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L’immigration italienne en Gascogne

On connait bien la vague d’immigration des Espagnols qui fuient le régime franquiste à partir de 1936. On connait moins bien l’immigration italienne qui l’a précédée et qui a permis le repeuplement des campagnes gasconnes.

L’immigration italienne en France, une vieille histoire

Morte agli Italiani ! Il massacro di Aigues-Mortes 1893
Morte agli Italiani ! Il massacro di Aigues-Mortes 1893

C’est une histoire qui commence dès le XIXe siècle avec les grands travaux d’aménagement du Second Empire et le développement de l’industrie à la recherche d’une main d’œuvre non-qualifiée, prête à accepter des travaux pénibles et peu rémunérés.

Les Italiens s’installent surtout dans le Sud-Est de la France. En 1911, ils représentent 20% de la population des Alpes-Maritimes et un quart de la population marseillaise. Cela ne se fait pas sans conflits qui peuvent être sanglants comme à Marseille en 1881 ou, plus gravement en 1893, à Aigues-Mortes où des émeutes xénophobes feront de nombreuses victimes. On trouve également une forte immigration dans la région lyonnaise, dans la région parisienne, en Lorraine et dans le le Nord qui recherchent une main d’œuvre surtout ouvrière.

On ne s’installe pas par hasard dans une région. Les réseaux familiaux, villageois ou provinciaux orientent les flux migratoires. Un voisin, un parent accueille, fournit un logement et ouvre les portes du travail.

L’origine de l’immigration italienne en Gascogne

L’immigration italienne en Gascogne a une origine différente. L’exode rural et la dénatalité caractérisent la Gascogne depuis le milieu du XIXe siècle. La saignée provoquée par la « Grande Guerre » 1914-1918 accélère ce mouvement.

Les Italiens dans les départements du Sud-Ouest
Les Italiens dans les départements du Sud-Ouest- (Les paysans italiens, une composante du paysage rural de l’Aquitaine centrale et du Réolais dans l’Entre-deux-guerres – Carmela Maltone)

Des domaines entiers sont en friches, les prés remplacent les champs de blé. Dans le seul département du Gers qui compte 314 885 habitants en 1846, il ne reste plus que 194 409 habitants en 1921. On compte 2 500 fermes abandonnées. La situation n’est pas meilleure dans les autres départements.

On songe à repeupler la Gascogne. Des Bretons et des Vendéens s’installent mais ils sont trop peu nombreux. On installe des Suisses mais c’est un échec. Quelques familles italiennes arrivent et se font vite apprécier. L’idée d’organiser l’immigration italienne est lancée.

L’immigration italienne est favorisée par la convention entre la France et l’Italie du 30 septembre 1919. L’Italie est surpeuplée, la guerre a ravagé les provinces du nord. La plupart des migrants échappent toutefois à ce cadre et entrent en France de manière autonome.

En mars 1924, un Office régional de la main d’œuvre agricole du sud-ouest est créé à Toulouse. Il met en relation les agriculteurs français avec les services italiens de l’émigration. On distribue des aides pour payer le voyage et les frais d’installation. En 1926, on compte déjà 40 000 Italiens en Gascogne.

L’apport des Italiens en Gascogne

Travaux agricoles sur les terres de la famille de Stefani à Saint-Jory (Haute-Garonne), 1942. © EDITALIE
Travaux agricoles sur les terres de la famille de Stefani à Saint-Jory (Haute-Garonne), 1942. © EDITALIE

L’immigration italienne en Gascogne est essentiellement celle d’une main d’œuvre agricole. Les italiens rachètent des fermes abandonnées et remettent en culture des terres délaissées.

Ils apportent avec eux le système de cultures intensives et des variétés de céréales inconnues en Gascogne. Profitant du canal d’irrigation de Saint-Martory, deux colons sèment du riz. La récolte est abondante. D’autres ressuscitent l’élevage du ver à soie.

Dépiquage au Mousse, Gers 1946. © Jean Dieuzaide.jpg
Dépiquage au Mousse, Gers 1946. © Jean Dieuzaide

Ils développent les prairies artificielles, améliorent les techniques de sarclage et obtiennent de meilleurs résultats sur la production de maïs, de pommes de terre ou de tomates. Les Italiens rationalisent l’utilisation des fumures et des engrais. Ils importent la charrue « brabant ».

Les Italiens sont propriétaires, fermiers ou métayers. Les travailleurs agricoles et forestiers sont minoritaires. Dans le Gers, par exemple, on trouve 2 000 propriétaires, 7 500 métayers, 3 000 fermiers et 500 ouvriers agricoles. La moitié de la surface agricole qui a été abandonnée est remise en culture grâce à l’immigration italienne.

Les propriétaires apprécient les Italiens. Ils les considèrent travailleurs, courageux, même si on les dit peu instruits et religieux. Ils viennent surtout du nord de l’Italie : Piémont, Lombardie, Emilie, Toscane et Vénétie.

Mussolini contrôle l’émigration italienne

Répartition de la population italienne dans les départements francais en 1931-V2 À partir de 1926, Mussolini change la politique d’émigration. Le nombre des arrivées chute et se tarit presque complètement à partir de 1930.

Quelques Italiens s’installent encore en Gascogne mais ils viennent du nord et de l’est de la France touchés par le chômage dans les mines.

En 1936, ils sont 18 559 en Lot et Garonne, 17 277 en Haute-Garonne, 13 482 dans le Gers, seulement 1 112 dans les Landes.

Intégration et assimilation de l’immigration italienne

La Voix des Champs / La voce dei Campi
La Voix des Champs / La voce dei Campi

Le gouvernement italien ne veut pas l’intégration des migrants. Il favorise la naissance des enfants en Italie en payant les frais de voyage aller et retour et donne une prime d’accouchement généreuse.

Le consulat général d’Italie à Toulouse exerce une étroite surveillance sur les émigrés italiens. Il favorise la création d’un Syndicat régional des travailleurs agricoles italiens, et installe des écoles italiennes, sans succès. Les Italiens ont leurs restaurants, leurs magasins d’alimentation. Ils ont leurs prêtres officiellement chargés de visiter les familles. Un secrétariat de l’Œuvre catholique d’assistance aux Italiens en Europe ouvre à Agen. Plusieurs journaux publient une chronique en italien.

Le gouvernement italien fait tout pour empêcher l’assimilation. Pourtant, les retours au pays sont peu nombreux. Les italiens sont exploitants agricoles et se sentent intégrés dans la société. Un mouvement de demande de naturalisation commence dans les années 1930.

Des facteurs favorables à l’intégration

Moisson chez les Casagrande à Saubens (Haute-Garonne), fin des années 50. © EDITALIE.jpg
Moisson chez les Casagrande à Saubens (Haute-Garonne), fin des années 50. © EDITALIE

Il y a peu de célibataires. Les italiens viennent en familles nombreuses. La Gascogne a un habitat dispersé. Cela  explique qu’il n’y a pas eu de concentration d’immigrés italiens, sauf à Blanquefort, dans le Gers, qui constitue une exception.

Le Piémontais ressemble au Gascon. C’est un facteur d’intégration. À l’école, les Italiens provoquent les railleries des autres élèves. Ils s’habillent différemment et ils ont de drôles de coutumes ! On les appelle « ritals » ou « macaronis » dans les cours de récréation. Mais, dans l’ensemble, les Italiens se font rapidement accepter et ils s’intègrent facilement.

La seconde guerre mondiale a été douloureuse pour les immigrés italiens. Elle provoque un sentiment de rejet à cause de l’accusation du « coup de poignard dans le dos » et l’invasion d’une partie du pays par les Italiens. Même si beaucoup ont rejoint les maquis, il est difficile de s’avouer Italien à la Libération.

L’immigration italienne s’est poursuivie en s’appuyant sur les réseaux familiaux. Elle s’est tarie au début des années 1950. Aujourd’hui, ils sont intégrés et fondus dans la population.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Les photos viennent de www.histoire-immigration.fr
L’arrivée des italiens dans le Sud-Ouest (1920-1939), de Monique Rouch, École Française de Rome, 1986. pp. 693-720.
L’immigration italienne dans le sud-ouest, depuis 1918 , Jean Semat, Bulletin de la Section des sciences économiques et sociales / Comité des travaux historiques et scientifiques, 1933.
« Perdus dans le paysage ? Le cas des Italiens du Sud-Ouest de la France », Les petites Italies dans le Monde, Laure Teulieres, 2007, p. 185-196
Les Italiens dans l’agriculture du Sud-Ouest (1920-1950) – Musée de l’Histoire de l’Immigration




Saint-Domingue, eldorado des Gascons

Saint-Domingue, partie ouest de l’ile d’Hispaniola est française depuis 1697. Elle donnera naissance à la République d’Haïti en 1804. Les Gascons émigrent si nombreux dans le centre de la colonie qu’on appelle cette région la Petite Gascogne.

