Les vieux métiers racontés
Les métiers s’adaptent à l’évolution de la vie et de la technique. Lo Ramonet deu Pè de la Vit nous offre dans son Mestièrs fotuts e fotuts mestièrs, un aperçu de quelques vieux métiers et un aperçu de la vie du XXe siècle à travers quelques histoires bien campées.
Des métiers perdus
Raymond Lajus, dit Lo Ramonet deu Pè de la Vit, fut maître d’école au Houga et vigneron. Il avait commencé sa carrière durant la Seconde Guerre mondiale. Pour sa retraite, il s’installa à Lias d’Armagnac et assouvit sa soif d’écrire. Écrire en gascon bien sûr ! Pour lui, aimer la langue et aimer le pays, ça va de pair.
Dans son livre, écrit en bilingue gascon / français, Lo Ramonet nous présente l’esclopèr, lo cercler, lo barricaire, lo paèraire, lo peirèr, lo putzatèr e las costurèras / le sabotier, le cerclier, le tonnelier, le vannier, le carrier, le puisatier et les couturières.
Pour chacun il va expliquer à quoi ressemble l’atelier, quels sont les outils – une bonne occasion d’apprendre des mots en gascon – et la façon dont cela se passe. Le tout est raconté avec allant.
Un exemple, le métier de sabotier
Après avoir coupé de jolis vergnes, les avoir débités en billons de 35 cm, sciés, fendus, le sabotier obtient deux morceaux de bois, ébauches d’une paire de sabots qu’il dégrossira et ajustera à ses clients.
E adara lo paroèr qu’entra en dança : un famús cotèth de quate pams de talh dab un anèth aubèrt per cap qui jòga dab un aute barrat, gahat dens ua pua sus lo picardèr e manshat de l’aute. | Et maintenant le paroir entre en action : un fameux couteau de quatre empans de tranchant avec un anneau ouvert par bout qui joue avec un autre fixé d’un crampon sur un gros billon, et emmanché de l’autre. |
On entend à travers la description deu Ramonet, les coups de tarière ou d’herminette ; le sabotier tourne le sabot, l’un vers la droite, l’autre vers la gauche, vérifie les symétries. Enfin, il le mettra au pied de son client, qu’il l’ait plat, torçut, estret o esplatuishat / plat, tordu, étroit ou étalé. La roana, ce racloir de sabotier, lisse le sabot pour l’affiner, le rendre beau, pour qu’il plaise aux dames les plus exigeantes. Et, enfin, la touche finale :
dab quina patiencia e qui amor lo Marius polirà lo deguens com lo dehòra…Dab quin plaser, l’obratge acabat, qu’esbaucharà sus los devant dus rams dab lo brost, junts per lo gran cap, la soa merca. | avec quelle patience et quel amour Marius polira l’intérieur comme l’extérieur… Avec plaisir, l’œuvre accomplie, il gravera deux rameaux feuillus joints par la base, sa marque de fabrique. |
Entre deux métiers, une histoire
L’autre point très sympathique de ce livre est de présenter, entre deux métiers, des contes, des récits : Las esclopetas de la « Maria-Chòn-Chòn » est une bien jolie histoire qui illustre la présentation du métier de sabotier.
La hera de la Matamena : « Ací que’s panavan las hemnas e las agulhadas » / La foire de la Madeleine : « là où on volait les femmes et les aiguillons » ou Lo mercat deu vetèths a Vilanava (de Marsan) / Le marché aux veaux de Villeneuve (de Marsan) sont une occasion de (re)vivre l’ambiance des marchés.
E de tastar, tastar… tastar enqüèra l’animaut, cercant un travèrs o un defaut ; ací que pleitejan, aquiu que s’engulan, mei loenh que’s goteishen la vesta… Quin demenat d’òmis en blosa negra e de perpaus non agradius. E l’un de virar lo cuu, har hisa de partir… de tornar, virolejar a l’entorn… A ! la shaliva ne’us hè pas dòl. | Et de tâter, tâter… tâter encore l’animal, cherchant à découvrir un défaut ou quelques travers ; ici, ils discutent, là, ils s’insultent, plus loin ils se secouent le col de la veste… Quel mélange de blouses noires et de propos grossiers ! Et l’un de tourner le dos, en faisant mine de partir… de revenir, de tourner à nouveau autour de la bête… Ah ! La salive ne leur fait point défaut. |
Et de terminer le récit par cette phrase : Anatz véner un vetèth au mercat de Vilanava : veiratz quin cinemà ! / Allez donc vendre un veau au marché de Villeneuve et vous verrez quel cinéma !
Les métiers perdus dans le futur
Au cours du temps, il est bien naturel que des métiers se perdent. Les placeurs de quilles, les rémouleurs ou les poinçonneurs ne sont plus utiles. Aujourd’hui la Think Tech Institut Sapiens a identifié des métiers menacés d’extinction, comme manutentionnaires, secrétaires de direction, employés de comptabilité ou caissiers. Et plus globalement, les observateurs internationaux attendent une perte d’au moins 50% des métiers d’aujourd’hui ! Une vraie accélération.
Pas de quoi saper le moral toutefois, car de nouveaux métiers apparaissent aussi, comme pilote de drône ou détective de données. D’ailleurs, depuis 30 ans, d’après DARES, Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques, si les effectifs des métiers agricoles ont été divisé par deux et ceux des métiers industriels ont diminué de 25%, les effectifs ont fortement augmentés dans la santé et l’action sociale, ou dans les services aux particuliers. Le tout fait apparaître un solde positif.
Alors, dans ce tourbillon annoncé, comme Lo Ramonet de la Vit, gardons trace de nos métiers…
Références
Mestièrs fotuts e fotuts mestièrs, tome 1, Lo Ramonet deu Pè de la Vit, Editions Per Noste, 1994
Comment ont évolué les métiers en France depuis 30 ans, Dares analyses, janvier 2017
Le top 5 des métiers en voie de disparition, Institut Sapiens, août 2018
21 métiers du futur, Cognizant, novembre 2017