Les siècles noirs de la sorcellerie en Gascogne

GOYA_-_El_aquelarre_(Museo_Lázaro_Galdiano,_Madrid,_1797-98) - Les sorcières
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Au XIVe siècle, l’Église juge la population encore trop païenne et se met à combattre les sorciers, qui ont alors un rôle social important. Pour cela elle les accuse de connivence avec Satan. Cette origine diabolique des sorciers restera ancrée dans les esprits. La sorcellerie, sorcierumi,  n’est pas une spécialité gasconne, mais sa chasse y est renforcée par le savoir-faire des inquisiteurs qui viennent d’en finir avec les cathares. Les visitadors, personnes qui savent identifier les sorciers, secondent les magistrats. Dans leur mémoire, Domenge Bidòt German et Josiana Dexperets expliquent la sorcellerie en Béarn.

L’environnement de nos ancêtres est dangereux

Becut et sorcellerie
Un becut – couverture des Contes populaires de la Gascogne de Jean-François Bladé – Editions Aubéron

Dans les temps anciens, la vie était dure, violente et difficile à comprendre. Pourquoi et comment tombe-t-on malade? N’oublions pas que nous ne connaissons les bactéries et les virus que depuis récemment. Pour nos aïeux, c’était magique. Et leur monde était peuplé d’êtres ou d’esprits malfaisants, poblat de bèstias mauhasentas, de broishas, de lutins e personatges fantastics.

Avec le christianisme, s’identifient des êtres mauvais autour deu Cohet (du Diable) avec leurs animaux malins comme lo Gat Pitòish (le putois) ou la Cavèca (la chouette). Mais il y en a bien d’autres, los engènis, los dragons comme partout, mais aussi les camas crusas ou los becuts, deux monstres qu’on ne trouve que dans notre région. Ogres, géants, cyclopes, ces derniers ne sont pas sans rappeler Polyphème de l’Odyssée. Les auteurs rappellent : [los becuts] que s’amasssan au pic d’Ania tà hargar los perigles e espaurir lo país baish (ils se rassemblent au pic d’Anie pour lancer des éclairs de tonnerre et effrayer le bas pays).

Et même les fées ne sont pas toujours des êtres aimables comme las hadas pedaucas (les fées aux pieds d’oies).

Le rôle des sorciers et autres guérisseurs

Rebouteux et sorcellerie
L’arrebotaire (le rebouteux)

La cultura populara qu’avè sabut apitar un ensemble coerent de defença per l’exorcisme magic primari. Le sorcier du village est celui qui connait les plantes et éloigne le mauvais sort. Il est une personne importante de la société. Et on le consulte plus facilement que le médecin. On trouvera des posoèrs et des posoèras (ceux ou celles qui connaissent les herbes, les poisons), les guaridors (guérisseurs), los dovins (les devins).

Outre lo barbèr, l’ipoticaire, lo çurgent, le village peut avoir un alogaire (celui qui remet en place), un arrebotaire (un rebouteux), un pregandaire (celui qui dit des prières, fait des signes), un fretador (celui qui soigne en touchant, en massant). Ces gens soignent lo mau hèit (mal fait par des blessures), lo mau vadut (maladie spontanée), lo mau dat (maladie donnée par un sort ou un maléfice), lo mau cargat (maladie acquise par contagion, lors d’épidémie). Dans la croyance populaire, le mal étant venu de l’extérieur, il faut le faire ressortir, donc l’exorciser.

L’Inquisition et la chasse aux sorcières

L'Inquisition contre les derniers Cathares et sorcellerie
L’Inquisition contre les derniers Cathares

Au XVe siècle, l’Église a achevé la christianisation de l’Europe. Pourtant, les populations conservent des pratiques, des croyances et des rites païens que l’on retrouve d’ailleurs dans les contes et légendes de la région. L’Église s’attaque à ces superstitions et aux symboles de la culture populaire. L’historien Emmanuel Leroy-Ladurie note : Les choses se gâtent dans le Midi avec l’agonie du Catharisme. Les inquisiteurs mis au chômage par suite de l’extermination des derniers hérétiques, se reconvertissent dans la chasse aux sorcières Avec des éléments réels du folklore populaire et en s’aidant de racontars de bonnes femmes sans doute obtenus par la torture, les persécuteurs-bricoleurs ont fabriqué la version du sabbat où les participants adorent un Diable-bouc. Car ils veulent faire peur à la population et favoriser les dénonciations.

Pierre de Lancre, pourfendeur zélé de la sorcellerie

Tableau de l'Inconstance des Mauvais Anges et Démons - sorcellerie
Tableau de l’Inconstance des Mauvais Anges et Démons

Au XVIe et XVIIe siècle la chasse est féroce et concerne à 96% des femmes. Dans la région de Bayonne et en Chalosse, le magistrat bordelais Pierre Rostégui de Lancre, seigneur de Loubens, est désigné pour libérer le Labourd de ses sorcières, à la demande des seigneurs d’Amou et d’Urtubie. Cet homme, obsédé par les femmes et la sexualité, fait trembler la population. Tout est bon pour identifier les malheureuses, comme l’utilisation des langues étrangères. La Juive ou la More venue d’Espagne, la femme de marin qui, en l’absence de son mari, se promène librement ou chante en basque sont des symptômes de sorcellerie ! Il condamne au bûcher des centaines de femmes comme Marissane de Tartas : Six enfans nous dirent, qu’ils auoyent este menez au sabbat par une sorciere d’Urrogne prisonniere, qui auoit accoustumé les mener, nommee Marissans de Tartas.

Françoise Boquiron avoue sous la torture, la décision prise dans un sabbat de donner lo mau de lairar, le mal d’aboiement, au village d’Amou. En effet une épidémie sévit dans les Landes et les malades convulsaient en poussant des cris semblables à ceux de chiens.