Les boucaniers de Saint-Domingue

Deux cartes non datées de l'Île de Santo Domingo donnant la répartition de l'île entre la colonie française et la colonie espagnole
Deux cartes non datées de l’Île de Santo Domingo donnant deux répartitions assez différentes de l’île entre la colonie française de Saint-Domingue et la colonie espagnole. La carte de droite montre une frontière assez proche de la frontière actuelle entre Haïti et la République Dominicaine (voir carte ci-dessous).

Saint-Domingue, eldorado des Gascons - Michel le Basque - image d'une collection de Allen & Ginter Cigarettes (1888)
Michel le Basque – collection d’images pour Allen & Ginter Cigarettes (vers 1888)

En 1630, les Français s’établissent sur la partie ouest de l’ile Hispaniola, appelée aussi Santo Domingo, alors sous domination espagnole. Ce sont surtout des boucaniers. Ils tiennent leur nom du fait qu’ils boucanent leur viande à la manière indigène (séchée et fumée). Le terme est resté dans la langue française dans le sens de tapage, vacarme. De même, il donne en languedocien et en provençal bocan.

L’ile de la Tortue et l’ile de la Vache situées près des côtes de Saint-Domingue sont des repaires de boucaniers. Un des plus célèbres est Michel Etchegorria, dit Le Basque, de Saint Jean de Luz. Ils s’approvisionnent sur l’ile de Saint-Domingue et fondent des établissements côtiers, dont Cap Français en 1670 qui devient Port au Prince.

Haïti et la République Dominicaine aujourd'hui
Haïti et la République Dominicaine aujourd’hui

En 1664, le territoire occupé par les boucaniers devient une colonie française. Le traité de Ryswick de 1697 reconnait à la France la possession du tiers occidental de l’ile (le futur Haïti).

 

Premier gouverneur de Saint-Domingue, Jean-Baptiste du Casse,

Saint-Domingue, eldorado des Gascons - Jean-Baptiste du Casse, (vers 1700), d'après Hyacinthe Rigaud
Jean-Baptiste du Casse (vers 1700), d’après Hyacinthe Rigaud

Jean-Baptiste Ducasse (1650-1715) est un Gascon né à Pau vers 1650. Après de brillants états de service dans la marine royale, il finit sa carrière comme Lieutenant-général des armées navales, c’est-à-dire au plus haut grade de la marine.

Il est gouverneur de Saint-Domingue de 1691 à 1703 et développe la colonie. Il établit les boucaniers de l’ile de la Tortue sur des terres agricoles, ramène l’ordre et renforce ses défenses face aux appétits des Espagnols, des Anglais et des Hollandais qu’il combat dans les Caraïbes.

En 1694, il organise une expédition sur la Jamaïque et en ramène les installations de 50 sucreries qui seront le départ de l’industrie sucrière de Saint-Domingue.

Jean-Baptiste Ducasse encourage l’émigration des Gascons à Saint-Domingue à partir du port de Bordeaux.

Les Gascons à Saint-Domingue

Les Gascons arrivent nombreux à Saint-Domingue à partir de 1763. Ils se regroupent par origine. A La Marmelade, on retrouve des Barbé, Baradat, Cappé, Carrère, Peyrigué-Lalanne, tous originaires de Labatut Rivière Basse en Bigorre. Dans la partie centrale de Saint-Domingue, un canton s’appelle la Petite Gascogne.

Moulin à sucre
Moulin à sucre

Pierre Davezac de Castéra (1721-1781) est Tarbais. Il acquiert l’indigoterie de Macaya à Aquin, au sud de Saint-Domingue. Il y amène l’eau, fertilise toute la plaine et crée des moulins. Son petit-fils Armand Davezac de Castéra-Macaya de Bagnères de Bigorre entre en 1886 à l’Académie des Inscriptions et Belles lettres. Les Bigourdans Laurent Soulé et Bernard Lassus fondent le collège royal de Saint-Domingue.

Saint-Domingue - Coupe d'une sucrerie à Bas-Limbé
Saint-Domingue – Coupe d’une sucrerie

Les Gascons possèdent 70 % des habitations (plantations) et développent l’économie de Saint-Domingue. En 1789, Saint-Domingue assure 40% de la production mondiale de sucre et 60% de celle du café. Près de 1 500 navires y accostent chaque année. Elle compte 8 000 habitations, dont 793 sucreries, 3 150 indigoteries, 789 cotonneries, 3 117 caféières et 50 cacaoyères.

La révolte de 1791 à Saint-Domingue

La Révolution française de 1789 amène de nouvelles idées d’égalité et de liberté. Une révolte éclate en aout 1791 à Saint-Domingue. Près de 1 000 colons sont massacrés et leurs habitations incendiées. En 1793, la liberté des esclaves est proclamée et la Convention l’étend à toutes les colonies le 4 février 1794.

Toussaint Louverture
Toussaint Louverture (wikimedia commons)

Toussaint de Bréda ou Toussaint Louverture réunit 20 000 hommes et s’oppose aux Anglais et aux Espagnols qui tentent de prendre Saint-Domingue. Il était né dans l’habitation de Bréda qui appartenait au comte Louis Pantaléon de Noé.

Nommé général en 1796, il étend son autorité à toute l’ile et remet l’économie en marche en rappelant les anciens colons.

Il fait adopter la 1ère constitution de Saint-Domingue en 1801. Bonaparte envoie le général Leclerc avec 30 000 hommes. Toussaint Louverture est fait prisonnier et envoyé dans le Jura où il meurt en 1803.

En 1802, une nouvelle révolte conduit à un nouveau massacre de colons, à la défaite des Français à la bataille de Vertières et à leur évacuation de l’ile. Saint-Domingue devient Haïti et la république est proclamée le 1er janvier 1804.

Saint-Domingue est marquée par les Gascons

Les Gascons rescapés de Saint-Domingue émigrent dans les Antilles ou aux États-Unis. Ceux qui n’ont pas de biens rentrent en France et espèrent une indemnisation qui est dérisoire. Elle correspond à 1/10e de la valeur des habitations.

Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, conserve de nombreux toponymes gascons : Courjoles, Labarrère, Labadie, Carrère, Dupoey, Darrac, Gaye, Duplaa, Garat, Laborde, Marsan, Navarre, etc. Une rivière haïtienne porte encore le nom de Gascogne.

Deux présidents haïtiens d'origine gasconne
Deux présidents haïtiens d’origine gasconne : Sylvain Salnave (1826-1870) et Philippe Sudré-Dartiguenave 1862-1926)

Des présidents haïtiens sont d’origine gasconne : Sylvain Salnave (de 1867 à 1870), Philippe Sudré-Dartiguenave (de 1915 à 1922), etc.

Les deux premiers maires de Port-au-Prince sont Michel-Joseph Leremboure né à Saint Jean de Luz et Bernard Borgella de Pensié d’origine béarnaise qui est l’auteur de la constitution de Toussaint Louverture.

Projet financé par les Nations Unies pour l'Organisation des Paysans de Gascogne (Haïti)
Projet de pisciculture financé par les Nations Unies pour l’Organisation des Paysans de Gascogne (Haïti)

Il existe même une Organisation des Paysans de Gascogne (section de la commune de Mirebalais) financée par les Nations Unies pour la réhabilitation de canaux d’irrigation et la création de piscicultures pour augmenter le revenu des paysans.

 

Serge Clos-Versaille

Références

Un grand seigneur et ses esclaves – Le comte de Noé entre Antilles et Gascogne, Jean-Louis Donnadieu, Presses universitaires du Mirail, 2009
L’Eldorado des Aquitains. Gascons, basques et Béarnais aux Iles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe siècles), Jacques de Cauna. Atlantica, Biarritz, 1998
Les Bigourdans à Saint-Domingue au XVIII° siècle, R. Massio, Les Annales du Midi, Tome 64, N°18, 1952. pp. 151-158
 » Bigourdans et gens de Rivière-Basse et de Magnoac à Saint-Domingue au XVIIIème siècle « , Bulletin de la société académique des Hautes-Pyrénées
Notes supplémentaires sur le comte de Noé dans Bulletin de la société archéologique du Gers
, 4e trimestre 1978.




Les Gascons insoumis se battent pour leurs libertés

Dans son ouvrage Les français peints par eux-mêmes, publié en 1841, Edouard Ourliac disait du Gascon : Il a le sang chaud, l’imagination prompte, les passions fortes, les organes souples. Et c’est vrai qu’il est réputé pour ses qualités guerrières et sa passion pour la liberté. Ainsi, les Gascons insoumis sont réfractaires aux impôts, à la conscription et à tout ce qui menace leurs privilèges.

