14-18 vue par les Gascons : Bégarie, un destin tragique
Épisode 2 : Jean-Baptiste Bégarie (1892 – 1915) poète gascon prometteur, patriote, mort pour la France. Un destin tragique. Suite de l’épisode 1, 14 – 18 vue par les Gascons : la mobilisation. Pour information, les documents en lien sont complets, en graphie originale, en graphie classique et en français ; sauf Mireio qui n’est qu’en provençal et en français.
Bégarie est ébloui par le gascon
Après avoir perdu sa mère à 12 ans, Jean-Baptiste Bégarie vit avec son père et son parrain à Gomer (64). Il suit l’école, le collège de Nay, puis rentre chez son oncle. En ce temps-là, les hussards noirs sont passés par nos régions et l’enseignement est strictement en français. Pourtant, à 18 ans, alors qu’il devise littérature avec son oncle, celui-ci lui donne La bouts de la Terre, journal félibréen fondé par Michel Camélat et Simin Palay qui paraitra de 1910 à 1914. Il est captivé par la beauté de la langue. Il lit alors les grands romans des auteurs du moment, Mireio de Frédéric Mistral, Beline de Michel Camélat, etc. Et il se lance dans l’écriture…
Une belle écriture à la trobar clus
Bégarie est vite reconnu. Aux boules du vieux portail, poésie présentée aux Jeux floraux de l’Escòla Gaston Febus en 1912 obtient le premier prix avec des notes exceptionnelles dont un 20/20 et la mention de Labaigt-Langlade : Ceci mes amis est de tout premier ordre. Il obtient l’œillet de l’Académie Clémence-Isaure sous les applaudissements pour Mon blason. Etc. À travers ses lettres, on perçoit sa façon de travailler. Le poète tient une idée qu’il exprime avec deux ou trois vers, murit le texte dans sa tête, le couche sur le papier, le polit. Par exemple, le 25 décembre 1914, il envoie dans sa lettre à Camélat sa nouvelle idée de poésie : que’n èi començada unh’auta : La soa prumèra flor. Espiat-la drin :
En lo libe vermelh, tostemps plan sarradeta
Qu’èi ua flor qui per lo só non balharí
Dans le livre vermeil toujours bien serrée
J’ai une fleur que pour le soleil je ne donnerais
Bégarie part au service militaire
Automne 1913. Bégarie a 20 ans et part au service militaire. Il aimerait découvrir le Languedoc ou la Provence. Ce sera Constantine en Algérie. Mais il s’y ennuie, ne s’adapte pas à la vie de caserne. Cependant, il apprend à apprécier les Algériens. D’ailleurs, il aime se griser des enthousiasmes de la poésie arabe, comme il l’écrit à son père le 21 décembre 1914.
Et il continue à écrire dont, en janvier 2014 le magnifique poème À mon fusil, un poème qui fait écho aux tensions en Français et Prussiens :
Ha’t cantar, fusilh men, b’ei donc vertat que cantas! Dab tu los dits no’m hèn que cambiar de clarin, Non brama pas ta votz la mort e las espantas, Qu’ugla la libertat qui non vòu pas morir. |
Te faire chanter, fusil, en vérité tu chantes ! Avec toi mes doigts ne font que changer de musette, Ta voix ne hurle pas la mort et les épouvantes, Elle clame la liberté qui ne veut pas mourir. |
Je veux partir à la guerre
Dès que la guerre éclate, Bégarie demande à y aller et écrit son testament. Il lègue à des amis ses livres, sa chéchia et à l’élue de son cœur sa guitare. Il veut faire la guerre, il doit faire la guerre comme il l’écrit le 8 décembre 1914 à son frère Charles : D’abord j’ai vivement souhaité la guerre, par amour-propre, parce que je voyais que c’en était trop et que la France était bafouée par les Prussiens, puis pour faire mon devoir de Français tout simplement. Si on ne m’y avait pas envoyé je me serais toujours reproché de ne pas être allé à la bataille. Mais si tu te figures que parce que tu es courageux, valeureux, vibrant, ardent et tout ce que tu voudras tu seras vainqueur de tes ennemis, tu te trompes.
