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Marie, Simone et les autres… femmes en politique

Puisque le 8 mars est la journée international de la femme, n’est-ce pas une bonne occasion de regarder la place des femmes en politique dans la Gascogne d’aujourd’hui ?

Le rôle des femmes dans l’histoire politique

Jeanne d'Albret, femme en politique
Jeanne d’Albret (1528-1572)

Les femmes tiennent surtout des rôles d’influence politique dans les temps anciens, sauf quelques cas où elles exercent directement le pouvoir : régence, remplacement des maris en guerre ou les abbesses. Toutefois, certaines sont restées dans les mémoires pour leur rôle plus ou moins choisi mais déterminant, comme Aliénor d’Aquitaine (ca 1122-1204), Pétronille de Bigorre (ca 1194 – 1251) ou Jeanne d’Albret (1528 – 1572) pour ne citer qu’elles.

Plus tard, les femmes réclament une place plus égalitaire. Ainsi,  la Constitution de Pascal Paoli accorde le droit de vote aux femmes en Corse en 1755. Droit qu’elles perdront avec l’annexion de l’île à la France en 1768.

Olympe de Gouges , femme en politique prône l'entrée des femmes dans la Révolution
Marie-Olympe de Gouges (1748-1793)

Néanmoins, la Révolution française accorde le droit de vote aux hommes qui paient un minimum d’impôt. Aussitôt, des femmes se réunissent pour revendiquer l’égalité des droits comme la Paloise Pauline Siro ou la Montalbanaise Olympe de Gouges.

Les choses vont évoluer dans le monde, un siècle plus tard : les habitantes du Wyoming obtiennent le droit de vote en 1869, les Néo-Zélandaises en 1893 (y compris les maories), les Australiennes en 1902, les Finlandaises en 1906, les Norvégiennes en 1913, les Belges en 1920, les Britanniques en 1928. Même le pape Benoit XV se prononce le 15 juillet 1919 en faveur du droit de vote des femmes.

En France, pays de la Liberté, l’Égalité et la Fraternité, il faut attendre le général de Gaulle qui accorde ce droit par l’ordonnance du 21 avril 1944.

L’accès à l’administration locale

Jeanne Macherez (1852-1930) - portrait de 1914
Jeanne Macherez (1852-1930), portrait de 1914

Ainsi, en France, les femmes accèdent tardivement aux postes de l’administration locale. En 1914, Jeanne Macherez (1852-1930) s’auto-proclame avec courage mairesse de Soissons pour protéger la ville des Allemands.

En mai 1925, le Parti Communiste Français présente des femmes sur ses listes. Sept seront élues conseillères municipales, dont la Bretonne Joséphine Pencalet (1886-1972). Mais le Conseil d’État invalide ces élections six mois plus tard car les femmes ne sont en droit ni électrices ni éligibles.

 

 

Portrait de Joséphine Pencalet (1886 - 1972) vers 1906
Portrait de Joséphine Pencalet (1886-1972), vers 1906

Comme le droit de vote et d’éligibilité des femmes est légalisé en 1944, dès les élections municipales de mai 1945, les premières femmes prennent des postes de mairesse. Peut-être dix-sept femmes dont Odette Roux (Sables d’Olonne), Pierrette Petitot (Villetaneuse, Seine Saint-Denis), ou Suzanne Ploux (Saint-Ségal, Finistère) ou Marie Giraud (Marcols-les-Eaux, Ardèche). Aucune en Gascogne.

Toutefois, on peut illustrer l’action politique des femmes et leur entrée dans l’administration politique par deux exemples pris dans le Gers ou limitrophe : Marie Poirée et Simone d’Artensac.

Marie Poirée, militante républicaine

Marie Poirée nait en 1848 à La Montjòla [Lamontjoie] dans une famille aisée de propriétaires terriens (dont la propriété s’étend sur Lamontjoie en Lot-et-Garonne et Pergain-Taillac dans le Gers).  Elle s’engage très vite dans le débat politique. Ainsi, elle fait campagne dans toutes les élections. En particulier, sa véhémence est remarquée lorsque le maréchal de Mac-Mahon dissout la Chambre. Cela lui vaut de comparaitre au tribunal de Lectoure pour incitation à la haine. Dans la rue, elle reçoit la sympathie et les compliments des républicains.

À Paris où elle se rend régulièrement, elle rencontre différentes personnalités dont Armand Fallières (1841-1931) originaire de Mesin [Mézin] (à 27 km de Lamontjoie) et Jules Ferry (1832-1895) sur lesquels elle s’appuiera pour ses actions.

Deux actions majeures

Armand Fallières (1841 - 1931) alors parlementaire
Armand Fallières alors parlementaire (1841 – 1931)

En particulier, elle s’engage en faveur de l’école publique et multiplie les démarches auprès d’Armand Fallières, alors au gouvernement, afin d’obtenir une école à Lamontjoie. C’est chose faite en 1882. Et Jules Ferry lui-même vient inaugurer l’école. École gratuite, avec instruction obligatoire et un enseignement public conformément aux lois Ferry. Marie fournit le mobilier.

Bien sûr, Marie Poirée est hostile à l’Église et à l’école religieuse. D’ailleurs, elle déclare le 13 novembre 1882 : un couvent chez nous, c’est un brandon de discorde et un foyer d’abêtissement.

Le second grand axe de lutte de Marie Poirée, c’est ce qu’on pourrait appeler le féminisme ou, plus simplement, la lutte pour l’émancipation des femmes et leur place dans la société française.

Marie Poirée quitte la scène politique

Tombe de Marie Poirée à Lamontjoie

En 1887, suite au scandale des décorations (une affaire de trafic de décorations qui met en cause le gendre du président de la République, Jules Grévy), elle fait campagne pour Jules Ferry. C’est Sadi Carnot qui est élu. Alors, Marie s’éloigne des socialistes et des radicaux.

Avec la crise de l’agriculture qui sévit de 1880 à 1900, Marie doit se consacrer à sa propriété. Elle meurt le 30 janvier 1911 et sera inhumée sur place, dans une petite chapelle. La légende dépeint cette femme de poigne en disant qu’elle fut enterrée debout près de son cheval.

Lamontjoie (47)
Lamontjoie (47)

Simone d’Artensac, première élue maire du Gers

Castelnau Barbarens (32)
Castelnau Barbarens (32)

Simone de Brux nait en 1900 à Castèthnau Barbarens [Castelnau-Barbarens] joli village d’Astarac à 18 km d’Auch. La vieille famille locale possède la propriété d’Empoucourou, ou d’En Pocoron, construite à la fin du XVIIIe siècle ou au tout début du XIXe siècle pour sa famille, les de Brux, propriétaires de plantations à Saint-Domingue.  Elle deviendra par mariage Simone d’Artensac.

La commune vit une crise municipale qui aboutit à de nouvelles élections en aout 1950. Les femmes sont éligibles depuis 5 ans. Alors, Simone d’Artensac monte une liste de 12 personnes dont 3 femmes et gagne les élections.

Le village a une histoire ancienne. On lit en 1140 l’existence d’un Castèt nàou dé Barbaréncs. Rappelons qu’un castèth nau [château neuf] est un bourg castral, une sauveté autour d’un château. En fait, les seigneurs Bernard I comte d’Astarac et Guillaume Arnaud Desbarats concluent un accord, pour édifier à parts égales la fameuse sauveté : Bastirén et edifiquirén per mici Io castet nàou de Barbarens.

Femmes en politique : Simone d'Artensac en 1960 seule femme lors d'une réunion de maires et de conseillers généraux du Gers
Simone d’Artensac , seule femme lors d’une réunion de maires et de conseillers généraux du Gers en 1960

Quand Simone prend la direction de la mairie, la commune est très en retard sur ses équipements. Elle va donc lancer de gros travaux pour apporter l’eau et l’électricité, refaire les chemins. Elle sera réélue trois fois.

