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Aurignac aux multiples visages

Aurignac dans la Haute-Garonne, est à l’origine de la science préhistorique. Ce fut aussi une châtellenie importante du Comminges. Le centre du village garde encore l’éclat de ses splendeurs. Pourtant, dans le passé, de sombres histoires ont terrifié la commune…

Aurignac et l’Aurignacien

Aurignac - la grotte préhistoriqueAurignac est surtout connu pour son site préhistorique et pour avoir donné son nom à l’Aurignacien (- 39 000 à – 28 000). Son rôle est bien plus fondamental. En effet, en 1852, Jean-Baptiste Bonnemaison, un ouvrier terrassier qui travaille dans le coin, découvre un abri plus ou moins dissimulé. Il farfouille un peu avec son bras et… ressort un os, des dents, des squelettes ! Alerté, le paléontologue gersois Edouard Lartet (1801 – 1871) entame des fouilles dès 1860. C’est la première grotte fouillée ! Et, véritable scoop, Lartet, prouve, grâce à ses fouilles, l’existence d’un homme antédiluvien, c’est-à-dire d’un homme qui précède le déluge de la Bible. Cette découverte remet en cause les théories créationnistes du baron Georges Cuvier (1769-1832) et rallie la communauté scientifique – en commençant par les Anglais – à la reconnaissance d’une nouvelle science… la préhistoire.

Le musée de l’aurignacien raconte tout cela. Il présente une exposition sur la préhistoire, une sur l’Aurignacien et une magnifique salle consacrée à Aurignac même.

Châtellenie des comtes de Comminges

Aurignac, la porte de l'église
La pòrta de la glèisa

Au-delà de la préhistoire, on peut voir des traces de l’histoire à Aurignac ou Aurinhac. Des vestiges de villas aquitano-romaines datent du premier siècle. Un peu plus tard, le village  est construit sur un tuc, à 404 m d’altitude, lieu idéal pour édifier ua tor màger (un donjon) d’une vingtaine de mètres, toujours existante, et surveiller l’entorn. Le village est alors entouré d’un premier rempart, ouvert par des portes comme la pòrta de la glèisa. Puis, à la Renaissance, la ville s’étend et s’entoure d’un deuxième rempart, muni de nouvelles portes et de nouvelles tours comme la tor de Mercí.

Entre les deux, la carrèra de devath (rue de dessous), aujourd’hui la rue des murs, est longée de magnifiques maisons à pans de bois.

Aurignac - l'hôtel Carsalade
L’hôtel Carsalade

À l’entrée de cette rue, l’hôtel du XVIe siècle nommé Carn salada ou Carsalade appartient à une vieille famille gasconne. Sa devise était Salsus non putresco, salé je ne pourris pas. Un trait d’humour à la gasconne ?

Un membre fameux de cette famille, Jules Louis Marie de Carsalade du Pont (1847 – 1932) est un grand historien de la Gascogne. Il crée le Musée historique et archéologique d’Auch, les Archives historiques de Gascogne, la Société archéologique du Gers. Il est aussi consacré évêque de Perpignan en 1900. Il apprend alors le catalan et devient un tel promoteur de la langue et de la culture régionale des deux côtés de la frontière qu’on le surnommera l’évêque des Catalans.

Les Pères de la Merci

En 1292, le comte de Comminges installe le couvent de la Merci, un couvent qui restera longtemps important. Pourtant, en 1771, il ne reste que trois religieux et trois métairies. La révolution en aura définitivement raison.

Cet ordre est un ordre local, pourrait-on dire car il nait et fleurit d’abord dans les pays de langue d’òc. Le languedocien Pierre Nolasque (1180/82? – 1245) fonda l’Ordre de la Merci en 1223. C’était un riche drapier. Il vendit tous ses biens pour racheter les chrétiens captifs des Sarrasins en Espagne. Dans la nuit du 1er août 1218, la Vierge Marie lui apparut. Elle l’encouragea à fonder un ordre pour la rédemption des captifs. La maison-mère est à Barcelone. L’ordre a trois vœux classiques, pauvreté, chasteté, obéissance et un quatrième plus original :  le mercedem, c’est-à-dire le vœu de se livrer en otage pour libérer les captifs si besoin.

Aurignac, une maison traditionnelle Une promenade à Aurignac permet de voir bien plus encore : de belles maisons gasconnes, un superbe panorama…

Pour se donner une première idée, voir les images sur le site de la photographe Rozenn Hamoniau.