Le 19e siècle, le temps des Gascons insoumis

Dans l’histoire, les révoltes des Gascons Insoumis sont nombreuses. Le 19e siècle est à cet égard une période importante en raison des difficultés économiques entrainées par les guerres, les mauvaises récoltes et la cherté des prix.

Les guerres de l’Empire, les réquisitions supérieures aux disponibilités et les intempéries provoquent des disettes et la hausse des prix. Des émeutes éclatent à Toulouse en 1816. De 1817 à 1839, une série de mauvaises récoltes entraine la rareté des grains et des pommes de terre. Des révoltes contre la cherté des prix éclatent sur les marchés. Des maisons sont pillées. La baisse consécutive des revenus entraine la chute de la production artisanale et industrielle locale qui profite aux ateliers du nord de la France.

Travaux ferroviaires
Travaux ferroviaires

De 1845 à 1847, les trois quarts de la récolte de pommes de terre sont perdus. La famine et la maladie font de nombreuses victimes dans les campagnes et sont à l’origine d’une importante vague d’émigration. Les années qui suivent voient une grande dépression économique due au manque de numéraire. De 1856 à 1857, les mauvaises récoltes entrainent une intensification des travaux ferroviaires pour procurer des ressources aux familles indigentes. Dans le seul département des Hautes-Pyrénées, ces travaux emploient plus de 2 000 personnes.

Cette période difficile est propice aux révoltes des Gascons insoumis.

Les Gascons refusent la tutelle de l’État

Les gascon insoumis n'acceptent pas les décisions des préfets nommés par les gouvernements
Préfet vers 1850

La tutelle des préfets est étroite sur les communes qui perdent leur ancienne autonomie de gestion. La résistance des Gascons Insoumis s’organise.

Les maires ne répondent pas aux lettres et aux enquêtes des préfets ou fournissent de faux éléments. Ils gardent une gestion parallèle de leur commune en faisant payer les actes d’état-civil, en vendant du bois sans autorisation, en levant des péages clandestins, en organisant de fausses consultations et des adjudications à faible prix pour les travaux. Lors de la revente, la différence de prix est versée dans la caisse du maire qui répartit les gains entre tous les habitants ou organise des banquets dans le village.

Les Gascons Insoumis s’opposent aux fusions forcées des communes. Celles qui réussissent sont une minorité et concernent de très petites communes comme Agos-Vidalos en 1845.

Les curés nommés par l’évêque, sans l’accord de la population, ne sont pas acceptés. En 1864, le maire d’Oursbelille refuse d’installer le nouveau curé. Les instituteurs nommés sans le consentement des Gascons Insoumis ne sont pas mieux accueillis. En 1844, le nouvel instituteur de Vier a eu sa maison forcée, le mobilier de l’école a disparu, etc.

Les Gascons refusent la conscription

En fait, les Gascons Insoumis le sont à la milice, déjà au XVIIIe siècle. Par exemple, trois mois avant les tirages au sort, les jeunes partent en masse vers l’Espagne pour ne rentrer que quelques mois plus tard.

Comme le montre la carte ci-dessous, le recrutement des volontaires n’est pas en 1791 et 1792 ni des plus rapides ni des plus efficaces dans les provinces du Sud et en Gascogne en particulier. Mais de plus les bataillons de « volontaires » fondent à vue d’œil au fur et à mesure de leur engagement.

En 1791 et 1792, le Gascon insoumis refusent la conscription
Les volontaires de 1791 et 1792

La loi Jourdan du 5 septembre 1798 crée le service militaire obligatoire. Pour les levées de l’époque napoléonienne, l’insoumission est de 98 % en Ariège, de 42 % dans les Hautes-Pyrénées, de 48 % en Haute-Garonne, de 86 % dans Pyrénées-Atlantiques. La moyenne en France est de 28 %.

De 1842 à 1868, plus du tiers des insoumis sont gascons. En 1870, le quart des insoumis sont originaires des Pyrénées-Atlantiques.

Les Gascons refusent de perdre leurs libertés

gardes forestiers
Gardes forestiers (1831)

Si on remonte le temps, les Gascons sont déjà insoumis. La réforme forestière de 1699 qui prive les Gascons de leur liberté d’exploiter leurs forêts est un échec. Les réformes de l’Empire et de la Restauration ne réussissent pas mieux.

La répression des délits forestiers provoque des rebellions collectives. En 1814, deux bœufs sont saisis dans la forêt de Castillon en Couserans. Une troupe armée de 400 personnes se rend à Castillon pour réclamer les bœufs et tente d’enfoncer la porte de la maison du garde forestier. La gendarmerie intervient et arrête un homme muni d’un couteau. Le lendemain, 150 personnes se rendent à Castillon pour le délivrer et le ramener en triomphe chez lui.

Les habitants des 14 villages de la vallée du Castelloubon ont depuis longtemps accès aux estives et aux forêts appartenant à la famille de Rohan. En 1802, le nouveau propriétaire en interdit l’accès aux habitants qui intentent un procès qui dure 15 ans. De 1818 à 1824, les Gascons Insoumis livrent une véritable guérilla contre le propriétaire : refus de lui payer les fermages, fermeture d’une route d’accès à une source qu’il veut exploiter, incendie de sa scierie, attaque des ouvriers qui travaillent pour lui et incendie de leur maison.

Comme pour le Castelloubon, une révolte éclate dans les vallées du sud de Saint-Girons, s’étend à la vallée de Massat avant de gagner toute l’Ariège en 1830. C’est la révolte des « Demoiselles ».

En cliquant sur l’image, accédez au film que Jean Mailhes et Nadau ont consacré à la Guerre des Demoiselles de l’Ariège.

 

 

 

Les Gascons sont aussi insoumis à l’impôt

La résistance à l'impôt de 45 centimes
La résistance à l’impôt de 45 centimes dans le Sud

Les Gascons Insoumis n’aiment pas l’impôt, surtout les nouveaux impôts. La création de l’impôt du « vingtième » en 1749 crée des troubles en Nebouzan, Navarre et Béarn. Les États du Labourd mènent une véritable guerre contre l’impôt. La fin des privilèges sur le sel conduit à la révolte d’Audijos.

En 1848, le gouvernement républicain crée un nouvel impôt de 45 centimes (soit une augmentation de 45% de l’impôt de 1847 !). Les Gascons insoumis se révoltent dans les pays situés entre Oloron et Saint-Gaudens. Lorsque les percepteurs et les porteurs de contraintes arrivent dans un village, le tocsin sonne et ameute toute la population.

À Arros de Nay dans les Pyrénées-Atlantiques, une foule énorme accueille le porteur de contraintes. Le préfet, le Procureur et une troupe armée de 350 hommes se trouvent face à une foule armée. Pour éviter des incidents, le préfet rebrousse chemin avec sa troupe. Quelques jours plus tard, la colère est retombée.

À Saint-Médard en Haute-Garonne, les Gascons Insoumis de Castillon, Landorthe, Savarthès, Labarthe-Inard et d’autres villages se révoltent. L’affaire dure tout l’été. On arrête et on condamne les meneurs à de fortes peines de prison.

Dans le Gers

Gendarmes (vers 1850)
Gendarmes (vers 1850)

À Malabat dans le Gers, un porteur de contraintes doit rebrousser chemin devant une foule réunissant les habitants de 14 communes voisines. Le 4 juin, les habitants de Malabat et de Betplan se rendent au marché de Miélan, drapeau en tête et chantant une chanson contre l’impôt des 45 centimes. Le préfet et 3 compagnies de gendarmes vont à Malabat. Au son du tocsin, une foule de 3 000 personnes se rassemble et les reconduit jusqu’à Miélan. Le refus de payer l’impôt touche rapidement une centaine de communes dont les maires démissionnent. Des négociations sont menées. Le 7 septembre, le préfet envoie 8 brigades de gendarmerie, 2 escadrons de chasseurs et 450 hommes du train des équipages mais le calme est revenu.

Les Gascons sont-ils toujours insoumis ?

Gascon et gasconne vus par les "Les Français peints par eux-mêmes - Encyclopédie morale du 19è s.)(1841)
Gascon et gasconne vus par « Les Français peints par eux-mêmes – Encyclopédie morale du 19è s. » (1841)

Le 19e siècle a connu beaucoup d’autres révoltes de Gascons insoumis : troubles du sel à Salies de Béarn en 1830, révolte forestière de 1848 en Barousse, « Guerre des limites » de 1827 à 1856 en pays Quint, émeutes contre les droits de place sur les marchés haut-pyrénéens, …

Depuis, les Gascons insoumis se sont-ils rangés ou n’ont-ils plus de libertés à défendre ?