Parallèlement, en 1955, elle se présente au Conseil Général et est élue conseillère générale du canton de Saramon. C’est la première femme conseillère générale dans le Gers. Le Conseil Général lui confie le Concours des Villes et Villages fleuris.

Les femmes dans l’administration locale en Gascogne

Globalement, les Françaises ont encore une place modeste en politique. Pour donner une idée, les femmes occupent 50 pour cent ou plus des postes de ministres dans 13 pays seulement. Citons l’Espagne, la Finlande, la Colombie, la Moldavie ou l’Afrique du sud.

Bien sûr, en France, la politique des quotas permet que la part des femmes atteigne quasiment 42% des élus municipaux. Mais cette part est bien plus faible quand on regarde les postes majeurs :

  • 11,4% des présidents de conseils communautaires ;
  • 19,8% des maires ;
  • 20,2% des présidents des conseils départementaux ;
  • 31,6% des présidents de régions.

La Gascogne montre une féminisation plutôt faible puisque les mairesses représentent :

  • Ariège : 19,3%
  • Gers : 18,8%
  • Gironde : 23,9%.
  • Haute-Garonne : 19.1%
  • Hautes-Pyrénées : 14,7%
  • Landes : 19,9 %
  • Pyrénées Atlantiques : 13% des postes.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

En 1945, les premières femmes élues maires en France, France culture, 2 mars 2020
Les tribulations des femmes à travers l’Histoire Moyen Âge : libres malgré tout, Isabelle Gregor
Marie Poirée : une femme d’avant-garde, La dépêche, 28/04/2019
Le Gers, dictionnaire biographique de l’antiquité à nos jours, Georges Courtès, 2007
Faits et chiffres : Le leadership et la participation des femmes à la vie politique, ONU Femmes
Données et statistiques




Bayonne la Gasconne

Pour beaucoup, Bayonne est la capitale du pays basque. Pourtant, historiquement, sa capitale est Ustaritz. En revanche, Bayonne, Biarritz et Anglet sont gasconnes. Vers 1550, le français remplace le gascon dans les documents officiels. Pourtant, au XVIIIe siècle, un mouvement se dessine pour l’emploi du gascon dans les textes littéraires.

Le gascon, langue officielle à Bayonne au moyen-âge

Les ducs d’Aquitaine, puis rois d’Angleterre écrivaient à leurs sujets de Bayonne en gascon.

Les livres

Livre d'Or de Bayonne - Don de deux maisons à l'église
Le Livre d’Or de Bayonne (extrait). Don de deux maisons à l’église.

Le plus ancien ouvrage connu en gascon est le Livre d’or de Bayonne. Il s’agit d’un cartulaire, sans doute réalisé au XIVe siècle, contenant des textes rédigés entre le Xe et le XIIIe siècle. Parmi ceux-là, 106 sont des textes en latin et 36, plus récents du milieu du XIIIe siècle, en gascon :

« Sabude causa sia a tots aquez qui questa present carta veiran e audiran, que io en. B. de Garague reconny e manifesti em veritad per mi e per meis heirs e auieders, e per meis successors que dei dar e pagar au nost ondrable pair Mosseinher l’abesque e au Capito de Sancta Maria de Baiona. VI. Conques de bon froment, … »

De même, le Livre des établissements est un recueil d’actes en gascon, réalisé en 1336 par Arnaud de Biele, alors maire de Bayonne. Il établit les droits et les privilèges de la ville, son régime intérieur et ses rapports avec les seigneurs, villes et pays voisins.

La vie quotidienne à Bayonne

La toponymie utilisée est majoritairement gasconne, surtout dans la ville de Bayonne : arrua nava / rue neuve, arrue dous bascous / rue de basques, arrue dou casted / rue du château, carneceirie / carniceria / boucherie, port nau / port neuf, con de baque / corna de vaca / corne de vache, etc.

Bayonne, ville gasconne-Sur l'origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols Paul Broca (1875 - Gallica)
Sur l’origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols, Paul Broca, 1875, Gallica. Reprend les limites de la carte de 1863 de L-L Bonaparte.

En fait, la région fait apparaitre deux zones linguistiques. En particulier, la rédaction des Cahiers de doléances en 1788 se fait à Ustaritz pour le Labourd et à Bayonne pour la partie gasconne. Une représentation unique est alors inenvisageable tant les intérêts sont divergents. D’ailleurs, lors de l’élection des représentants à la fête de la Fédération de 1790, on crée deux bureaux de vote. Les délégués du Labourd s’appellent Dithurbide, Harriet, Detchegoyen, Diharce et Sorhaitz ; ceux de Bayonne s’appellent Lacroix de Ravignan, Mauco, Tauziet, Duffourg et Fourcade.

La première carte linguistique du pays basque, éditée en 1863 par Louis-Lucien Bonaparte, met en évidence que le gascon est encore très majoritaire à Bayonne, à Anglet et à Biarritz. Toutefois, les Basques s’installent à Bayonne au XIXe et au XXe siècles. Alors, l’usage du français gomme les différences linguistiques.

Bayonne et le renouveau du gascon au XVIIIe siècle

Alors que les dialectes sont méprisés, un mouvement se dessine dans la classe bourgeoise de Bayonne pour l’utilisation du gascon dans la littérature.

Par exemple, un tonnelier, Pierre Lesca (1730-1807), écrit plusieurs chansons, dont La canta a l’aunou de la nachence dou Daufin / La canta a l’aunor de la naishença deu Daufin / le chant en l’honneur de la naissance du Dauphin qui lui vaut une récompense des échevins de Bayonne, et Los Tilholèrs / Les bateliers, une chanson, aujourd’hui un hymne à Bayonne. Et le groupe gascon Boisson Divine en donne une version contemporaine.

Los Tilholièrs - un hymne de Bayonne ?
Los Tilholièrs. Paroles données sur le site de Boisson divine.

De même, en 1776, parait un remarquable ouvrage : Fables causides de La Fontaine en bers gascous suivi d’un lexique. Il est plusieurs fois réédité.

Autre exemple : Deldreuil (1796-1852), un Gascon de Bayonne, laisse une trentaine de chansons.

Le foisonnement après Louis-Philippe

La période révolutionnaire donne peu de textes connus. Mais, à partir de 1830, les auteurs gascons foisonnent à Bayonne.

Justin Larrebat (1816-1868)

Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes en gascon, dont Poésies gasconnes édité en 1898 et plusieurs fois réédité depuis. Ici le début d’un poème.

Amous de parpaillouns et flous

Le flou qu’ere amourouse
Et yelouse;
Lou parpailloun luzen
Incounsten.
Le flou toutyour aimabe,
Aperabe
Lou parpailloun aiman
En boulan.

Amours de papillons et de fleurs

La fleur était amoureuse
Et jalouse ;
Le papillon luisant
Inconstant.
La fleur toujours aimait,
Appelait
Le papillon aimant
En volant.

Léo Lapeyre (1866-1907)

Léo Lapeyre
Léo Lapeyre (1866-1907)

Il écrit des poésies en gascon. Et il écrit aussi des pièces de théâtre qu’il joue à Peyrehorade, sa ville natale, et à Bayonne. Citons : Lo horat de la peyre horadada / Lo horat de la pèira horadada / Le trou de la pierre trouée, Coèntas d’amou / Cuentas d’amor / Les ennuis de l’amour, La boussole de Mousserottes et Madame Pontriques en 1904.

Dès la création de Escòla Gaston Febus, Léo Lapeyre adhère (1897). Et il publie dans la revue de cette association, Reclams de Biarn et Gascougne, mais, face à certaines critiques de son édition de poèmes A noste, il s’en éloigne. Voici un extrait d’un de ses poèmes.

