Les salaires en 1890 dans la vallée d’Ossau

La vallée d'Ossau vue des contreforts du Plaa de Soum
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En 1891, François Capdevielle (1843-1936), prêtre de la paroisse d’Aàs et amoureux des montagnes, réalise un état social détaillé de la Vallée d’Ossau. Il recense, entre autres, les salaires pratiqués. L’occasion de comprendre la situation financière des familles.

Les salaires en vallée d’Ossau en 1890

S’il y a quelques scieries et quelques carrières, l’essentiel de l’activité de la vallée d’Ossau reste l’agriculture. L’abbé relève les salaires qui y sont liés, c’est-à-dire ceux du bracèr (brassier, journalier), et des personnes employées à l’année.

  • Le braçèr ou la personne travaillant à la tache perçoit :
  • Le  faucheur, le laboureur, le bûcheron, non nourri : 2,50 à 3,50 francs/j
  • Le  faucheur, le laboureur, le bûcheron, nourri : 1,50 à 2 f/j
  • La femme, non nourrie : 1,50 f/j
  • La femme, nourrie : 0,60 à 0,75 f/j
  • Les enfants de 12 ans : 0,50 f/j

Les artisans sont mieux payés, comme le charpentier, le menuisier ou le maçon qui touchent 3 à 4 f/j. D’autres professions sont des employés ou ouvriers et travaillent à l’année comme les domestiques agricoles ou les pasteurs de 17 à 50 ans qui ont un salaire annuel de 150 à 300 francs. De 13 à 17 ans ou de 50 à 70 ans, ce salaire tombe de 40 à 150 francs. Enfin, les domestiques, femmes ou filles reçoivent de 17 à 50 ans, 120 à 150 francs, de 13 à 17 ans, 30 à 80 francs.

Pour un ordre de grandeur, 300 francs/an à l’époque serait environ 1 100 €/an aujourd’hui.

Les plus en nature

L’abbé relève que la très grosse majorité des paiements sont en salaire, peu en nature. Pourtant, pour le fauchage ou le battage du blé par exemple, au lieu de percevoir un salaire, l’ouvrière peut être nourrie et recevoir 2 décalitres de grains, soit l’équivalent de 1 franc. La cardeuse de laine préfère souvent recevoir un poids de laine pour habiller sa famille.

Les domestiques ont parfois des arrangements qui leur permettent de recevoir, en sus de leurs gages, une ou deux paires de sabots, une paire de souliers, un pantalon ou un cotillon de laine, et une ou deux chemises filées.

Le temps de travail du salaire

La loi du 2 novembre 1892 réglemente la durée du travail et les salaires
La loi sur la durée de travail du 2/11/1892

Au moment de l’étude de l’abbé, le temps de travail était de 15 h/j pour les adultes et 12 heures pour les enfants. La Troisième République va diminuer, le 2 Novembre 1892, la durée journalière légale du travail. Elle passera à  10 heures pour les 13-16 ans,  11 heures pour les 16 à 18 ans et les femmes, et 12 heures pour les hommes.

D’autres avancées auront lieu avant la fin du siècle, comme la première loi sur les accidents du travail — ceux-ci étaient extrêmement nombreux. Puis le 30 Mars 1900, le temps de travail revient devant l’Assemblée qui votera la réduction progressive du temps de travail, tous les 2 ans jusqu’à attendre la durée journalière de 10 heures.

Des salaires différents selon les régions de France

Des salaires plus élevés à Paris qu'en province
La construction du métro à Paris

Les salaires sont plus élevés à Paris , en gros le double, puisque on note à la même époque qu’un journalier, ou un ouvrier de petites industries gagne 4 à 5 francs par jour,  une ouvrière 2,50 f/j, un artisan comme un charpentier 8 francs par jour. Mais attention, le coût de la vie y est en proportion.

Au niveau des provinces, les hauts salaires sont plutôt en Île-de-France, en Haute-Normandie, en Champagne, en Franche-Comté et en Provence. Les plus bas salaires sont en Bretagne, sur les marges armoricaines, en Midi-Pyrénées et dans le sud de la Gascogne.