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Les français peints par eux-mêmes, Edouard Ourliac, 1841
Les Pyrénées au XIXème siècle – L’éveil d’une société civile, Jean-François Soulet, éditions Sud-Ouest, 2004




Les colères de la Garonne, ce long fleuve tranquille

La Garonne, Era Garona, fleuve mystérieux, à la source longtemps inconnue, et dont les crues sont aussi bouillonnantes que les Gascons qui vivent sur ses rives !

Moi mon Océan
C’est une Garonne
Qui s’écoule comme
Un tapis roulant

Les paroles de la chanson de Claude Nougaro (1929-2004) s’appliquent bien à l’amour des Gascons pour ce fleuve tranquille qui connait parfois des accès de colère.

La Garonne est un fleuve gascon

La Garonne à Bosost (Val d'Aran)
La Garonne à Bosost (Val d’Aran)

Longue de 647 km, la Garonne prend sa source au val d’Aran, s’étire à travers la Haute-Garonne, le Tarn-et-Garonne et le Lot-et-Garonne, avant de se mélanger avec la Dordogne au Bec d’Ambès pour devenir la Gironde et se jeter dans l’Océan.

Elle traverse des plaines et des coteaux fertiles riches en fruits et légumes qu’elle nourrit de ses alluvions déposées par ses crues régulières.

La Garonne et l’Hôpital de la Grave à Toulouse

La Garonne a un régime torrentiel jusqu’à Toulouse qui s’atténue après l’embouchure du Tarn. En hiver, les crues sont provoquées par des pluies intenses sur tout le bassin. Au printemps, ce sont les pluies et la fonte des neiges. En automne, ce sont les orages sur la Gascogne.

le Pont de Pierre à Bordeaux
La Garonne et le Pont de Pierre à Bordeaux

 

Les crues de la Garonne

Inondations et crues de la Garonne (doc. SMEAG)
Caractéristiques des crues de la Garonne (doc. SMEAG)

Les crues de la Garonne sont régulières et parfois dévastatrices. Après la crue de 1196, le duc d’Aquitaine Henri II Plantagenêt (1133-1189) fait construire des digues de protection et exempte de tous droits ceux qui s’y emploient.

En 1777, la Garonne est en crue dans le Bordelais. Le curé de Bourdelle raconte : « Soit pour mémoire que le dix sept May de cette présente année que la Rivière de Garonne étant débordée pendant trois diverses fois a noyé et perdu totalement la Récolte de la parroisse de Bourdelles qui obligea les habitants a faucher les Bleds foins, et qu’il ne ramasser que quatre boisseaux moins deux picotins froment, neuf de Bled d’Espagne, et du tout de vin. »

D’autres crues importantes ont lieu en juin 1875, en mars 1930, en février 1952 et en décembre 1981.

Agen, la ville aux 150 inondations

En 580, l’historien Grégoire de Tours (538 ?-594) enregistre une inondation. Depuis, c’est 150 inondations qui ont été répertoriées ! Un record en France.

Inondation / crue de 1930 à Agen – Prison et rue de Strasbourg
Agen – Inondation de 1930 – Prison et rue de Strasbourg

En 1599, la crue centennale renverse une partie des murs d’Agen du côté l’église Sainte Hilaire. En 1604, une nouvelle crue centennale détruit quatre ponts, les murailles et de nombreuses maisons dans les quartiers exposés de Saint Georges et Saint Antoine.

Lo gran aigat lors des Rameaux de 1770 trouve son apogée après neuf jours de pluies et de vents. Les eaux de la Garonne grossissent et deviennent boueuses. Pendant trois jours, le fleuve déborde et ravage Toulouse, Moissac, Agen, Marmande. À Agen, l’aigat renverse le mur d’enceinte entre les portes Saint Antoine et Saint Georges. Les religieux et divers habitants arrivent à évacuer. Les flots charrient des arbres, des barriques, des charrettes, des animaux et des hommes surpris dans leurs maisons par la montée des eaux. Des radeaux sont construits à la hâte pour leur apporter des vivres et leur porter secours. Les dégâts s’élèvent à 20 millions de livres.

La grande crue de la Garonne de 1875

Toulouse - inondation / crue de la Garonne de 1875
Toulouse – Inondations de la Garonne de 1875  : Rue des Arcs St Cyprien / Pont Suspendu Saint-Michel / Jardin Raymond VI

La grande crue de la Garonne des 22, 23 et 24 juin 1875 reste dans toutes les mémoires comme l’une des plus dramatiques. C’est à Toulouse que les dégâts sont les plus importants.

La hauteur d’eau atteint 8,32 mètres au Pont Neuf. Le débit relevé est supérieur de 36 fois à la normale. Vers 1 heure de l’après-midi du 23 juin, le pont Saint-Pierre s’écroule. Vers 6 heures du soir, c’est celui de Saint-Michel.

Dans la nuit du 23 au 24 juin, la Garonne franchit le cours Dillon et submerge le quartier Saint-Cyprien. L’eau arrive au 1er étage des maisons qui commencent à s’écrouler, emportant avec elles ceux qui s’étaient réfugiés sur les toits.

Le niveau de la Garonne baisse pendant la nuit et les secours s’organisent. Les dons affluent. Les curieux aussi. Le conseil municipal vote en urgence un secours de 400 000 Francs.

On dénombre 209 morts qui sont enterrés au carré des noyés au cimetière de Terre-Cabade. La moitié des maisons sont emportées. Les autres abîmées doivent être détruites à la dynamite.

Que d’eau, que d’eau !

Le Maréchal de Mac Mahon visite Toulouse pour voir les déga^ts causés par les inondations de la Garonne (1875)
Patrice de Mac Mahon: « Que d’eau, que d’eau ! »

Le 26 juin, le Maréchal de Mac Mahon se rend à Toulouse pour voir les dégâts. Ne sachant que dire, il s’écrie « Que d’eau, que d’eau ! ». Le préfet lui répond : « Et encore, Monsieur le Président, vous n’en voyez que le dessus ! ».

La solidarité s’organise. Le conseil municipal vote un secours de 100 000 Francs. L’Assemblée Nationale vote un crédit de 2 Millions de Francs. Des dons affluent de partout. Même le Pape Pie X fait un don. Le journal La Dépêche ouvre une souscription dans ses bureaux.

Le quartier Saint-Cyprien est reconstruit après d’importants travaux de protection. Oui, l’inondation de 1875 reste encore dans toutes les mémoires…

Bordeaux à son tour noyée par la Garonne en 1883

Les inondations / crues de Bordeaux de février 1879
Les inondations de Bordeaux de février 1879

Les crues qui touchent la moyenne et la haute Garonne sont mieux connues que celles qui touchent Bordeaux. Les archives sont plus rares et la marée joue un rôle de vidange des crues qui occasionnent moins de dégâts à Bordeaux.

Pourtant, le 5 juin 1883, l’orage gronde sur Bordeaux. Des averses s’abattent sur Langon et la Réole en fin de matinée. En début d’après-midi, c’est le tour de Bordeaux et de Talence. Il tombe 64 mm d’eau en 1 heure 30.

Inondation de la Garonne à Langon en 1952
Les inondations de la Garonne à Langon en 1952

La rue Sainte-Catherine et les rues avoisinantes deviennent des torrents. Des rigoles de 20 cm se creusent sur les places Dauphine (place Gambetta aujourd’hui), du palais de justice et de Rohan. Les caves sont inondées dans l’enceinte du marché des Grands hommes.

Les rues sont dépavées, des verrières brisées et des bâtiments endommagés. Sur la route de Bayonne, entre le passage Cellier et l’impasse Conti, les plafonds et les cloisons intérieures de plusieurs maisons s’effondrent. Des toitures s’écroulent et des murs menacent de tomber.

La Garonne, sujet d’inspiration artistique ?

André Chénier (1762-1794)
André Chénier (1762-1794)

La Garonne est, finalement, assez peu chantée. André Chénier (1762-1794) cite L’indomptable Garonne aux vagues insensées, dans son poème À la France. Le poète suisse Jacques Herman (1948- ) écrira un poème entier La Garonne qui finit par ces vers :

On est encore loin
D’entendre retentir le nom
Du fleuve comme un cri
La Garonne
La Garonne
Quand elle aura quitté son lit

 

Le chansonnier limougeaud Gustave NADAUD (1820-1893) écrit une chanson Si la Garonne avait voulu qui termine ainsi :

Gustave NADAUD (1820-1893)
Gustave Nadaud (1820-1893)

Si la Garonne avait voulu,
Lanturlu !
Humilier les autres fleuves.
Seulement, pour faire ses preuves,
Elle arrondit son petit lot :
Ayant pris le Tarn et le Lot,
Elle confisqua la Dordogne.
La Garonne n’a pas voulu,
Lanturlu !
Quitter le pays de Gascogne.