Aou cout dou houéc

Toutun se t’adroms, aou cap d’un moumèn
Que-t’ herey un broy poutoun qui chagotte
Et que-t’ déchuderas en arridèn
Aou coût dou hoèc!

Au coin du feu

Cependant, si tu t’endors, au bout d’un moment
Je te ferai un joli baiser qui chatouille
Et tu t’éveilleras en riant
Au coin du feu.

…Et tous les autres

Carlito OYARZUN un des fondateurs de l'acadamie Gasconne de Bayonne
Carlito Oyarzun (1870-1930)

En fait, les pièces de théâtre de Léo Lapeyre inspirent d’autres écrivains gascons, comme Georges Perrier, Léon Lascoutx, Carlito Oyarzun (1870-1930) ou Benjamin Gomès (1885-1959) qui est l’architecte, avec son frère, de la station balnéaire d’Hossegor. Ces deux derniers sont conseillers municipaux de Bayonne. Alors, en 1932, ils initient une fête populaire et traditionnelle qui auront et ont toujours un beau succès : Les Fêtes de Bayonne.

Pierre Rectoran (1880 - 1952), Secrétaire Perpétuel de l'Académie Gasconne de Bayonne
Pierre Rectoran (1880-1952), Secrétaire Perpétuel de l’Académie Gascoune de Bayoune.

À partir de 1912, la presse locale publie des poésies en gascon de Pierre Rectoran (1880-1952). Théodore Lagravère qui réside à Paris écrit des poèmes dans Le Courrier de Bayonne. Il publie son premier recueil de Poésies gasconnes en 1865. En outre, la presse locale publie J-B Molia dit Bernat Larreguigne et A. Claverie surnommé Yan de Pibole.

Enfin, après la Grande Guerre, des initiatives fleurissent à Bayonne en faveur du gascon. Par exemple, en 1923, Monseigneur Gieure, évêque de Bayonne, Oloron et Lescar, introduit l’étude obligatoire du gascon dans les établissements d’enseignement de son diocèse. Ou encore, en 1926, Pierre Simonet fonde l’Académie gascoune qui publie L’Almanach de l’Academie gascoune de Bayoune.

L’Académie gascoune de Bayoune et Ací Gasconha

Académie Gascoune de Bayoune - Acte constitutif du 7 mai 1926
Académie Gascoune de Bayoune – Acte constitutif du 7 mai 1926

L’Académie gasconne de Bayonne, qui s’appelle maintenant Academia Gascona de Baiona-Ador, est fondée en 1926. De 40 membres à l’origine, elle se compose aujourd’hui de 25 membres élus par leurs pairs pour leur connaissance du gascon.

Elle a pour but : « la recherche et le maintien de tous les usages et traditions bayonnaises et du Val d’Adour maritime, et en particulier de la langue gasconne parlée sur ces territoires ».

Active, l’Académie tient un Capitol / Chapitre trimestriel, ouvert au public, au cours desquels elle présente des sujets intéressant l’histoire locale ou le gascon. Les présentations qui sont faites en gascon sont éditées dans L’Armanac Capitol, revue trimestrielle de l’Académie.

De plus, l’Académie travaille en étroite collaboration avec Ací Gasconha, association créée en 1975. Les activités d’Ací Gasconha touchant au gascon sont multiples : gestion d’une bibliothèque, émissions radio en gascon, animation d’une chorale, cours de gascon, ateliers de danse, édition d’un bulletin trimestriel, publication d’ouvrages, etc.

Avec tout çà, qui peut dire que Bayonne, Biarritz et Anglet ne sont pas gasconnes ?

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Livre d’or de Bayonne, textes gascons du XIIIe siècle, Jean Bidache, 1906, Bibliothèque Escòla Gaston Febus 
Les « Tilloliers » de Pierre Lesca, René Cuzacq, 1942, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Fables causides de La Fontaine en bers gascous, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Poésies gasconnes, Justin Larrebat, 1926, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Les Poésies de J.-B Deldreuil, Chansonnier gascon bayonnais, Pierre Rectoran, 1931
Panorama de la littérature gasconne de Bayonne, Gavel Henri, 1948
Aou cout dou houéc, Léo Lapeyre,
Lapeyre, Léo. Auteur du texte. Au pays d’Orthe. Chez nous. A la maison. Dans la plaine. Soucis d’amour. – Aou pèis d’Orthe. A noste. A case. Hen le plène. Coèntes d’amou. 1900.
www.occitanica.eu
Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus : www.biblio.ostau-bigordan.com
Académie gasconne de Bayonne : www.academiagascona.fr
Aci Gasconha : www.acigasconha.asso.fr
Paul Broca – Sur l’origine et la répartition de la langue basque : Basques français et Basques espagnols-1875 – Gallica

 

 

 




La Leira, un fleuve discret

La Leira est le nom gascon de La Loire. Mais c’est aussi le nom d’un fleuve gascon qui se jette dans le bassin d’Arcachon. Si peu de Gascons en connaissent l’existence, c’est le paradis des amateurs de canoë ou des amoureux de la nature.

La Leira, un fleuve bien discret

La Leira [Leyre ou L’Eyre en français] prend sa source dans les Landes. Ou plutôt, elle n’a pas de source puisque c’est la remontée de la nappe phréatique, affleurant en plusieurs endroits, qui l’alimente.

Son nom véritable est l’Eira, ancien toponyme qui, selon les spécialistes Bénédicte et Jean-Jacques Fenié, signifie tout simplement « eau ». L’usage l’a transformé en Leira.

La Leira parcourt 116 km avant de se jeter dans le bassin d’Arcachon. En fait, on peut même parler des Leiras car le fleuve est formé de la grande Leira et de la petite Leira qui se rejoignent à Moustey au horc d’Eira [hourc d’Eyre].

La petite Leira se forme entre Lucsèir [Luxey] et Retjons. Elle est calme et ses eaux sont claires. En revanche, la grande Leira nait près de Sabres et ses eaux sont noires, son cours impétueux.

La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG
La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG

Tout au long de son parcours, la Leira reçoit de nombreux affluents aux noms bien gascons dont : l’Escamat, le Monhòc, [Mougnocq] le Cantagrith, le Mordoat [Mourdouat], le Richet ou barrada deus claus, le Boron [Bouron] aussi appelé Hontassa, le Casterar, ou encore la Palhassa [Paillasse].

Plus globalement, son bassin versant est dans le parc naturel des Landes de Gascogne. Lorsqu’elle arrive dans le bassin d’Arcachon, la Leira forme un delta de 3 000 hectares qui est le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux.

Et la belle réserve ornithologique du Teich couvre 120 hectares de ce delta.

La Leira, un grand intérêt écologique

Au cours de l’histoire, c’est avec la plantation de la forêt des Landes de Gascogne que la Leira présente un intérêt économique. En effet, elle sert au flottage du bois et elle alimente des forges, des fonderies, des verreries et des moulins.

Or, les activités économiques ont disparu. Alors, la Leira, bordée de prairies, s’est peu à peu cachée sous des feuillus, constituant une épaisse forêt galerie qui a poussé sur ses rives.

Composée de chênes, d’aulnes et de saules, la forêt amortit les crues, limite les matières en suspension et maintient les berges. Le microclimat ainsi créé abrite des espèces végétales devenues rares comme l’Osmonde royale ou le Drosera à feuilles rondes.

De même, la Leira abrite des animaux disparus ailleurs, comme la loutre, le vison, la cistude, la genette ou le murin à oreilles échancrées (une espèce de chauve-souris). Elle abrite aussi les larves de lamproie qui y naissent avant de gagner la haute mer. De plus, dans ses herbiers aquatiques, on trouve de nombreux poissons, ainsi que le brochet aquitain. À noter, des naturalistes décrivent cette espèce de brochet pour la première fois en 2014. L’animal se distingue des autres brochets par un museau plus court, des écailles et des vertèbres moins nombreuses.

