L’ormeau, l’arbre le plus populaire de la Gascogne
L’ormeau est de loin l’arbre le plus populaire de Gascogne. Arbre de la justice, arbre d’ornement, arbre sacré, arbre de la communauté, et arbre perdu…
Le poète gascon Saluste du Bartas (1544-1590) évoque dans La sepmaine (III,479-500) plusieurs arbres que l’on trouve couramment par chams, & par coûtaus :
Le chéne porte-gland, le charme au blanc rameau,
Le liege change écorce, & l’ombrageus ormeau,
Il parlera encore du sapin, du larix [mélèze], du cèdre libanois, du buis, de l’aune et du puplier. De tous ceux-là, l’ormeau a une place spéciale.
L’ormeau et la vigne
Dans la région de Simorre dans le Gers, les vignes s’appuient sur les ormes selon une technique très ancienne dite en espalièras [espaliers], nous dit l’archiviste Henri Polge (1921-1978). On plantait des ormes tous les 3 m, on les étêtait à 2,50 m et on mettait un cep de vigne à chaque pied. Au fur et à mesure de la croissance, on attachait les sarments aux branches de l’arbre. Une sorte de treille en somme. Pey de Garros (XVIe siècle) nous le rappelle dans sa deuxième églogue :
Plus no vau hene las vivêras,
Ny plus podá las vidaugueras
Dam nostes aoms maridadas;
Plus non vau héner las vivèras,
Ni plus podar las vidauguèras
Damb nostes aums maridadas;
Je ne vais plus couper les vers de terre,
Ni tailler les vignes sauvages,
Mariées avec nos ormeaux ;
En fait, on trouve cette technique un peu partout comme chez nos voisins basques (zuhamu). Elle nous vient de l’Antiquité. D’ailleurs, Ovide, au 1er siècle av. JC, écrit (avec malice ?) dans ses Amours : ulmus amat vitem, vitis non deserit ulmum [l’orme aime la vigne, la vigne n’abandonne pas l’orme].
Comme Ronsard (1524-1585) qui reprend dans Chanson :
Plus étroit que la vigne à l’Ormeau se marie,
De bras souplement forts,
Du lien de tes mains, maîtresse, je te prie,
Enlace-moi le corps.
Ou Pierre Lachambeaudie (1806-1872) dans la fable La Vigne et l’Ormeau – Source : Mon livre audio
L’ormeau borde les chemins
En 1552, Henri II prescrit, dans un édit, de planter des ormeaux le long des routes pour servir aux affuts et remontage de l’artillerie. Plus tard, Sully généralise cette pratique. Cela déclenche diverses réactions comme le fait de mutiler ces arbres de bord de route : « c’est un Sully, faisons-en un Biron ! » crient nos Gascons, Biron étant un ami d’Henri IV, même s’il a comploté contre lui !
Outre Sully, nos ancêtres trufandèrs [moqueurs] appellent aussi cet arbre rosnio / ròsnia toujours pour faire référence à Sully, duc de Rosny.
En fait, c’est surtout à proximité des villes, sur les promenades ou les places publiques que l’on plante l’arbre et qu’on le respecte. On en baptise des rues comme, étonnamment, une pousterle d’Auch, las ometas [les oumettes, les petits ormes], qui, très étroite, n’a surement pas connu d’ormes.
Et ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que le platane remplacera l’ormeau sur le bord de nos routes.
L’ormeau dans la vie du village
Sur la grand-place, c’est l’ormeau qui est planté. L’arbre participe ainsi aux manifestations locales comme les marchés, les danses, les banquets ou tous simplement les palabres. Quand il vieillit, on en plante un deuxième qui prendra sa place. Comme un symbole de la longévité de la collectivité.
Il faut dire que l’orme a des vertus. Arracher une racine à l’ormeau de Saint Antoine garantit la force des jeunes mariés. Une infusion de ses feuilles soigne les rhumatismes…
Les châtelains ne sont pas en reste, et plantent des omadas [ormaies] comme, en 1610, au château de Roquelaure, près d’Auch.
L’arbre des actes officiels
Au Moyen Âge, l’ormeau sert de point de réunion. On y conclue des actes solennels, des donations. C’était sous l’orme de Lourdes que le comte de Bigorre venait recevoir l’hommage du vicomte d’Asté, signale le médiéviste Francisque Michel (1809-1887).
