Los aguilhonèrs son davant l’ostau
Une ancienne tradition gersoise qui n’a pas attendu la découverte d’Halloween. Les aguilhonèrs consistent, pendant l’Avent, en des visites des maisons du voisinage par un groupe de jeunes gens. Des visites qui permettaient de collecter des victuailles dont une partie sera partagée avec toute la communauté du village. Redécouvrons cette coutume.
Les aguilhonèrs
Les aguilhonèrs sont trois à six jeunes gens dont l’un porte une lanterne et un autre, si possible, conduit un âne qui transporte les aliments collectés. Serge Fourcade, qui a pratiqué cette tradition dans les années 1920 à Labastide d’Armagnac, raconte qu’ils étaient alors plus nombreux, une bonne dizaine, et que l’âne était l’un d’entre eux vêtu d’une pelisse et chargé de porter les dons.
Chacun a un bâton de marche. On peut voir dans cette troupe les rois mages, la lanterne représentant l’étoile. Les quatre samedis précédant les quatre dimanches de l’Avent, ils vont de maison en maison demandant en chantant des victuailles. On leur donne surtout des noix, des pommes, des œufs, de la farine, parfois de l’eau-de-vie. Quand ils en reçoivent, ils remercient toujours en chantant leur chanson, l’aguilhonèr, parfois accompagnée d’une danse. L’un chante les couplets et les autres reprennent la moitié de son chant ou uniquement le mot aguilhonèr. Quand ils ne reçoivent pas de présents ou qu’ils se font accuser de tapage, les jeunes gens peuvent parfois se laisser aller à proférer des insultes bien senties ou des malédictions. Faut bien s’amuser !
Le tour commence à la nuit tombée et peut durer jusqu’à une heure avancée. Il semblerait qu’ils parcourent quelques dizaines de km pour ratisser large. Il n’est pas rare qu’on leur offre une collation légère quand ils arrivent un peu tard dans une maison. Cette tournée permet aussi d’échanger un còp d’uelh avec une fille à marier. Parfois, ils tombent sur une autre troupe d’aguilhonèrs, et, là, c’est le bâton qui parle ! Car on est volontiers batalhaire en Gascogne.
Le butin collecté servira à confectionner des pains à l’anis vert qui seront bénis et distribués à la messe de minuit. Le surplus permettra aux jeunes quêteurs de faire un joli réveillon.
L’origine de l’aguilhonèr
Certains ont vu dans ce terme l’expression « au gui l’an neuf ». L’historien Émile Lefranc (1798 – 1854) dans son Histoire de France nous rappelle l’usage des Gaulois de courir dans les rues le premier jour de l’an en criant « au gui l’an neuf ». Or, le dictionnaire de Simin Palay précise que cette coutume serait arrivée en Gascogne des pays d’outre-Loire par l’Agenais. Et l’abbé Monlezun, dans son Histoire de la Gascogne, ajoute que cet usage antique s’est étendu jusque dans le pays de Lectoure en se teintant de christianisme.
Serge Fourcade note que la pratique serait originaire d’Angleterre et viendrait d’un ancien rite druidique. Le mot guilanneuf prononcé aussi guilaneu dans le nord est devenu chez nous guilounéou puis guilhonèr.
Selon l’Audois Henri Boudet, le mot gascon aguillouné (graphie moderne) serait proche du mot celtique initial eguiouné composé de eguiou / ague : fièvre intermittente et nay / né qui veut dire non. Donc Aguillouné exprimerait les vertus du gui, en particulier dans sa capacité à guérir la fièvre intermittente.
D’autres enfin font un rapprochement avec l’agulhada, bâton qui servait à faire avancer les bœufs dans les labours. Ce bâton est équipé d’une lame de fer pour nettoyer la charrue et, à l’autre extrémité, d’un aiguillon pour faire avancer l’attelage.
Quoi qu’il en soit, les Gersois en ont fait une pratique large, qui se répétait plusieurs samedis, soit à partir du premier dimanche de l’Avent, soit à partir du 25 novembre, selon les sources.