Cistude et Loutre d'Europe © PNRLG
Cistude et Loutre d’Europe © PNRLG

Cette richesse écologique vaut à la Leira de nombreux classements de protection : classement d’une partie de son cours sur la commune de Mios en 1942, zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) en 1973 et 1984, enfin zone Natura 2000. Son delta est classé zone humide d’importance internationale en 2011.

Le parc régional des vallées de la Leyre et du val de Leyre est créé en 1970. Il porte aujourd’hui le nom de parc naturel régional des Landes de Gascogne.

Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG
Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG

Concilier écologie et tourisme

Le parc naturel régional des Landes de Gascogne conduit le programme de protection du fleuve.

Outre les actions d’information du public, des usagers et des riverains, le parc étudie la faune et la flore présentes dans le bassin de la Leira, entretient les rives et la forêt galerie, restaure les milieux, supprime les obstacles créés par l’homme (barrages ou digues inutiles), veille à supprimer la pollution (action micro plastiques), etc.

Fort heureusement, peu d’espèces invasives colonisent la Leira. Des érables negundo et des catalpas originaires d’Amérique du nord sont progressivement éliminés. On y trouve aussi quelques ragondins et des écrevisses de Louisiane, plus difficiles à attraper.

Toutes ces actions visent à restaurer le fleuve pour obtenir le label « Rivière sauvage ». Ce label décerné par l’AFNOR est une marque de reconnaissance du travail de protection et de valorisation du territoire concerné.

Le parc naturel régional conduit aussi une action exemplaire qui concilie tourisme et protection du milieu en favorisant la pratique du canoë sur la Leira.

En relation avec des professionnels partenaires, 8 lieux de mise à l’eau et de sortie d’eau des canoés offrent au public la possibilité de naviguer sur la grande Leira et de profiter de la nature protégée de la forêt galerie.

Si les promenades sont permises, les activités restent réglementées : horaires de navigation, interdiction des bivouacs, interdiction des cueillettes, etc. Bien entendu, toute activité nautique à moteur est interdite.

Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie - © PNRLG Sébastien Carlier
Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie – © PNRLG Sébastien Carlier

La réserve ornithologique du Teich

Des ornithologues amateurs proposent à la commune du Teich de créer une réserve sur le bassin d’Arcachon, dans le delta de la Leira. On le fait en 1972.

Ainsi, la commue acquiert des parcelles par échange avec des parcelles forestières communales. Le parc ornithologique voit le jour. Il devient réserve ornithologique et, si la commune en est toujours propriétaire, le parc naturel régional des Landes de Gascogne en prend la gestion.

323 espèces d’oiseaux y sont répertoriées, dont 88 y nichent. Cela en fait une zone exceptionnelle de reproduction et de nourrissage des oiseaux. En conséquence, la réserve du Teich propose des visites en bateau, des activités d’observation et de photographie des oiseaux.

Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich
Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich

La plupart des Gascons ne connaissent pas la Leira. Pourtant, ce fleuve gascon offre des milieux remarquables et une faune protégée qu’il faut découvrir au gré d’une promenade au rythme de la nature.

De plus, le fleuve entretient des contes et des légendes que l’on peut retrouver dans le livre La Leyre, contes et chroniques d’un autre temps de Serge Martin et Marnie, Dossiers d’Aquitaine, 2016.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’Eyre et sa vallée
Affluents de la grande Leyre
Rivières sauvages : la grande Leyre
Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne
Parc naturel, Site consacré au canoë sur la Leyre
Réserve ornithologique du Teich




La main d’Irulegi

La main d’Irulegi trouvée le 18 juin 2021 en Navarre est une découverte majeure pour tous les héritiers des Vascons. Elle est la preuve que notre langue ancienne a laissé des traces écrites.

La main d’Irulegi

Irulegi - plan de situation
Irulegi – plan de situation

Jusqu’à récemment, la langue euskarienne ne possédait pas de preuve de son existence avant le IVe siècle de notre ère. En plus de cela, les premières traces écrites connues du basque dataient, avant cette découverte, du XVIe siècle. Mais depuis peu, en novembre 2022, a été traduit le premier mot d’une série de cinq, sur un objet découvert le 18 juin 2021 sur la colline d’Irulegi.

Officiellement la découverte de cet objet apporte la preuve écrite la plus ancienne de la pratique du proto-basque. Cette langue était parlée dans un espace bien plus large que l’Euskadi actuelle. En effet, c’est dans tout l’espace aquitain que le proto-basque était utilisé, espace allant du Couserans jusqu’au début du massif des Cantabres et de l’estuaire de la Gironde jusqu’à l’Ebre. Les locuteurs de cet ensemble de langues étaient les Aquitains. Ces derniers deviendront les Vascons durant le Haut Moyen-Âge, et c’est à partir du XIe siècle que les textes différencieront les Gascons des Basques.

Irulegi - le champ de fouilles
Irulegi – le champ de fouilles

L’objet en lui-même est une main droite en bronze de 14,31 cm de hauteur, 12,79 cm de largeur et d’une épaisseur de 1,09 mm. Le texte gravé sur cette main est composé de 5 mots, 40 signes sur 4 lignes. Enfin, la main de la colline d’Irulegi date du 1er siècle avant JC, plus précisément du dernier tiers du 1er siècle, au moment de la guerre sertorienne (-80 av JC à -72 av JC).

Le système d’écriture révélé par la main

D’après Javier Velaza, professeur de philologie latine à l’université de Barcelone, les inscriptions suivent un système semi-syllabique emprunté au système d’écriture ibérique. Un semi-syllabaire est un système mixte employant dans le même temps des signes correspondants à des lettres et d’autres signes correspondants à des syllabes. Cependant, le professeur remarque que sur cette main est inscrite une variante. Le signe « T » est à l’heure actuelle inexistant dans l’écriture ibérique ; il est nécessaire d’ajouter que ce symbole figure déjà sur deux pièces frappées en territoire basque. « Les Basques ont emprunté le système d’écriture ibérique en l’adaptant à leurs caractéristiques » fait-il remarquer.

La main d'Irulegi
Irulegi – La main

Le premier mot inscrit sur la main est quasi transparent : sorioneku. Il est comparable au basque actuel, zorioneko signifiant « de bonne fortune ». Ainsi, cela prouve qu’il s’agit d’une inscription proto-basque et non ibérique ou celtibérique. D’après Jean-Baptiste Orpustan, professeur honoraire des universités Michel de Montaigne Bordeaux III, spécialiste en lexicographie, linguistique historique, littérature, onomastique, traduction en langue et littérature basques, les langues ibériques et proto-basque étaient des langues voisines et probablement proches d’un point de vue phonétique et structurel mais elles étaient sans doute deux langues bien distinctes.

Le basque actuel ne permettant pas de traduire les autres mots, en plus de deux millénaires, l’euskara a changé et son vocabulaire n’est plus forcément le même. Sabino Arano Goiri, fondateur du nationalisme basque avait créé de nombreux néologismes afin d’éviter une trop grande hispanisation du basque.

La fonction de la main d’Irulegi

Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d'Irulegi
Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d’Irulegi.

Au sujet de l’objet en lui-même, il avait surement une fonction apotropaïque.  C’était un objet conjurant le mauvais sort pour les habitants de la maison où on l’a trouvé. On a découvert une main similaire  à Huesca, mais sans inscription dessus ; cette main devait avoir la même fonction.

Aujourd’hui encore, on trouve des objets ayant la même fonction à l’entrée des maisons, sacré-cœur de Jésus, crucifix, fer à cheval, médaille de saint Christophe dans les voitures etc… Nos ancêtres n’étaient pas si différents de nous.