Des enlèvements à Aurignac

La guerre de succession d’Espagne (1702 – 1713) demande des effectifs colossaux pour soutenir Philippe V, petit-fils de Louis XIV, contre une bonne partie de l’Europe occidentale. Celle-ci soutient l’archiduc autrichien Charles.

Pour faire face, l’armée française ne suffit pas et fait appel à des miliciens. Elle atteindra pratiquement 500 000 hommes dont 260 000 miliciens « prélevés » dans la population souvent du sud, plus proche de l’Espagne. Le recrutement se fait surtout par racolage, la milice est impopulaire et les désertions nombreuses. Une aubaine pour certains qui n’hésiteront pas à kidnapper des jeunes hommes pour les revendre à l’armée !

À Aurignac, une affaire éclate. Jean Lafforgue, métayer à Benque, se fait spolier de sa part de récolte. Mécontent, il témoignera contre ses propriétaires, les Escala, et révèlera que ceux-ci enlèvent des garçons, les enferment dans un cachot menottes de fer aux poings. Puis ils vont les vendre aux capitaines ou à des communautés pour servir de soldats de milice. L’enquête va démontrer le trafic. Jean Sarraute par exemple est vendu en 1713 pour 10 livres, environ 170 € aujourd’hui, au capitaine Salers.

Une vraie mafia locale

Aurignac, une mafia locale ? Plus que de banditisme opportuniste, il s’agit bien de crime organisé.

Certaines familles de personnes enlevées paient des rançons aux Escala pour que ceux-ci restituent la personne kidnappée. D’autres, comme un dénommé Trenque, souscrivent une obligation devant notaire de 20 livres par an pour ne pas être ennuyés par la famille mafieuse. Pierre Brondes, enlevé, réussit à s’échapper. Un des fils Escala, dit Lagrave, ancien soldat, revient chez lui et le menace de le reprendre pour l’envoyer à la guerre s’il ne lui paie pas 50 livres.

Et tout cela au vu et au su de beaucoup, donc avec des protecteurs bien placés. Les transactions se passent à l’auberge, parfois avec l’entremise de nobles comme le chevalier d’Estansan.

Aurignac, un repère de bandits ?

Après plusieurs années de trafic, les choses s’amplifient. En effet, Alexis Escala dit Bellòc, est assassiné en pleine rue, dans un bain de sang. Le lendemain, le 4 février 1714, le père Escala, sûr de lui et de ses protections, porte plainte pour le meurtre de son fils. L’enquête permet de trouver les assassins et met à jour d’autres vols ou crimes de la même bande. Marc et Antoine Passarieu ainsi qu’André Caubet sont accusés et arrêtés le 11 janvier 1715. Ils s’évadent le 29 juin…

Mais, à cette occasion, ressurgit une vieille affaire, le meurtre en 1699 de Raymond Dardignac à Aurignac. Pour cette affaire, les Escala avaient été condamnés :

Or, le père Escala s’était évadé et le jugement n’avait pas été appliqué à cause de la faveur de leurs alliances et la crainte par eux répandue dans tout le compté de Commenge.

Mais les juges, cette fois-ci, ne veulent pas s’arrêter là. Ils continuent l’enquête et cherchent des témoins. Jean Lafforgue le métayer spolié et les autres accablent les Escala.  Le père Escala réfute les témoins, l’un pour être cousin germain de la victime, l’autre pour être faussaire, la troisième pour être filleule de confirmation de sa propre femme, Marie Ouilhé, etc. Cependant les accusations se multiplient. Finalement, Jean-François Escala, le père, est condamné à être pendu. Ses fils, Jean dit Peirole et Jean-Paul dit Lagrave ainsi que les Izaud père et fils sont condamnés par contumace. On ne les reverra pas.

Toute cette affaire est décrite en détail dans la Revue de Comminges 1978 et 1979 par Robert Molis.

Anne-Pierre Darrées

Pour aller à Aurignac

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Références

Aurignac, le musée  de préhistoire, Abbé Algans, Revue de Comminges, 1969.
Dissidence et révolte dans une région frontalière : les Pyrénées centrales à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècles, Jean-Marcel Gauger, publié dans Révolte et société, tome II, Actes du IVe colloque d’histoire au présent, 1988.
Banditisme en Comminges  (1699 – 1716), première partie, Robert Molis, Revue de Comminges, 1978.
Banditisme en Comminges (1699 – 1716), deuxième partie, Robert Molis, Revue de Comminges, 1979.