Finalement, la Garonne est peut-être plus présente dans sa première partie, en Val d’Aran et Comminges. Ainsi, la poétesse saint-gaudinoise, Paulette Sarradet (1922-2015) écrit le poème « La Garonne » dans son recueil Dans le jardin des rimes.

Mossen Jusèp Condò i Sambeat (1867-1919)
Mossen Jusèp Condò i Sambeat (1867-1919)

Mossen Jusèp Condò i Sambeat (1867-1919) sera primé aux Jòcs Floraus dera Escòla des Pirenèus pour sa Cançon ara Garona. Longue chanson en aranais car dès 1912, Bernard Sarrieu l’amènera à écrire dans sa langue.

E tot en un còp me torni
fresca, fòrta e arroganta;

Un fleuve apaisé

Philippe Delerm
Philippe Delerm

Philippe Delerm (1950- ), originaire du Tarn-et-Garonne, consacre tout un livre, À Garonne. Il raconte ce fleuve dont la couleur des eaux a changé par les travaux qui ont forcé son apaisement, quand on a traîtreusement jugulé la vie de l’eau. Il se souvient d’aller à Garonne, c’est-à-dire Pas sur la rive, mais dans tout le royaume voué au fleuve.

Références

L’étymologie de la Garonne J-U Hubschmied, A. Dauzat, 1955
Agen la ville la plus inondée de France, 2015
La grande inondation de 1875,
E. Bresson. Fascicule vendu au profit des sinistrés.
Crue de la Garonne en 1875
La photo de tête est tirée d’une série de photos de Thierry Breton parue dans un article de Sud-Ouest du 12 décembre 2019 et intitulé « Lot-et-Garonne : la crue et les inondations vues du ciel »




L’ours de la discorde dans les Pyrénées

L’ours est présent dans les Pyrénées depuis près de 250 000 ans. Depuis des siècles, les populations locales entretiennent avec lui des rapports complexes qui se partagent entre respect, amour et haine.

L’ours des Pyrénées

L’ours des Pyrénées est un plantigrade qui peut mesurer de 170 cm à 280 cm pour le mâle et peser de 135 à 390 kg. Il possède un odorat et une ouïe très développés, ce qui le rend difficile d‘approche. Il fuit l’homme et les rencontres sont extrêmement rares.

C’est un très bon nageur et un très bon grimpeur. Il peut courir jusqu’à 50 km/h. Dans son milieu naturel, il peut vivre jusqu’à 40 ans.

C’est un solitaire, sauf durant la période de reproduction. La gestation dure de 6 à 8 semaines et la portée peut aller jusqu’à 3 oursons. Leur mère les allaite et ils restent avec elle environ 6 mois.

L’ours est omnivore. Son régime alimentaire comporte près de 80 % de végétaux divers (fruits, herbes, racines) et de 20 % de viande (petits mammifères, amphibiens, insectes). C’est un opportuniste et il ne dédaigne pas les animaux sauvages et parfois domestiques.

Aire de présence de l'ours dans les Pyrénées en 2018 (40 individus d'après https://www.paysdelours.com/fr)
Aire de présence de l’ours dans les Pyrénées en 2018 – 40 individus recensés (d’après https://www.paysdelours.com/fr)

Une présence ancienne de l’ours

Grotte des Trois Frères (Ariège) - ours criblé de flèches et lapidé
Grotte des Trois Frères (Ariège) – Ours criblé de flèches et lapidé (selon l’Abbé Breuil)

Vers moins 250 000, l’ours est présent dans la quasi-totalité des forêts de l’Europe. Au fil des siècles, sous l’effet de la pression humaine, son aire de répartition se réduit aux massifs montagneux. En France, au XVIIIe siècle, on ne le trouve plus que dans les Pyrénées, le sud du Massif Central, les Alpes et la Franche-Comté.

En 1850, l’ours disparaît de la Franche-Comté. Dans les Alpes, on observe le dernier ours en 1937. Dans les Pyrénées, dans les années 1950, on ne le trouve qu’en deux endroits, Comminges et Béarn qui sera le dernier noyau de présence de l’ours. En 1995, on n’en comptera plus que 5 ou 6.

En 1979, on inscrit l’ours sur la liste des animaux protégés, et depuis 1984, on met en place des mesures de sauvegarde. Un premier lâcher de trois ours slovènes a lieu en 1996, sans aucune difficulté. C’est à partir du lâcher de cinq nouveaux ours en 2006 que des tensions apparaissent. Il y en aurait une quarantaine aujourd’hui.

La place particulière de l’ours dans le patrimoine pyrénéen

L’ours dans les Pyrénées possède une place symbolique. On le vénérait comme divinité dans le panthéon pyrénéen (Artahe, le Dieu ours).

Le conte de Jean de l'ours (JC Pertuzé)
Jean de l’Ours (dessin de J-C Pertuzé)

Il est présent dans de nombreuses légendes comme celle de Jean de l’Ours. Elle commence ainsi : « Il était une fois une pauvre femme qui coupait du bois dans la forêt lorsque l’Ours l’enleva et l’emporta au fond de sa grotte. Après quelques mois, la femme mit au monde un garçon qu’elle nomma Jean… ». Dans les légendes, l’ours avait une sexualité débridée.

La toponymie marque la présence de l’ours : Pic de l’Ossetera, Pic de la Coumeille de l’Ours, Pic de la Tute de l’Ours, bois du Fangassis de l’Ours, Artzamendi (montagne de l’ours en basque), etc. Dans le langage populaire, Que put a l’ors signifie Il sent mauvais, et un orsàs est quelqu’un de bougon et rude.

Dans les carnavals pyrénéens, l’ours émaille les festivités de la Catalogne au Pays Basque.

Le respect dû à l’ours

Les populations pyrénéennes ont toujours eu un profond respect pour l’ours. Elles le voyaient comme un parent éloigné, un homme déchu et sauvage en raison de son apparence physique. Il se dresse sur ses pattes comme un homme. Ses empreintes rappellent celles d’un pied. Il a le même régime alimentaire et il allaite ses petits en position assise. On lui donne le prénom de Gaspard, Dominique ou Martin… Un proverbe basque est tout à fait significatif : Ne tue pas l’ours, c’est ton père.

Pour qu’il ne sache pas que l’on parle de lui, on lui donne des sobriquets : Lo Mèste (Le Maître), Lo Mossur (Le Monsieur), Lo Pèdescauç (Le Va nu-pieds), etc.

Jean-Louis Deschamps, de l’Association des amis d’Aulus et de la vallée du Garbet, raconte qu’il y a encore peu, on faisait la leçon aux enfants au cas où ils rencontreraient l’ours. Approchez-vous de l’animal avec respect et courtoisie car l’ours est le vieux roi des montagnes, très sensible au protocole et aux bonnes manières ; adressez-vous à lui avec politesse, sans hurlements ni simagrées et a fortiori, sans lui jeter des pierres ni s’enfuir en courant, ce qui l’offenserait.

Ne retrouve-t-on pas ces sages conseils dans les dépliants remis aux touristes par les offices du tourisme ?

La chasse à l’ours

Gaston Febus - Le Livre de la Chasse (XIVème s.) et l'ours
Gaston Febus – Le Livre de la Chasse (14è)

Gaston Febus chassait l’ours comme on peut le voir dans Le livre de la chasse. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’on introduisit une prime pour la mort d’un prédateur. Commença alors la « guerre aux ours » jusqu’à l’interdiction de la chasse à l’ours en 1962.

Les rencontres avec les bergers étaient peu nombreuses. Un manuscrit de 1713 relate comment les bergers se préservaient de l’ours « en montant sur le premier arbre qu’ils trouvent, armés d’une dague et d’une petite cognée qu’ils portent toujours pour couper du bois dans la montagne. L’ours, quoique lourd et pesant, grimpe sur l’arbre avec assez de facilité. Mais dès qu’il avance les pattes pour saisir avec les griffes le pâtre, celui-ci les lui coupe à coups de cognée ». Une fois à terre, et sans ses griffes, c’est plus facile pour le tuer.

Mais si le berger n’avait pas le temps de monter dans un arbre, il devait affronter l’ours. L’ours se lève tout droit sur ses pieds de derrière pour prendre au corps le pâtre qui se présente à lui. Ils s’embrassent tous deux, et le pâtre, qui est armé d’une dague, a l’adresse de faire passer le museau de l’ours par-dessus son épaule, sur laquelle il le tient étroitement serré. L’ours, qui est plus fort. le renverse à terre, et s’ils se trouvent sur un penchant, ils roulent ainsi embrassés jusqu’à ce que le pâtre a tué l’ours à coups de dague qu’il lui plonge dans les reins.