Seul témoignage de notre langue passée ?

Tumuli de Vielle-Aubagnan (plan de situation)
Tumuli de Vielle-Aubagnan – plan de situation

La découverte de cette main peut remettre en lumière une autre découverte datant de 1914 par Pierre-Eudoxe Dubalen : les tumuli de Vielle-Aubagnan.

Dans ces tumuli, parmi le matériel découvert (restes de cotte de mailles, casques, lance tordue…) Dubalen trouve également des restes de phiales (coupe sans pied ni anse). Sur ces coupes, des inscriptions sont présentes.

 

Première inscription de Vielle-Aubagnan

Sur ce premier phiale on pourrait  lire :

  • anbailku : lecture en 1956 de René Lafon, spécialiste de la langue basque
  • anbaikar : lecture en 1980 de Jürgen Untermann, linguiste
  • binbaikar : lecture de 1990, Jean-Claude Hébert, linguiste.

Seconde inscription de Vielle-Aubagnan

  • betiteen : 1956, Lafon,
  • titeeki : 1980, Untermann,
  • kutiteegi : 1990, Hébert.Si, dans ces coupes, le symbole « T » n’est pas présent, comme sur la main d’Irulegi, les deux phiales et la main démontrent une appropriation d’un des systèmes d’écriture ibérique dans l’espace aquitain. Et cela peut démontrer que les peuples de langue proto-basque étaient donc capables d’écriture, peut-être même de littérature (cf. utilisation apotropaïque de l’écriture sur la main d’Irulegi).

On constate également que les deux phiales dateraient de la fin du 2e siècle avant J.-C. La main d’Irulegi, elle, date du début du 1er siècle av. J.-C. On peut donc admettre que ces objets sont presque contemporains.
La main date de la guerre sertorienne (-80 à -72) et les phiales de la fin du 2e siècle av JC.

Utilisation partielle ou générale en Aquitaine ?

Cependant, si on ne peut conclure à une utilisation généralisée de l’écriture dans tout l’espace aquitain, nous pouvons acter de l’usage au moins partiel de l’écriture dans l’espace dit aquitain. Ces peuples-là étaient donc capables d’écrire et même de s’approprier un système d’écriture et le modifier à leur guise. La découverte de la main d’Irulegi est définitivement une découverte majeure.

Enfin, il est légitime de ne pas s’étonner que ces peuples soient capables d’écrire. Après tout, une partie des Celtes de la Gaule préromaine utilisaient les systèmes d’écriture ibérique et l’alphabet grec entre autres. La doxa déclarant que les Celtes avaient une culture essentiellement orale provient principalement du fait qu’ils avaient une transmission orale de leur culture/religion/histoire. Si les Celtes étaient capables d’écrire, tout comme les Ibères et les Celtibères, alors les Aquitains le pouvaient également.

Loís Martèth

écrit en orthographe nouvelle

Références

La mano de Irulegi
L’âge du Fer en Aquitaine et sur ses marges. Mobilité des hommes, diffusion des idées, circulation des biens dans l’espace européen à l’âge du Fer sous la direction de Anne Colin, Florence Verdin, 2011
L’ibère et le basque : recherches et comparaisons, Jean-Baptiste Orpustan, 2009
Les deux phiales à inscriptions ibériques du tumulus numéro III de la lande « Mesplède », à Vielle-Aubagnan (Landes).




Les bonnes herbes

Les bonnes herbes / las bonas èrbas font partie de la médecine populaire. Elles servent à soigner aussi bien les bêtes que les hommes. Un temps délaissées au profit de la pharmacie moderne, elles reviennent à la mode.

Soigner les hommes et les bêtes avec les herbes

À tous les maux correspondent des herbes pour les soigner. Ainsi, l’abbé Cazaurang distingue plusieurs sortes de maux : lo mau hèit (le mal fait par une blessure), lo mau gahat (le mal attrapé par une contamination), lo mau vadut (le mal né dans le corps), lo mau naturau (le mal venu par évolution naturelle) et lo mau dat (le mal provenant d’un sort jeté).

Les herbes qui soignent : la racine de gentiane
Racines de gentiane

Pour soigner ces maux, on cueille les plantes à la main. Jamais avec un couteau ou un ciseau métallique qui altèrent les principes actifs. De plus, une bonne cueillette se fait avec la lune. Et suivant les plantes, on cueille les feuilles, les tiges, les fleurs ou la racine.

Par exemple, la racine de gençana [gentiane] est cueillie et séchée avant d’en mettre une rondelle à macérer dans un verre d’eau. On l’utilise pour ses propriétés dépuratives et fortifiantes. Le Sarpolet [Serpolet] soigne les rhumes, le romaniu [romarin] délayé dans de l’alcool soulage les contusions et les entorses.

Les herbes qui soignent : l'Arnica (© Wikimedia)
Arnica (© Wikimedia)

Quant aux sarpolet e gerbeta [serpolet et thym] en liqueur, ce sont des stimulants digestifs. Ou encore, l’arnica [arnica] s’emploie en usage externe comme anti-inflammatoire, ce qui est d’ailleurs toujours le cas.

D’autres usages pour les plantes

Mais les herbes ont aussi d’autres usages. Les ortigas [orties] servent à filtrer le lait des brebis pour activer la flore lactique. De plus, elles sont efficaces pour récurer les chaudrons et ustensiles de cuisine. Ou encore, elles servent à l’alimentation du bétail pour favoriser la lactation. Citons aussi la hèuç [fougère mâle] qui est un répulsif contre les tiques et sert pour la litière des chiens.

Alexandre-G Decamps (1803-1860)- Les sorcières soignent ou empoisonnent avec les herbes
Alexandre-G Decamps (1803-1860) – Les sorcières de Macbeth (© Wikimedia)

Toutefois, certaines plantes toxiques nécessitent des connaissances particulières pour être utilisées. Et c’est le rôle des posoèrs / sorciers empoisonneurs, dont on apprécie les services mais dont on se méfie. Car, en cas d’erreur : Eres cachiles nou lou hèn pas més maù! / Eras cashilas non lo hèn pas mes mau! [Les dents ne lui font plus mal ! Comprendre « il est mort »]

 

 

 

Conjurer le mauvais sort avec les herbes

Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes
Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes

Dans les campagnes, on conjure les orages et la grêle en mettant au feu des feuilles de Laurèr [Laurier] bénies le jour des Rameaux. Dans certains endroits, on met dans le feu le bouquet de la Saint-Jean ou même des charbons retirés du halhar [feu de la Saint-Jean] et conservés précieusement.

Évidemment, on cueille les herbes de la Saint-Jean le jour de la Saint-Jean, avec la rosée. Séchées en bouquet ou en croix, le curé les bénit à la messe. Ainsi on pourra les conserver précieusement toute l’année dans chaque maison. Elles ont des vertus de protection et on en suspend des bouquets dans la cheminée et à l’entrée des étables.

De la même façon, une branche de averanèr [noisetier] ou de agreu [houx] placée à l’entrée de la maison protège de la foudre.

La carline, une herbe qui soigne et qui protège
Carline

Outre sa vertu de protéger la maison et les granges contre les maléfices et les sorcières qui s’accrochent sur ses poils, la carlina [carline], variété de chardon argenté, est un excellent baromètre. Elle s’ouvre par temps sec et se referme la nuit, par temps froid ou humide.

L’exploitation commerciale des bonas ièrbas

Thermes de Bagnères de Bigorre
Thermes de Bagnères de Bigorre

Au XIXe siècle, avec la vogue des bains, on développe l’utilisation des bonas èrbas dans un début d’industrialisation de la production. Ainsi, on associe les vertus des bonas èrbas aux vertus curatives des eaux thermales.