Toutefois, dans une même région, la disparité des salaires reste assez importante. Par exemple, le garçon de café, en 1890, travaille de 8 h du matin jusqu’à minuit (16 h/j ) et ne vit que des pourboires. Le facteur fait ses tournées à pied — 28 kilomètres en moyenne, pouvant aller jusqu’à 40 km — et touche 600 francs par an. Les aiguilleurs des chemins de fer, quant à eux, touchent 900 à 1000 francs par an pour 15 à 16 heures de travail par jour.

Quelques prix pour se repérer 

Des salaires qui permettent à permettent à peine de survivreAfin d’approcher ce que pouvait être leur pouvoir d’achat, notons en 1890, dans le département de la Seine :

  • 90 centimes pour 1 livre de pain
  • 10 centimes pour 1 litre de lait
  • 25 centimes pour 1 côtelette de porc
  • 10 centimes pour 1 litre de vin
  • 5 centimes pour 1 kg de charbon
  • 10 centimes pour 1 cornet de frites

Mais dans nos régions aux salaires moins élevés, le kg de pain ne dépasse pas les 40 centimes, soit 9 heures de travail pour un enfant ou 2 heures pour un homme. À titre de comparaison, en 2020, une personne touchant le SMIC doit travailler 20 minutes pour se payer 1 kg de pain.

Ainsi, on comprend bien que les familles sont pauvres.  Tout le monde travaille, même les enfants, dès la fin de la scolarité, vers 12-13 ans.

L’emprunt des familles ossaloises

Arudy – La Caisse d’épargne

L’abbé Capdevielle a un constat assez sévère sur le rapport à l’argent des propriétaires de la vallée d’Ossau.  Ceux-ci, à l’opposé de leurs ainés, empruntent assez facilement et rendent peu. Biengo doun biengo / Vienga d’on vienga / vienne d’où vienne est devenu la formule à la boucheVastin Lespy et Paul Raymond dans leur Dictionnaire béarnais ancien et moderne, précise pour cette expression : Se dit proverbialement des choses que l’on prend de toute main, de toute provenance, sans y regarder de près, à tout hasard.

Du coup, les choses se dégradent. Il y a des expropriations, le Crédit Foncier de France a dû se rendre acquéreur pour couvrir des créances. Les prêts deviennent plus difficiles à obtenir. Des entremetteurs proposent des prêts à des prix de plus en plus élevés.

L’épargne des familles ossaloises

Des travaux qui déséquilibrent l'économie (salaires, coûts de terrains)
La gare de Laruns vers 1900

Dix ans auparavant, alors que débute la crise agricole (1880-1900), les chemins de fer ont acheté des terrains, apportant de l’oxygène et du plein emploi. Cet argent a été dépensé soit pour restaurer les maisons, soit pour étendre les propriétés. Mais les prix ont augmenté comme le montre cet achat d’un demi-hectare de prairie par un paysan de Laruns à 13 000 francs ! Pratiquement le double de sa valeur à l’époque. Notons que cela correspondrait à environ 50 000 € aujourd’hui, soit 20 fois le prix actuel de la terre agricole.

Il y a eu peu d’épargne. D’ailleurs, la Caisse d’Épargne de Laruns a fermé ses portes. L’abbé encourage les habitants à économiser et à travailler, citant la réussite de Billères. Et de rappeler l’adage ancestral : aide-t-i mon homi, et Diou qu’et aïdéra / aida t’i mon òmi, e Diu que t’aiderà / Aide-toi mon homme et Dieu t’aidera (aide-toi et le Ciel t’aidera, dit-on en bon français)

Références

La vallée d’Ossau, L’état social, F. Capdevielle, 1891
Relevé des prix et salaires 19e et 20e siècles,
Les disparités des salaires en France qu XIXe siècle,  Jean-Marie Chanut, Jean Heffer,  Jacques Mairesse, Gilles Postel-Vinay, 1995, Persee, volume 10 – n°3-4, pp. 381-409
Essai d’explication de la baisse du prix des terres,  Jean-Pierre Boinon et Jean Cavailhès, 1988
La crise agricole à la fin du XIXe siècle en France, Jean Lhomme, 1970

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