Chaque vallée avait ses « chasseurs »

L'intrépide Bergé, tueur d'ours
L’intrépide Bergé, tueur d’ours

Le plus célèbre était Pierre Bergé de Laruns qui tua, dit-on 40 ours, et dont la renommée monta jusqu’à Paris. Ses exploits sont racontés dans le journal L’indépendant du 2 septembre 1858, dans Le Petit Journal de 1863 et fit même l’objet d’une édition Le Tueur d’ours, histoire de Bergé l’intrépide, par Ed. Sicabaig.

Les orsalhèrs ou montreurs d’ours

Montreur d'ours à Luchon en sept. 1900 (E. Trutat)
Montreur d’ours à Luchon en sept. 1900 (Photo E. Trutat)

Le métier de montreurs d’ours était pratiqué depuis le Moyen-âge. A partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, on vit des centaines d’orsalhèrs d’Ercé, Oust et Ustou en Ariège parcourir le monde pour montrer des ours.

Les orsalhèrs récupéraient les jeunes ours et n’hésitaient pas à tuer la mère pour s’en emparer. Ils les élevaient au biberon et leur apprenaient quelques tours pour divertir le public. L’ourson perdait son caractère sauvage, était ferré et on lui mettait un anneau autour du museau pour le tenir avec une chaîne.

Des familles d’orsalhèrs jusqu’aux Etats-Unis

Montreur d'ours pyrénéen en Angleterre
Montreur d’ours pyrénéen en Angleterre

Les habitants d’Ercé sont surnommés les Américains car ils furent nombreux à s’établir aux États-Unis. Après la première guerre mondiale, de nombreuses femmes émigrèrent dans la région de New-York Elles allèrent rejoindre les orsalhèrs et occupèrent de emplois dans l’hôtellerie et la restauration. Une nouvelle vague d’émigration se produisit après la seconde guerre mondiale pour rejoindre des parents déjà installés. Aujourd’hui encore, cinq restaurants new-yorkais sont tenus par des descendants des montreurs d’ours d’Ercé. Dans Central Park, il y a un rocher baptisé « Le Roc d’Ercé ».

En 1906, une foule de 300 personnes, le curé et trois ours empêchèrent l’inventaire des biens de l’église de Cominac, hameau d’Ercé ! Le percepteur d’Oust venu faire l’inventaire n’insista pas ….

Deux films racontent la vie des orsalhèrs ou montreurs d’ours: La vallée des montreurs d’ours de Francis Fourcou et L’orsalhèr, film en gascon de Jean Fléchet.

Le programme de restauration dans les Pyrénées

L’ours est protégé depuis 1982. En 1990, l’Etat prend des mesures strictes qui occasionnent, notamment en Béarn, de fortes protestations. Certains disent que des fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture agissent en sous-main pour combattre l’influence grandissante du Ministère de l’Ecologie et lancer de grands projets d’aménagement …

Le camembert de l'Oust : ours et la publicité
L’ours et la publicité

En 1996, un premier lâcher de 3 ours à Melles en Haute-Garonne n’a pas suscité de protestations. Ce n’est qu’en 2006 avec le lâcher très médiatisé de 5 nouveaux ours que des tensions sont apparues. Les lâchers suivants ont été plus discrets.

Les uns considèrent que la réintroduction de l’ours est inutile, coûteux et dangereux pour l’avenir de l’activité agricole en montagne. Les autres estiment que c’est une chance pour l’activité économique montagnarde.

L’État consacre chaque année près de 2 Milliards d’euros au programme ours. 60 % concernent le pastoralisme. L’Etat finance une centaine d’emplois de bergers. Le Patou des Pyrénées fait son retour comme élément du patrimoine. Des groupements d’éleveurs créent des labels autour du retour de l’ours. Par exemple, le fromage Pé descaus en Béarn ou la « Viande du Pays de l’Ours » en Haute-Garonne. Ils contribuent à améliorer les revenus des agriculteurs.

L’ours cristallise les difficultés de l’agropastoralisme

Les bergers se mobilisent contre la réintroduction de l'ours
Les bergers se mobilisent contre la réintroduction de l’ours

L’agriculture montagnarde est dans une situation difficile. Les prix de vente n’ont pas évolué depuis 1980. le nombre d’actifs diminue dans les exploitations. Et la moyenne d’âge des actifs agricoles augmente.

Dans les Pyrénées-Atlantiques, la production ovine se tourne davantage vers le lait pour la fabrication de fromages. La présence des bergers est encore forte. Dans d’autres secteurs, la production est devenue extensive et consacrée à la production d’agneaux pour la viande. On y a abandonné progressivement le gardiennage. À cela s’ajoutent les mesures de la nouvelle PAC (Politique Agricole Commune) qui paraissent peu cohérentes.

C’est dans ce contexte que le programme de réintroduction de l’ours cristallise les mécontentements. L’ours est le révélateur d’une crise profonde de l’agropastoralisme.

Le compagnon de toujours

Teddy Bear, l'ours en PelucheC’est toujours à l’ours que l’on confie ses secrets. Le Nounours est né en 1903 près de Stuttgart en Allemagne.

Les américains l’appellent Teddy Bear en souvenir d’une partie de chasse de Théodore Roosevelt, alors président des Etats-Unis. Il refusa de tirer sur un ours attaché par les organisateurs de la chasse. Rose et Morris Mictchom immortalisèrent cet épisode en créant un ours en peluche baptisé Teddy.

Serge Clos-Versaille

Références

L’ours et les brebis, Lamazou (E.), 1988, Paris, Payot, 203 p.
Histoire de l’ours dans les Pyrénées, de la préhistoire à la réintroduction, Marliave de (O.), 2000, Bordeaux, Sud-Ouest, 254 p.
Le tueur d’ours, histoire de l’intrépide chasseur (Gallica-BNF)
Réseau suivi de l’ours de l’ONCFS




L’épizootie de 1774 à 1776 en Gascogne

L’épizootie de 1774 – 1776 en Gascogne ? Qu’es aquò? Terrible épidémie qui toucha les animaux à cornes, la peste bovine comme on disait à l’époque, commença en mai 1774, aux environs de Bayonne. Très vite, la maladie se propagea de paroisse en paroisse .

Elle suivait la route des foires et des marchés et elle toucha toute la Gascogne en quelques mois. Elle atteignit Bordeaux le 22 septembre et les environs de Toulouse le 15 octobre. Presque tous les bestiaux à corne périrent. On estime à plus de 150 000 le nombre de bêtes mortes de l’épizootie.

La marche inexorable de l’épizootie de 1774-1776

Arrêt du Conseil d'État du roi qui est indiqué les pros les précautions à prendre contre la maladie épidémique sur les bestiaux du 19 juillet 1746
Arrêt du Conseil d’État du Roi du 19 juillet 1746 qui indique les précautions à prendre contre la maladie épidémique sur les bestiaux

L’épizootie prit tout le monde de court car on ne l’attendait pas en Gascogne. Les épidémies de mortalité du bétail touchèrent d’abord le nord du royaume.  Et on mit en place progressivement une législation pour combattre ces épizooties. Les mesures de lutte reposaient sur le principe d’une déclaration des bêtes malades, l’abattage des bêtes attaquées. Elles empêchaient  toute communication entre les bestiaux et imposaient la désinfection des étables.

Après des hésitations jusqu’à la fin juin, Nicolas d’Aine, intendant de Bayonne, publia l’arrêt du Conseil du 31 janvier 1771. Charles d’Esmengart, intendant de Bordeaux le publia le 25 juillet et Étienne-Louis Journet, intendant d’Auch le publia seulement en août. Les hésitations du début et le manque de coordination entre les intendants favorisèrent la progression de l’épizootie

 

Felix Vicq d’Azyr (

La population n’accepta pas les mesures de restriction des communications et l’interdiction des foires et des marchés. Une intense contrebande s’organisa. Les paysans cherchaient à vendre leurs bêtes malades et à s’en procurer de nouvelles pour cultiver leurs terres. Ce qui favorisa la propagation de la maladie. De plus, l’ignorance des paysans laissa libre cours aux charlatans et à leurs remèdes. Félix Vic d’Azyr, envoyé pour combattre l’épizootie disait. « Il faut punir de la prison, jusqu’à l’extinction du fléau, les charlatans, les empiriques, les sorciers et les devins qui cherchent leur fortune dans la misère publique ».

Le témoignage de l’abbé Cazaubon

Remèdes éprouvés à Metz (1743)
Remèdes éprouvés à Metz (1743)

Lavedan Cazaubon, curé de Plaisance du Gers, fit un rapport sur l’épizootie dans le registre des sépultures de sa paroisse pour l’année 1775. Il résume parfaitement le déroulement des événements.