À Bagnères de Bigorre, le curiste reçoit un bain de vapeur qui traverse un récipient rempli de plantes aromatiques et émollientes et des effluves de sàuvia [sauge], de romaniu [romarin] et de mauva [guimauve]. Des massages sont prodigués avec du agram [chiendent].

En complément des bains aromatiques, on propose des cures de boissons et des bouillons d’herbes. La Barégine, élaborée à partir de racines et de plantes des Pyrénées, est une boisson qui a des propriétés antibiotiques, anti-inflammatoires et cicatrisantes.

Kiosque buvette des Thermes de Barbazan
Kiosque buvette des Thermes de Barbazan (© Wikimedia)

Des bouillons d’herbes sont proposés à partir des plantes du potager. À Barbazan en Comminges, un kiosque ouvert devant le casino vend du bouillon d’herbes que l’on boit entre deux verres d’eau ou que l’on emporte à la maison. Le bouillon contient des ortigas [orties], de mauva [mauve], des popalèits pissenlits, des bletas [bettes], des porets [poireaux], des pastanagas [carottes] et d’autres plantes du jardin.

De même, les liqueurs à base de plantes se vendent bien. On peut citer les Pères de Garaison qui commercialisent la liqueur « La Garaisoniènne » verte, jaune ou blanche. Cet élixir de Garaison est efficace contre les dyspepsies, les digestions difficiles, les gastralgies ou les coliques.

Les herboristes, une vraie profession

L'herboriste ou le commerce des herbes
Herboriste

Pour la première fois, la France reconnait le métier d’herboriste en 1312. Puis, elle crée, en 1778, le premier diplôme d’herboriste. Pour autant, le commerce des plantes est intensif. Pourtant, des condamnations sont prononcées contre les marchands improvisés comme à Lourdes en 1872 pour avoir « distribué et vendu, sur une des places publiques de la ville, des drogues, préparations médicamenteuses et plantes médicinales ».

Puis, entre 1803 et 1941, les écoles et facultés de pharmacie pouvaient délivrer un certificat qui permettait d’ouvrir une officine où on vendait des médicaments à base d’éléments naturels. Mais, ce diplôme est supprimé en 1941. Timidement, un décret de 1979 autorise la vente de 34 plantes en dehors des pharmacies. Puis, un autre décret de 2008 autorise 148 plantes, soit 27 % de celles qui sont inscrites à la pharmacopée française. Enfin, l’arrêté du 24 juin 2014 inventorie 641 plantes autorisées dans la fabrication de compléments alimentaires.

Toutefois, l’herboristerie légale disparait. Et des initiatives privées se développent pour enseigner la vertu des plantes :  École lyonnaise de plantes médicinales et des savoirs naturels, École des plantes de Paris ou encore École Bretonne d’Herboristerie à Plounéour-Ménez.

Marchand de gentiane en Ariège - Fonds Trutat
Marchand de gentiane en Ariège – Fonds Trutat

Ainsi, la phytothérapie vient à la mode. Et la demande est forte que ce soit des gélules, des sachets de plantes, des baumes aux plantes. Alors, les industries chimiques, cosmétiques et pharmaceutiques développent des molécules issues de plantes qu’elles vont chercher en Amazonie ou dans d’autres lieux éloignés. Et cela fait rêver le consommateur.

 

 

Un précurseur de la phytothérapie, Maurice Mességué

Maurice Mességué ou comment soigner par les herbes
Maurice Mességué (1921 – 2017)

Maurice Mességué (1921-2017) est un Gascon qui reste fidèle à son pays d’Auvillar en Tarn et Garonne. Il est surnommé le « Pape des plantes » tant sa connaissance est grande.

En fait, son père, paysan dans le Gers, lui enseigne son savoir des fleurs et des plantes et lui apprend à soigner et à guérir. Maurice s’intéresse aux maladies chroniques, délaissées par la médecine, ce qui lui vaut 21 procès intentés par l’Ordre des Médecins.

En 1945, il ouvre un cabinet à Nice. Il devient célèbre pour avoir soulagé Mistinguett de ses rhumatismes avec des plantes. En 1952, il publie à compte d’auteur C’est la nature qui a raison. C’est un immense succès, traduit en 10 langues.

Maurice Mességué - Mon herbier de santé (1993)
Maurice Mességué – Mon herbier de santé (1993)

Mais Maurice Messegué voit grand. En 1958, il crée à Paris le laboratoire Aux fleurs sauvages spécialisé dans la cosmétique à base de plantes : mauva [mauve], paparòc [coquelicot], rosa [rose]… C’est un succès. Plus tard, il le rapatriera dans le Gers, à Fleurance.

En continuant, il s’attaque aux méfaits de la pollution des produits phytosanitaires sur l’alimentation, des hormones et des antibiotiques dans les élevages. D’ailleurs il publie plusieurs livres qui auront une large audience : en 1968, il publie Votre poison quotidien et Vous creusez votre tombe avec vos dents. Puis, en 1970, il publie Mon herbier de santé, Mon herbier de beauté et enfin Mon herbier de cuisine.

Reconnu, il est élu Maire de Fleurance en 1971, puis Conseiller général. Il devient Président de la Chambre de Commerce et d’industries du Gers. Il installe à Fleurance sa société Laboratoires des Herbes Sauvages, puis crée une seconde société Fleurance chez soi pour commercialiser, par correspondance, les plantes aromatiques et médicinales.

Enfin, il se retire des affaires en 1994 et vend ses sociétés à ses anciens salariés qui les regroupent sous le nom de Laboratoires Maurice Messegué. En 1997, son dernier ouvrage s’intitule Sauver la Terre pour sauver l’homme.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Les bonnes herbes, usage de la flore et médecine populaire dans les Pyrénées centrales, Mathilde Lamothe, Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées
Univers de Mésségué




Queste et questaus

On a gardé l’image d’Épinal des serfs du Moyen-âge, corvéables en toute occasion et à la merci de leur seigneur. Pourtant, la réalité est bien différente, tout du moins en Gascogne avec les questaus et les casaus. Suivons Benoit Cursente, d’Orthez, chercheur au CNRS et spécialiste des sociétés rurales gasconnes au Moyen-âge.

Une société hiérarchisée par des liens personnels

Benoit Cursente spécialiste des questaus - Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval
Benoit Cursente – Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval

Nous sortons de l’époque romaine où des colons libres côtoient des esclaves, servus, attachés à leurs maitres. Ainsi, le statut d’esclave disparait progressivement et est remplacé par des liens personnels. Ce sont les Wisigoths qui emmènent cette nouvelle pratique.

Tel homme se « donne » par serment à un autre et devient en quelque sorte un membre de sa famille ou de sa companhia [littéralement, ceux qui partagent son pain]. En échange de ce serment et des services qu’il s’engage à fournir, il reçoit une terre ou des revenus qui lui permettent de vivre.

On voit ainsi tout un réseau de liens personnels qui se tissent du sommet de la hiérarchie (le roi) jusqu’à la base de la société. C’est l’origine de la féodalité.

Notons que le rituel de l’hommage tel qu’on le connait à partir du XIIIe siècle n’est pas encore généralisé. En particulier, en Gascogne, on retrouve cette pratique dans le bordelais et en toulousain seulement.

Une organisation de la société en casaus

Le battage du grain
Le battage du grain

Les terres données à travailler constituent des unités fiscales. Leur chef, noble ou paysan, est « seigneur » de sa terre et de ceux qui y vivent. C’est le casal ou casau en gascon, c’est à dire une maison, un enclos, des champs et des droits sur des espaces pastoraux. Leur chef est le casalèr.

Bien sûr, le casau peut être soumis à une redevance, le casau ceissau [en français le cens] ou au  casau serviciau c’est-à-dire à un service particulier.

