire de nouveau.
Plâ couraumén.
Michel Feltin-Palas