« Dans cette année 1775, il y a eu une maladie dans les bœufs, vaches et veaux, qui a ravagé presque toute la France dans cette espèce ». On a éprouvé tous les remèdes imaginables pour remédier à cette maladie qu’on a nommé épizootie, et tous sont devenus inutiles. Il y a eu pourtant quel tête de bétail qui en est guérie, a force de remèdes, mais pû.

Les simptomes de cette maladie étaient que les bestes ou bœufs ou vaches, avait les oreilles fort abatues, le nazau fort sec et les betes ne mangaient point. La maladie était fort communiquative. De façon que si une bete a corne ou autrement dit, bœufs, vaches approchent de betes saines, toutes périssaient les unes après les autres.

Si les personnes qui soignent les betes malades, entraient dans une écurie de betes saines, la maladie y était de suite et la mort s’ensuivait dans les 7 ou 8 jours. Les personnes qui approchent encore des betes malades avec des habits de laine et qui ensuite allaient toucher ou visiter des bestiaux sains, leur portaient la maladie. »

Le Roi intervient

La maréchaussée vient contrôler l'extension de l'épizootie
La maréchaussée en 1769

« Voyant des maux si grands, le roy de france envoya des troupes dans tout son royaume pour empêcher la communication des bestiaux de paroisse a autre. En sorte que les soldats et officiers étaient dispersés par détachement dans les villes et villages.

Ces soldats procurèrent plus de mal, pendant un temps, parce que, comme ils allaient faire assommer les betes malades et les enterrer avec leur cuir, dans les foces de 12 pieds de profondeur, les soldats étaient revetus avec leurs habits de laine, allaient visiter des écuries seines, pour voir s’il y avait des betes malades, alors ils étendaient la maladie davantage. Il fallut ensuite leur faire faire des sarrots de toile et aux païssans aussi. De façon meme qu’on faisait garde continuellement pour qu’il nentrat pas des personnes d’une paroisse infectée dans une qui ne l’était pas de l’épizootie.

Le seul remède efficace qu’on a trouvé pour mettre fin a cette maladie a été de faire assommer tous les animaux qui étaient dans une écurie, dabort qu’il y en avait seulement une de malade et cet par ce moyen qu’on y a mis fin.

La maladie a duré depuis l’année 1774 jusques environ le mois de juillet 1776. Et dans le mois de septembre de cette dernière année, les troupes nous ont quittés.

Nous n’avons eü dans notre paroisse que 4 ou 6 bœufs qui y ont péri par l’imprudence d’un homme qui entra dans une écurie et y toucha quelque bœuf, venant d’en toucher hors ville des malades. »

Progression de la peste bovine dans le Sud-ouest en 1774.
Progression de la peste bovine dans le Sud-ouest en 1774.

Les effets de l’épizootie sur la vie des communautés

Billet de la Garde d'Auch pour contrôler les accès de l'épizootie
Billet de la Garde d’Auch (1775) – AD du Gers – photo SCV

Les communautés durent mettre en place des gardes bourgeoises pour tenir des postes sur les routes et chemins principaux afin de contrôler toute entrée et sortie de troupeaux ou d’attelages. On évitait ainsi toute communication de l’épizootie entre les bestiaux. Ces gardes, indemnisées, pesaient sur le budget des communautés qui devaient emprunter. A Vic Bigorre, on dût emprunter 600 Livres en avril 1775 pour indemniser les gardes pour une période de six mois.

Certificat du curé d’Aspin Aure pour deux vaches saines – ADHP E dépôt 11 – Photo SCV

Les bouchers ne trouvaient plus de bœufs ou de vaches à acheter tant l’espèce était devenue rare. Même les moutons vinrent à manquer, ce qui entraîna une cherté du prix de la viande. Aussi, dans la plupart des communautés de Gascogne, les bouchers demandèrent une hausse du prix de vente de la viande de 2 sous la livre. On leur accorda. Dans certaines communautés, comme à l’Isle Jourdain, les gens craignaient de s’empoisonner en mangeant du bœuf. Il fallut débiter les bêtes en public. On les exposait pour montrer qu’il n’y avait aucun danger.

L’interdiction de communication entre les bestiaux empêchait le commerce du vin et du bois pour l’hiver. Les droits de pontonnage (taxe pour le passage sur un pont), d’octroi et de souquet (taxe sur les tavernes) diminuaient fortement. Si bien que les fermiers de ces droits demandèrent des indemnités aux communautés.

Nombreuses seront les communautés qui demanderont des secours financiers, parfois accordés sous forme de diminution des impositions.

Des paysans démunis face à la peste bovine

Les paysans qui avaient des terres à l’extérieur de leur paroisse ne pouvaient plus les cultiver. Des récoltes tardives furent perdues avec le grain nécessaire aux semailles de l’année suivante.

Les paysans n’ayant plus de bœufs ni de vaches, s’attelaient à plusieurs pour tirer la charrue. Les labours étaient peu profonds et les récoltes mauvaises. En janvier 1775, le roi offrit une prime pour chaque cheval ou mulet vendu dans les provinces touchées pour remplacer le bétail décimé.

L’interdiction de la vente des cuirs des bêtes mortes privait les paysans d’un revenu complémentaire. La nécessité de trouver des bêtes en remplacement entraina de nombreuses contraventions. On connaît des actes de brigandage en Béarn qui consistaient à enlever des chevaux et autres animaux pour les revendre. Les bêtes en contravention étaient saisies et vendues, les propriétaires soumis à l’amende et parfois emprisonnés. Dans de nombreux cas, les paysans ne déclaraient pas les bêtes mortes. Dans l’espoir de ne pas voir tout le troupeau assommé et de pouvoir vendre le cuir et la viande.

Ds troupeaux se réfugièrent dans la vallée de Larboust pour échapper à l'épizootie
La vallée de Larboust (31)

Pourtant, lorsqu’on les appliqua strictement, les mesures de lutte permirent à plusieurs communautés de ne pas être attaquées par l’épizootie. La vallée du Larboust sauva ses bestiaux en les séquestrant dans un pacage près du lac de Seculego. Dans les Landes, le confinement du bétail dans les landes ou les dunes les protégea de l’épozootie.

Serge Clos-Versaille

À suivre au prochain numéro : L’épizootie bovine est vaincue.

Références :

L’image d’entête est tirée d’un article de Wikipedia sur la peste bovine , une gravure de 1745 qui évoque un épisode de peste bovine aux Pays-Bas.




Les bois pyrénéens pour la politique royale

Fin XVIIe siècle, la politique de Louis XIV et de son intendant de la Marine, Colbert, va entraîner une exploitation intensive des bois des Pyrénées. Avec des conséquences sur les hommes, l’environnement et l’économie. Roland Coquerel détaille cette activité, dans son article du Bulletin de la Société Ramond, en 1985.

Les bois sont exploités

La surexploitation du bois au moyen-âgeOn exploite le bois depuis bien longtemps, ne serait-ce que pour se chauffer et pour chauffer les gens des villes. Ou encore pour les charpentiers, les verriers, les forgerons…  Au XIIIe siècle, on a tellement exploité les forêts qu’elle sont en danger. À Najac (Aveyron), en 1307, les consuls trouvent une parade. Ils interdisent pendant quinze ans l’exploitation d’une grande partie des forêts, afin qu’elles puissent se régénérer. Si la décision est impopulaire, elle se généralise dès 1346 aux régions voisines et au Royaume de France. Pourtant, 300 ans plus tard, la situation est de nouveau critique… pour raison d’État !

Les métaux, les minerais et les bois des Pyrénées

Carrières de marbre dans le Haut-Couserans
Carrières de marbre dans le Haut-Couserans

L’exploitation du marbre et du bois des Pyrénées, depuis au moins le temps de Rome, se limitait aux régions proches des cours d’eau. A partir du XVIe siècle, la production va s’étendre aux minéraux et se vendre jusqu’à Paris. L’historiographe d’Henri II, Pierre de Paschal (1522-565), écrivait en 1548. En ces montagnes […] sont en plusieurs lieux les veines des minéraux, les espesses et palisantes forêts, les abondantes fontaines desquelles les clairs ruisseaux et rivières tortues, et fléchies en divers cours, décovrent au fleuve Garonne.

On exploite en particulier les hautes futaies de sapins, à proximité des rivières. Comme en Comminges et en Bigorre, celles de Saint-Béat, de Cierp et de Barbazan, proches de la Garonne. Et celles de Hèches, Sarrancolin et Campan, voisines de la Neste, son affluent. Ou encore dans l’ouest pyrénéen à proximité des Gaves.