Lorsque le casau est éloigné, on préfère un prélèvement en espèce ou en nature (grains, volailles, fromages, etc.) ou des services comme l’aubergada [l’hébergement du prince et de sa suite]. Lorsque le casau est proche d’une forteresse, il est soumis à des services militaires ou d’entretien.

Par exemple, près du château de Lourdes, nous trouvons des casaus soumis à des obligations de service armé (ost) et de cavalcada [chevauchée], d’autres à des prestations de transport ou de guet, d’autres enfin à des services particuliers comme nourrir les chiens du comte, fournir de l’avoine à son cheval ou encore faire taire les grenouilles pour ne pas gêner le sommeil du comte…

Certains casaus doivent fournir une aide à d’autres casaus. On voit ainsi se mettre en place une société organisée autour des casaus qui sont des unités fiscales et de production, dont certains sont dits « francs » et qui doivent un service armé (le début des chevaliers), d’autres rendent des services dits « nobles », d’autres enfin des services dits « serviles ».

L’apparition des questaus

Nous sommes au XIIIe siècle. L’État moderne se met en place et les dépenses seigneuriales et d’administration se font de plus en plus lourdes. Il faut trouver de nouvelles ressources. Cela implique de mieux contrôler le territoire, ses ressources et sa population.

Les seigneurs revendiquent la possession des pâturages, des landes, des forêts et des eaux. Ils imposent alors des redevances pour leur utilisation. La vie sociale étant largement réglée par des pactes et des compromis écrits, on voit apparaitre progressivement dans les textes une nouvelle catégorie sociale : les questaus.

Pour garantir la pérennité des casaus, le droit d’ainesse apparait. Les cadets ou esterlos qui n’ont aucun droit, cherchent à se voir concéder des terres à exploiter pour lesquelles ils paient un cens. Ils se voient également attribuer la jouissance de pacages, des eaux ou des forêts seigneuriales en échange du nouveau statut de questau.

À noter, Benoit Cursente propose comme origine du mot esterlo (estèrle en gascon actuel) le mot latin sterilis, car le cadet n’a pas le droit d’avoir une descendance dans la maison natale. D’ailleurs, estèrle en gascon veut dire stérile.

Questaus et casaus

Le questau paie la queste

Questaus et casaus - travaux des champs
Travaux des champs

En plus du cens, le questau paie la queste, impôt sur l’utilisation des pacages ou des forêts. Il peut être astreint au paiement de redevances en nature. Il s’agit de mesures de grains ou de vin, fourniture de volailles, hébergement de soldats, corvées au château, etc.

La communauté des questaus peut payer collectivement la queste. En fait, c’est un moyen de surveillance car, s’ils venaient à déguerpir, la queste qui ne varie pas augmente la charge de chacun.

Le questau renonce également par écrit à certains de ses droits. Par exemple, il s’engage à ne pas quitter la seigneurie dans laquelle il réside sous peine d’amende. Et/ou il doit fournir une caution par avance,  renoncer à ses droits qui lui garantissent que ses bœufs et ses outils ne soient pas saisis. Ou encore il s’engage à payer une redevance lors de la naissance de chacun de ses enfants. Autre exemple : il s’oblige à faire moudre au moulin seigneurial, etc.

Même les possesseurs de casaus qui doivent des services dits « non nobles » peuvent devenir questaus. Cela ne se fait pas sans résistance. On voit des déguerpissements collectifs (abandon des terres pour s’établir ailleurs) et les seigneurs doivent transiger et trouver des compromis.

Les questaus apparaissent dans toute la Gascogne, sauf en Armagnac et dans les Landes. En montagne, on voit moins de questaus du fait du mode de gestion des terres. Ils représentent environ 30 % de la population.

Echapper à l’état de questau

Questaus et casaus - La tonte des moutons
La tonte des moutons

Echapper à l’état de questau est possible.

On peut bénéficier d’une franchise individuelle moyennant le payement annuel du francau ou droit de franchise. Parfois, la liberté peut s’accompagner de réserves comme celle de continuer à habiter sur le casau et de le transmettre à ses héritiers qui devront payer une redevance annuelle ou s’astreindre à des services pour le seigneur. Mais, lo franquatge [La franchise] coûte cher car il s’accompagne du paiement d’un droit pouvant représenter le prix d’une maison.

De même, la liberté peut être accordée à des communautés entières moyennant un droit d’entrée assez élevé, quelques concessions définies dans une charte et le paiement collectif d’un francau annuel. Dans certains endroits, on paie encore le francau au XVIIIe siècle.

La création de nouveaux lieux de peuplements est aussi un moyen d’échapper à la condition de questau par le biais des franchises accordées aux nouveaux habitants. Comme il n’est pas question de voir tous les questaus échapper à leur condition en venant s’y installer, on le leur interdit ou on n’en autorise qu’un petit nombre à y venir.

Enfin, les esterlos peuvent s’y établir sans limite. C’est un moyen de bénéficier d’une nouvelle population tout en vidant l’excédent d’esterlos dans les casaus. C’est aussi le moyen d’affaiblir les casaus au profit d’autres systèmes plus lucratifs.

En résumé, la société paysanne gasconne du Moyen-âge s’articule autour de paysans propriétaires qui travaillent un alleu (franc de tous droits), de casalèrs soumis au cens ou à des services, de questaus et d’affranchis.

Chaque catégorie peut être soumise à des restrictions ou à des engagements particuliers.  Il en est de même des particuliers, ce qui rend la société de cette époque extrêmement complexe.

Serge Clos-Versailles

écrit en orthographe nouvelle

Références

Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval, Benoit Cursente, Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn, 2011.
Puissance, liberté, servitude les Casalers gascons au Moyen Âge, Benoit Cursente, Histoire et Société rurales, 1996,  pp. 31-50




Les légendes autour de la Grande Ourse

Nous connaissons tous la Grande Ourse. Pourtant nous n’avons pas toujours employé ce nom. Comment nos aïeux en parlaient-ils ? Et qu’est-ce que cela leur inspirait ?

La Grande Ourse, lo car ou lo carriòt

Grande Ourse - Constellation Ursa Major du Johannis Hevelii prodromus astronomiae (également connu sous le nom d'Uranographia) par Johannes Hevelius - 1690
Constellation Ursa Major du Johannis Hevelii prodromus astronomiae (également connu sous le nom d’Uranographia) par Johannes Hevelius – 1690

La Grande Ourse est une des constellations les plus connues et les plus faciles à reconnaitre. À vrai dire, il n’est pas si simple d’y voir une ourse, car, de toutes ses étoiles, seules 6 sont vraiment brillantes. On en retient souvent ce que l’on appelle en français la Casserole ou le Chariot, c’est-à-dire les sept étoiles qui évoquent clairement cette forme.

En outre, elle reste dans notre ciel toute l’année et durant toute la nuit. Pas étonnant qu’elle ait été un repère dans nos pays.

Cependant, en Gascogne, elle s’appelle lo Carriòt de David [le Chariot de David], lo Car deu cèu [le Chariot du ciel], lo Car triomfau [Le char triomphal], lo Carriòt deus sèt estèus [Le chariot des sept étoiles] ou simplement los Sèt estèus [les Sept étoiles].

Ainsi, on peut l’identifier dans ce poème du Bigourdan Jean-Pierre Pecondom, écrit en 1860, et intitulé Estreos d’et permé d’et an :

Le chariot de David, autre nom de la Grand Ourse
Le chariot de David

Gardatz eras set crabèras
Un lugran escarrabelhat,
Tres hustets e huserèras
Qui van decap ath Vedat;
Sus nos eth car de renversa,
De Noë era senta crotz;
Cèu estelat qui versa
Sus nosauts mila favors

[Regardez les sept chevrières / Une étoile brillante / Les trois coins et les filandières / Qui vont vers le Bedat ; / Sur nous le char retourné / De Noë la sainte croix / Ciel pur étoilé qui verse / Sur nous mille faveurs]. Traduction de Francis Beigbeder.