Même si certains se spécialisent dans la chasse aux sorcières, la population fait justice elle-même. Ainsi, à Saint-Jean-de-Luz, après le départ de Pierre de Lancre, des femmes de pêcheurs enduisent une Juive de poix et la font brûler. Elle aurait, par sorcellerie, provoqué une tempête.

Les visitadors

Cependant la meilleure façon de repérer une sorcière était de repérer lo punt diabolic. C’était un point d’insensibilité de la peau qui correspondait à l’endroit où le Diable avait posé son doigt lors du pacte. Des visitadors se spécialisaient dans cette identification comme ce chirurgien de Bayonne. Après avoir rasé l’accusée, il enfonçait des aiguilles à divers endroits jusqu’à trouver un point d’insensibilité. En 1602, Henri IV dut intervenir pour faire cesser les agissements d’un visitador gascon zélé, Le Hugon.

D’autres astuces existaient, dont certaines redoutables. En Béarn, los acusats qu’èran ahronçats dens los Gaves ; se ne tornavan pas a la susfàcia, qu’èran copables ; se varolavan o se susnadavan, Cohet que’us avè aidats e la culpabilitat qu’èra establida. (les accusés étaient jetés dans les Gaves ;  s’ils ne revenaient pas à la surface, ils étaient coupables ; s’ils surnageaient, le Diable les avait aidés et la culpabilité était établie)

La terrible histoire de Maria de Sansarric

De nombreuses dénonciations viennent aider à ces persécutions. On dénonce dans les familles, dans les villages pour se venger ou par animosité.

En 1609, lo Ramonet de Solu est accusé d’avoir tué sa femme. Les auteurs rapportent sa défense :

Lo 6 mai de 1609, a Arganhon, lo Ramonet de Solu que sabó peu son hrair Odet qui gardava las crabas que, pendent la nueit, l’escabòt que pareishèva hèra nerviós, « espaurit per quauque broisha ». Lo 10 de mai, de cap a miejanueit, lo Ramonet qu’entendó brut, que’s lhevè tà anar trobar lo son hrair et que s’armè d’ua daga. Que contè qu’alavetz, « ua forma de craba que l’aparescó e que’u nhaquè. » Alavetz que’u balhè un còp de daga, que s’entenón crits : la Maria de Sansarric, la hemna deu Ramonet qu’estó trobada estenuda a tèrra, en camisa, pèdescauça, tocada de tres plagas mortaus. Le 6 mai 1609, à Arganhon, Raymond de Soulu sut par son frère Odet qui gardait les chèvres que, pendant la nuit, le troupeau paraissait très nerveux, « effrayé par quelque sorcière ». Le 10 mai, vers minuit, Raymond entendit du bruit, se leva pour aller trouver son frère et s’arma d’une dague. Il raconta qu’alors « une forme de chèvre lui apparut et le mordit. » Alors il lui donna un coup de dague et ils entendirent des cris : Marie de Sansarric, la femme de Raymond fut trouvée étendue à terre, en chemise, déchaussée, touchée de trois plaies mortelles.

Car si la nuit, les hommes possédés se transformaient en loup, lo lop-manin, les femmes se transformaient en chèvre.

Le siècle des lumières et la sorcellerie

Charlatans et sorcellerie
Charlatans déversant leurs boniments

La chasse aux sorcières s’essouffle mi-XVIIe siècle. L’édit royal de 1682 met fin aux poursuites judiciaires pour sorcellerie.  Lo sorcierumi n’est plus satanique, il va se teinter de science. Ainsi, au siècle des lumières (XVIIIe) à 70%, ce sont les hommes qui exercent leurs talents. Les sorciers accusés ne sont plus de pauvres femmes de la campagne ou des marginaux mais des personnes plus instruites, comme des artisans, des curés ou des médecins. Et ils sont plutôt poursuivis pour extorquer de l’argent aux crédules.

En 1777 – 1778, les auteurs racontent une affaire qui montre l’évolution de la société face à la sorcellerie.  Joan Tuquet est un visitador, donc une personne qui sait reconnaître les sorciers. Avec un comparse, Saubat, ils sèment la peur et le désordre dans le Béarn. Mais la chasse aux sorcières n’apporte plus l’immunité des siècles passés. Le 21 juin 1779, ils sont condamnés par le Parlement de Navarre et Tuquet est envoyé aux galères.

Au XIXème siècle, la population cherche encore des sorcières

Eglise de Saint-Faust (P. Atlantiques) sorcellerie
Saint-Faust (Pyrénées-A.)

La population fut moins sage et continua et à faire appel aux sorciers et à les châtier. En 1824, à Saint-Faust (Pyrénées-Atlantiques) Marie Peillon, désignée sorcière par le village, refuse de donner des soins. Sa famille l’accuse de donner lo mau et improvise un bûcher. En 1850, près de Vic-en-Bigorre, une sorcière fut jetée dans un four à pain. Quand le juge demande à l’accusé, un laboureur voisin : croyez-vous au diable ? celui-ci répond : comme vous Monsieur le juge.

Références

Télécharger le texte de l’article.

Magia e sorcierumi en Bearn deu XIVau au XVIIIau sègle, Domenge Bidòt German e Josiana Dexperets, 1984
De l’inconstance des mauvais anges et démons, Pierre de Lancre, 1612
D’un bûcher à l’autre : la sorcellerie satanique avant et après l’édit de 1682, quelques réflexions, Christian Desplat, 2012

L’image à la une est un extrait d’une peinture de Goya de 1798, Le Sabbat des sorcières (en espagnol El Aquelarre) en lien avec la mythologie basque – voir article Wikipedia https://bit.ly/2zVR6gi

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