Colbert veut du bois pour la Marine

Hubert Gautier (1660-1737), Inspecteur des Grands Chemins, Ponts et Chaussées chargé par le Roi d'organiser la fourniture des mâts de marine
Hubert Gautier (1660-1737), Inspecteur des Grands Chemins, Ponts et Chaussées

Dès 1660, Colbert (1619-1683) propose d’industrialiser la France, de créer une forte marine marchande et de renforcer la marine de guerre.  Il va falloir du bois. Dans le nord de la France, vu les dégâts des guerres, l’exploitation désordonnée des forêts et le coût des bois achetés en Scandinavie, Colbert choisit les Pyrénées.  On organise le travail.

Hubert Gautier (1660-1737), inspecteur des Grands Chemins, Ponts et Chaussées du royaume est chargé de l’exploitation des bois dans les Pyrénées. Il écrit le Traité de la Construction des Chemins. Il parle surtout de l’exploitation en Comminges.

L’abattage des arbres

Lors d’une visite de la forêt, on marque les arbres à abattre  avec un marteau et on les enregistre. À partir de ce moment, interdiction absolue de vendre ou brûler aucun arbre de cette forêt. Les arbres sont ensuite abattus, ébranchés, écorcés (pour éviter qu’ils ne pourrissent). Leur bout est taillé (forme conique si en pièce unique, sinon en sifflet). Le diamètre est mesuré avec un compas courbe ou avec une ficelle, car la Marine a des exigences. La longueur du mât en pieds doit être trois fois le diamètre en pouces. Par exemple, un mât de 24 m doit avoir 65 cm de diamètre et au moins 44 cm au bout le plus fin.

Un travail pénible et dangereux

On perce deux ou trois trous aux extrémités de l’arbre abattu pour passer les câbles de manœuvre. Ils permettront de guider l’arbre pendant sa descente. Si la pente est forte on laisse glisser en retenant le tronc. Sinon on attelle des bœufs ou des vaches.

Descente d'un mât sur une glissoire en bois
Descente d’un mât sur une « glissoire » (gravure tirée du Mémoire sur les travaux qui ont rapport à l’exploitation de la mâture dans les Pyrénées – Paul-Marie Leroy (1776)

Les débûcheurs attachent les fûts de sapin à des arbres non abattus. On enroule la corde autour des arbres en bas et on lâche la corde des arbres d’en haut. Dans les passages où la terre est trop inégale on crée des coulants, appelés aussi glissoires (couloirs en bois bâtis). Un brigadier commande la manœuvre et décide du choix des arbres autour desquels on mettra les cordes.

Gautier précise que l’intelligence des ouvriers entre beaucoup dans la réussite des travaux.  Parce que si un arbre est tombé dans une mauvaise position, à l’instant de l’ébranchement il faudra plus de trente hommes pour le virer et s’il n’est pas conduit dans sa chute du côté de la glissoire, une brigade entière emploiera un jour ou deux pour le tirer de ce mauvais pas.

La tracte ou transport des mâts

Chemin de la Mâture (1200 m) pour exploiter le bois de la forêt du Pacq
Chemin de la Mâture (1200 m) pour exploiter la forêt du Pacq et traverser les « gorges de l’Enfer » – commune d’Urdos (64)

Afin d’acheminer les bois, l’inspecteur parcourt l’itinéraire que suivront les charrois. Il vérifie l’état des chemins. Il organise et supervise leurs élargissements ou réparations nécessaires. On explose les pierres à la poudre si besoin. Ou on les fait éclater en allumant des feux puis en jetant de l’eau dessus. C’est une technique rapide et efficace et, surtout, traditionnelle dans nos montagnes. Le Chemin de la Mâture, achevé en 1772, est un exemple impressionnant de ces travaux que dirige l’ingénieur Leroy. Les hommes, probablement des forçats, munis de pics et suspendus à une corde, creusèrent le passage dans une paroi vertigineuse.

Des chariots transportent les mâts par les chemins. Un mât de 25 m. pèse au moins 7 tonnes. Il faut pour tirer le chariot, 30 ou 40 paires de bœufs attachés ensemble. Des hommes les guident à l’avant pour assurer le travail harmonieux des bêtes. Des coudoyeurs manoeuvrent le timon de queue. Imaginons ce qu’a pu être le chargement des mâts (avec un palan) et les dégâts humains si le chariot versait ou perdait une roue !

Malgré cinq mois de repos lors de la mauvaise saison, la plupart des bêtes ne se remettent pas et on doit les réformer.

Le flottage des bois

Radelage du bois sur l'Adour à Dax
Radelage sur l’Adour à Dax

Arrivés au bord des rivières, on peut mettre les mâts à l’eau. On les guide depuis la rive (flottage à la touche). Dans ce cas, il faut avoir aménagé le cours d’eau. Il faut avoir explosé les rochers qui rétrécissent certains passages, rétréci les endroits trop larges par des épis, divisé le cours en illons (îlots) avec des digues, construit des passelis pour freiner le courant. Ou, on peut faire des radeaux avec ces mâts selon une technique très précise. Ensuite, les radeleurs manœuvrent en utilisant un grand nombre de cordes ou d’andortes (brins de noisetier).

Arrivés à l’océan, on embarque enfin les mâts sur des flûtes; des bateaux spécialisés dans le transport de matériels.

Les ouvriers

Le transport de bois avec des bœufs (vers 1900)
Le transport de bois avec des bœufs (vers 1900)

On recrute les ouvriers localement. Certains sont volontaires, mais il faut parfois menacer pour en mobiliser. Une ordonnance de Toulouse le 10 janvier 1670 précise que les habitants et communautés des forêts et rivières de quatre lieues des environs doivent fournir les hommes nécessaires pour la coupe des bois et pour les autres travaux. La peine est de vingt livres d’amende à la première contravention et de cinquante livres à la seconde.

On appelle également les femmes à y travailler, en particulier pour les chemins. Les communautés se plaignent de ces contraintes. De plus, on réquisitionne les bœufs des paysans, ce qui empêche leur travail pour la ferme quand les bêtes ne meurent pas en montagne ! On ne paye pas les journées des dits bœufs et des conducteurs pour pouvoir seulement subvenir à leur dépence. On ne paie pas non plus les risques, les pertes, ni des frais d’attelage.

Les communautés s’organisent.

Par exemple, les consuls de Capvern décident le 18 janvier 1685 que tous les propriétaires de bestiaux de la commune contribueront financièrement pour aider ceux d’entre eux qui perdraient leurs bêtes à cause de la tracte.

La construction et l’entretien des passelis ainsi que la réparation des dégâts occasionnés par les troncs flottants étaient à la charge des meuniers.

Les dégâts et la réussite

Les bêtes épuisées obligent à étendre les réquisitions plus loin.  Par exemple en 1691, les consuls de Trie-sur-Baïse écrivent. La misère étant telle dans le pays que les bœufs ayant été requis pour aller à la montagne transporter des vois pour la Marine du Roi, on ne put en réquisitionner un nombre suffisant.

L’opération de Colbert puis celle de Choiseul vont dévaster les forêts pyrénéennes. Coquerel rapporte les propos du préfet des Hautes-Pyrénées, Georges Roquette-Buisson (1841-1922). Il fallait sacrifier 2000 gros arbres pour construire un seul vaisseau de 74 canons. Jean de Laclède (1727-1789) écrit  si on ne les régénère pas avec plus de soin que par le passé, c’est une autre ressource qui ne renaîtra jamais.

La galère La Réale, fleuron de la marine du Roi
La galère La Réale (dessin de 1697)

La Marine de guerre française multiplie par 4 le nombre de bateaux (106 construits en dix ans) même s’il y a un certain gâchis. Par exemple, Colbert fait construire des galères (type de navire de guerre abandonné par les Anglais depuis deux cents ans parce qu’inadaptés). Et, au final, si l’effort repositionne la France, celle-ci ne parviendra pas à dominer les mers.

Anne-Pierre Darrées

Références

La traite des bois pyrénéens pour la Marine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Roland Coquerel, 1985, p.115-164
Forêts et transports traditionnels, Andrée Corvol, 2004
Mémoire sur les travaux qui ont rapport à l’exploitation de la Mâture dans les Pyrénnées, Paul-Marie Leroy, 1776
Les vallées pyrénéennes, Roquette-Buisson, 1921
La marine de Louis XIV fut-elle adaptée à ses objectifs ? Olivier Chaline, 2011
Le flottage du bois sur la Garonne : archéologie d’un espace économique et d’un savoir-faire (xviie-xixe siècle) François Anh Linh
Grandeur et décadence de la navigation fluviale : l’exemple du bassin supérieur de la Garonne du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle  J-Michel Minovez