L’attente est longue. Bégarie s’impatiente. Il ne partira vers la France que le 26 décembre 1914. Il écrira toujours et encore des lettres et des poésies dont celle-ci le 12 février 1915 qu’aimera particulièrement Simin Palay :
Com en i a per lo cèu, entà l’òmi que i a Dias d’aure pesant e de calor macada… |
De même qu’il en est sous les cieux, il y a pour l’homme Des jours de tempête lourde et de chaleur accablante… |
Bégarie est sans illusion sur les tactiques françaises
Que’m sembla que los francés dinc a lavetz n’avèn pas lo sens d’ua guèrra de bitara, en vista dab las engibanas de uei, e que l’an avut après la caduda. Que’m sembla qu’aus prumèrs dias que’s son hèra enganats, qu’an avut tròp l’amor de l’epica, de l’eroïca, qu’an abusat de la carga a la baioneta qui non èra a emplegar dab fòrças alemandas doblas. Ara qu’an comprès. | Il me semble que les français, jusqu’alors n’avaient pas les sens d’une guerre moderne servie par des engins d’aujourd’hui, et qu’ils n’ont eu qu’après les revers. Il me semble que les premiers jours ils se sont grandement trompés, qu’ils ont trop sacrifié à l’amour de l’épique, de l’héroïsme, qu’ils ont abusé de la charge à la baïonnette, qu’il fallait éviter avec des forces allemandes doubles. Ils ont compris à présent. |
Le bilan est terrible
En un mois et demi, c’est l’hécatombe dans sa section. Extrait de la lettre à son ami Edouard B. le 12 février 1915 :
E vòs novèlas deus seccionaris passats aus zouaves ? Uèra’n : Arsac, tuat ; Archet, tuat ; Balazuc, tuat ; Gareau, presonèr ; Balhou, blessat ; Badet, blessat ; Pineau, tuat ; Vola, presonèr ; Radeau, tuat, etc. etc. Que védes qu’i hè lèd. Açò n’ei pas mes ua guèrra, n’ei pas mes l’òmi qui saja de lutar dab la sciéncia e quin arribar au cap lo praube ? Jamèi. Jo que serèi urós si’n torni d’i estar anat meilèu que d’aver demorat endarrèr, mes ben, n’ei pas un viatge de plaser ; qu’ei ua guèrra longa e qui non s’acabaré jamèi si los soldats no’s morivan e si las matièras non mancavan entà’s tuar. | Veux-tu des nouvelles des sectionnaires passés aux zouaves ? En voici : Arsac, tué ; Archet, tué ; Balazuc, tué ; Gareau, prisonnier ; Balhou, blessé ; Badet, blessé ; Pineau, tué ; Vola, prisonnier ; Radeau, tué, etc. etc. Tu vois qu’il n’y fait pas bon. Ceci n’est plus une guerre. Ce n’est plus l’homme qui essaie de lutter avec de la stratégie ; et comment arrivera-t-il à une issue, le pauvre ? Jamais. Je serai heureux d’en revenir après y être allé, plutôt que de rester à l’arrière, mais tu peux croire que ce n’est pas un voyage de plaisir ; c’est une guerre longue et qui ne finirait jamais si les soldats ne mouraient, et si le matériel pour s’entre-tuer n’arrivait à manquer. |
Drom en patz praube amic
Le 16 février, Bégarie qui n’a cessé de composer des poèmes et de les envoyer à Camélat qu’il admire, précise dans sa dernière lettre au grand écrivain bigourdan qu’il ne se plait pas sous la canonnade et que son obsession reste la poésie même dans la boue des tranchées :
Voletz que ploja d’obus que las [lugras de beror] arrèsta ? Qu’aimi tròp lo mestièr de trobador, que soi vadut tad aquò e arren non crobirà lo cant de la mia harpa de hida. | Voulez-vous que pluie d’obus les [mes inspirations] arrête ? J’aime trop le métier de troubadour, je suis né avec cette vocation, et rien ne saurait couvrir le chant de ma harpe féale. |
Le 17 février à 6 h du matin sa section part à l’attaque des défenses allemandes. Il n’en reviendra pas. Nombreux félibres célèbreront la mémoire d’un poète gascon talentueux qui avait déjà rejoint les plus grands poètes de notre terre : Camélat bien sûr, Andrèu Baudorre, Simin Palay et le lieutenant Jean Bouzet qui écrit un long poème :
…Repausa’t dab orgulh, tu, Rei deus Cantadors Poèta de la patz, et sordat de la guèrra, Qui sinnès dab lo sang lo ton « Hymne à la Terre » ! |
…Dors avec orgueil, toi, Roi des chanteurs Poète de la paix, et soldat de la guerre, Qui fièrement avec ton sang signas ton Hymne à la Terre ! |
Article basé sur Jean-Basptiste Bégarie mort pour la France (1892-1915), Poésies béarnaises – proses – lettres, in memoriam, Michel Camélat, André Baudorre, Simin Palay, Jean Bouzet, Pierre Fontan, Escòla Gaston Febus, 1920 – disponible au château de Mauvezin.