La chanson de l’Aguilhonèr
Il nous reste quelques textes de cette chanson, différents les uns des autres. Il est probable que diverses versions aient existé, résultat d’une évolution dans le temps. Pourtant la constitution est la même. Un refrain qui demande de donner aux aguilhonèrs, et des couplets assez libres qui s’adaptent aux circonstances. Ces couplets sont pour les trois premiers très polis pour inciter à ouvrir la porte puis, selon la réaction des personnes de la maison, les couplets sont différents voire inventés sur le moment.
Début XXe siècle, le refrain est :
L’aguilhouné ‘n’y faut dounè Aous coumpagnous |
L’aguilhonèr n’i faut donèr Aus compagnons |
L’aguillouné Il faut donner Aux compagnons |
Les premiers couplets flatteurs disent que les compagnons son arribèts sus la pòrta d’un Chivalièr o d’un Baron (sont arrivés sur la porte d’un Chevalier ou d’un Baron). Puis si la troupe est satisfaite des offrandes, le chanteur dira Bravas gens qu’avem trobat / L’aguilhonèr nos an donat (Des braves gens nous avons trouvé / L’aguillouné ils nous ont donné) ou encore Que Diu goarda la maison / Dambe las gens que deguens son. (Que Dieu garde la maison / Avec les gens qui sont dedans).
Pour inciter à donner un peu plus, l’un ou l’autre peut amuser les enfants de la maison. Le chanteur peut dire O se nse davatz un caulet / Poiré brostar lo borriquet (Ou si vous nous donniez un chou / Pourrait brouter le bourricot) et un autre de la troupe fait un saut périlleux.
Parfois, les jeunes gens se permettent des plaisanteries. Par exemple, quand l’homme est connu pour ses écarts, le chanteur peut dire Diu vos donga astant de hilhs / Coma au chai i a de mosquilhs (Dieu vous donne autant de fils / Qu’au chai il y a de moucherons).
D’autres fois, c’étaient les gens de la maisonnée qui s’amusaient à faire attendre les jeunes. Et enfin, devant une porte close, les jeunes gens pouvaient insister Obrissetz-nos, per charité / nat deus cantaires n’es sorcièr / ni lop garon (Ouvrez-nous par charité / Aucun des chanteurs n’est sorcier / Ni loup garou). Ou témoigner leur désappointement en frappant du bâton sur les volets ou en chantant quelques couplets moins sympathiques. Se nos voletz arrenbalhar / Dens vòstes porrets iram cagar (Si vous ne voulez rien nous donner / Dans vos poireaux nous irons chier)
Une pratique encore vivante
Cette pratique qui s’était perdue a été relancée en 1942 par le maréchal Pétain dans son opération Retour à la terre. Puis la pratique s’est peu à peu éteinte. Sous le nom de la guignolée, la tradition de collecte de dons au moment de Noël, pour des œuvres de bienfaisance, reste très vivante au Canada francophone.
Depuis 2009, le groupe de musique des Aguilhounés, créé par Thierry Truffaut en lien avec l’école de musique locale, fait revivre la tradition. Il accompagne des jeunes et moins jeunes des villages de la région du Houga visiter leurs voisins, le chant étant alors accompagné de musique traditionnelle gasconne. Leur refrain est:
A la venguda de Nadau Los aguilhonèrs son davant l’ostau Per vos soetar de bons Avents A tots vosauts qui etz deguens |
A l’approche de Noël Les aguilhounés sont devant la maison Pour vous souhaiter de bons Avents A vous tous qui êtes dedans. |
Un extrait de deux minutes du documentaire de Gilles Dréanic, avec la chanson de l’Aguilhonèr :
Références
Dictionnaire du Béarnais et du Gascon Modernes, Simin Palay
Les mystères du Gers, Patrick Caujolle, 2013
La vraie langue celtique, Henri Boudet, p. 383
Histoire de la Gascogne, tome 1, Abbé Monlezun, 1846, p. 22
Adrien ou paroles de bastidiens, Serge Fourcade, 1999
https://www.ladepeche.fr/article/2014/12/21/2016016-une-tradition-gasconne.html
Les Aguilhounès, 2014, Parlem-tv, Gilles Dréanic