Autres exemples. Monluc a tenu conseil de guerre sous l’orme du Pâtus à Cézan (Gers), un notaire de Simorre officie sous l’orme de la chapelle de Saintes. Le cartulaire de Berdoues fait état d’un acte passé sous un ormeau. Un soi-disant chevalier de Saint-Hubert soigne au XVIIIe siècle ses malades sous les ormeaux du Pradau à Condom. Etc.
De même, la justice – souvent lente – est rendue sous un orme d’où l’expression : attendez-moi sous l’orme. À noter, le même arbre sert aussi à pendre les condamnés !
L’ormeau et les miracles
On trouve des ormeaux devant les églises, allant parfois jusqu’à leur laisser leur nom comme Sent-Martin de las Oumettos / Sent-Martin de las Ometas [Saint-Martin de Las Oumettes dans le Gers. Ometas voulant dire petits ormeaux ou jeunes ormeaux.
Les statues miraculeuses de la Vierge sont taillées dans des ormeaux. La statue de Cahuzac ou de Biran a été trouvée miraculeusement sous un ormeau ! La Vierge de Tonneteau apparut sur un ormeau et on sacrifia l’arbre pour en faire des statues.
L’ormeau étant parfois planté à côté d’une fontaine consacrée, des légendes naissent. Par exemple dans la Houn de Loum / Hont de l’om [fontaine de l’ormeau], l’ormeau est l’aiguillon que Saint-Orens a planté en terre. Cette fontaine, située route de Roquelaure, guérit les maladies des yeux. Elle a été fréquentée jusqu’à la moitié du XIXe siècle.
Quand l’arbre vieillit
L’ormeau peut vivre longtemps, plus de 400 ans et atteindre des dimensions impressionnantes. À Goujon (Gers), un ormeau fait 11 m de circonférence (1,90 m de diamètre). C’est un sully planté en 1609 ou 1610. Sous son ombre, on y aurait donné des banquets de plus de trente convives.
Quand il vieillit, l’arbre se creuse, on dit alors que c’est un touat / toat [creusé] de tou [creux]. Et on lui trouve de nouveaux usages. À tel endroit, l’arbre creux, le toat, sert d’ermitage, à tel autre, un savetier l’utilise comme échoppe. Certains esberits [malins] se cachaient alors à l’intérieur. Il fallut d’ailleurs en 1766 faire abattre un arbre à Auch car des voleurs y attendaient leurs victimes.
Puis l’arbre meurt
L’ormeau est en général bien soigné et protégé. Et quand l’ormeau meurt, c’est la consternation et le deuil. D’ailleurs, on hésite à l’abattre malgré les dégâts qu’il peut occasionner surtout en vieillissant. En 1728, les consuls d’Auch décident d’abattre les ormeaux du promenoir de Saint-Orens. C’est l’émeute, curé en tête ! En 1815 à Brignoles, une branche se casse et tue deux soldats. La municipalité, refuse de l’abattre et décide de l’étayer.
L’ingénieur agronome Jean Bourdette (1818-1911) raconte qu’enfant, il se cachait avec 3 ou 4 camarades dans celui de la place d’Argelès-Gazost. Sa végétation était encore très belle, mais la commune décida de l’abattre en 1833 pour le remplacer par une fontaine. Un Labedanais fit alors une chanson dont le refrain est :
Chers habitans du hameau,
Pleurez garçons et fillettes :
Vous n’irez plus sous l’ormeau,
Danser un joyeux rondeau !
La disparition de l’orme
Touchés par la graphiose (maladie liée à un champignon), l’orme a pratiquement disparu de l’Europe de l’ouest. À défaut, les Gascons plantent des nouvelles espèces d’orme comme l’orme de Sibérie. Six d’entre eux ont été plantés cette année à Auch, place Jean Dours devant la maison de Gascogne. Le renouvèlement d’un symbole ?
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Entre la vigne et l’orme, une parabole fructueuse, 2021
« Cahuzac », Revue de Gascogne, Adrien Lavergne, janvier 1882, p. 419-420
« Goujon, abbaye et paroisse », Revue de Gascogne, Paul Gabent, curé de Pessan, 1895, p 545-559
L’orme au village, Annales du midi, Henri Polge, 1976, p. 75-91
Bref légendaire des arbres de Gascogne, Henri Polge, 1958 – bilbliothèque Escòla Gaston Febus