Vous noterez les constellations Set crabèras, Tres hustets, Huserèras, Eth car, Noë era senta crotz.

Quel est l’origine de la Grande Ourse ?

Joan Amades i Gelats (1890 - 1959
Joan Amades i Gelats (1890 – 1959)

Si nous n’avons pas d’information sur la Gascogne, nos voisins Catalans en ont une. Et l’ethnologue catalan Joan Amades (1890-1959) nous raconte, dans Costumari Català : La constel·lació de l’Óssa major és coneguda en molts pobles pel Carro. La veu popular diu que el carro del cel va ésser el primer que hi va haver i que, com que va representar un gran avenç per al transport, puix que abans tot s’havia de portar a coll d’homes o a bast d’animals, Nostre Senyor, desitjós que no es perdé- la mena d’aquell nou invent que representava un tan gran descans per a l’home, va fer posar el primer carro dall del cel, perquè sempre més se sabés com era i se’n pogués tornar a fer un altre.

[La constellation de la Grande Ourse est connue dans plusieurs villes sous le nom de Char. La légende raconte que le Char du Ciel était le premier qui exista et que, compte tenu du grand progrès qu’il représentait pour le transport, puisque, auparavant, il fallait tout transporter à dos d’homme ou a dos d’animal, Notre Seigneur, voulant que cette invention qui évitait à l’homme tant de fatigue ne se perde pas, a mis le premier char dans le ciel pour l’on sache toujours comment s’y prendre pour en faire un autre.]

Lo Car deu rei David

Jean-François Bladé
Jean-François Bladé (1827-1900)

Quant à Jean-François Bladé (1827-1900), il rapporte dans ses Contes de Gascogne, cette légende intitulée « Le Char du roi David », donc une légende de la Grande Ourse, et dictée par Pauline Lacaze, originaire de Panassac (Gers) : La nuit, quand il fait beau temps, vous voyez, du côté de la bise [nord], sept grandes étoiles et une petite, assemblées en forme de char. C’est le Char du roi David, qui commandait, il y a bien longtemps, dans le pays où devait naitre le Bon Dieu. Le roi David était un homme juste comme l’or, terrible comme l’orage. Voilà pourquoi le Bon Dieu le prit au ciel, quand il fut mort, et plaça son char où vous le voyez.

Lo car e los bueus [Le char et les bœufs]

Félix Arnaudin - Autoportrait
Félix Arnaudin – Autoportrait (1844-1921)

De son côté, Félix Arnaudin (1844-1921) publie dans les Condes de la Lana Gran, un conte qu’il a collecté. Il est intitulé Le Char et les Bœufs. Il parle donc de la Grande Ourse :
Le Char et les Bœufs sont sept grosses étoiles que l’on distingue  fort bien dans le ciel. Il y en a quatre qui sont les quatre roues du Char une autre le Timon, et les deux dernières représentent le Bouvier et le Bœuf. Il y a aussi une autre petite étoile que l’on peut voir au-dessus du Bœuf ; celle-ci est le Loup. Une fois, le loup avait mangé un des bœufs du bouvier. Et, naturellement, l’homme ne pouvait plus faire tirer son char par un seul bœuf. Alors, pour refaire la paire, il attrapa le loup et l’attela avec le bœuf, à la place de celui qu’il avait mangé. Et depuis, le loup et le bœuf tirent ensemble.

La punition de l’avare

Toujours Joan Amades rapporte cette légende d’une région catalane du nord, fort différente des précédentes :
La gent vella de l’Empordà deia que era la carreta de bous d’un hisendat molt ric, qui, un any de molta fam, tenia els graners abarrotats, mentre tothom es moria de gana. Perquè no volia vendre el blat per esperar que pugés més, el poble es va amotinar i anava a cremar-li els graners. L’avar, espantat, va carregar la carreta tant com pogué, i anava a fugir amb el seu blat, però Nostre Senyor el va castigar i se’l va emportar al cel. perquè els avars en prenguessin exemple.

[Les anciens de l’Empordà disaient que c’était le char à bœufs d’un propriétaire très riche qui, une année de grande faim, avait les granges bondées tandis que tout le monde mourrait de faim. Parce qu’il ne voulait pas vendre le blé afin d’attendre qu’il monte davantage,  les gens se sont révoltés et allaient bruler ses granges. L’avare, effrayé, allait charger le chariot et allait s’enfuir, mais Notre Seigneur le punit et l’emmena au ciel pour que les avares s’en souviennent.]

Les autres noms de la Grande Ourse

Si les Romains y voyaient une ourse, les Egyptiens y voyaient un chien ou un taureau et les Hébreux un sanglier ou une ourse.

Cependant, on retrouve dans plusieurs peuples l’idée d’un chariot souvent tiré par des animaux et parfois même conduit par un homme. Ainsi, les Egyptiens l’appelaient le Chien de Typhon ou le Char d’Osiris, les Suédois le Chariot du dieu Thor et les Wallons le Char-Poucet.

D’ailleurs, le Dictionnaire étymologique de la langue wallonne précise :
Chaur-Pôcè (la Grande-Ourse, verb. : le char-Poucet) : des huit étoiles dont semble formée cette constellation, les quatre en carré représentent, selon les paysans, les quatre roues d’un char, les trois qui sont en ligne sur la gauche sont les trois chevaux, enfin, au-dessus de celle de ces trois qui est au milieu, il s’en trouve une petite qu’ils regardent comme le conducteur du char et qu’ils nomment Pôcè.

D’autres lui donnent un nom simple comme les Perses qui l’appellent les Sept grandes étoiles. Enfin, d’autres encore lui donnent un nom plus original comme les Indiens (d’Inde). Ils l’appelaient la Mer d’or, ou le Pays de Galle, histoire oblige, la Harpe d’Arthur.

On retrouve malgré tout l’idée du car ou des set estelas de la Gascogne.

Le Char d'Osiris, autre nom de la Grande Ourse
Le Char d’Osiris

Le rôle de la Grande Ourse

Trouver l'étoile polaire
Trouver l’étoile polaire

Pour les Egyptiens, la Cuisse du Taureau [la Grande Ourse] ordonnait l’univers. elle indiquait les points cardinaux et signalaient ainsi les saisons.

Il est vrai qu’elle permet de trouver l’étoile polaire. Ainsi, il suffit de prolonger la ligne qui passe par les deux étoiles qui constituent le bord extérieur de la casserole. Puis, de prolonger cinq fois la distance entre les deux étoiles.

 

 

 

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

La Grande Ourse est une table d’orientation très pratique au printemps, Le Monde, 7 avril 2018
Contes de Gascogne, Jean-François Bladé, 1886
Condes de la Lana Gran, Felix Arnaudin, 1912
Le Petit Poucet et la Grande Ourse, Gaston Paris, 1875
Dictionnaire étymologique de la langue wallonne, Charles Grandgagnage, 1837, p. 153
À la découverte du ciel, exposition château de Mauvezin (65)




Histoires de loup

Le loup a longtemps hanté les campagnes gasconnes. Et on lui a fait une chasse intensive, si bien qu’on aurait tué le dernier loup gascon à la fin du XIXe siècle. Le croyait-on disparu ? Le voilà de retour…

Les premiers Loups sont ducs de Gascogne

Alors que règnent les Mérovingiens, la Gascogne échappe à leur contrôle. Ce sont les Vascons qui la gouvernent. Certes, on en sait peu de choses, sinon par le biais de chroniqueurs francs qui les décrivent comme des « sauvages ».

Sanche I Loup de Gascogne
Sanche I Loup de Gascogne (? – 812)

Voilà que surgit Lop 1èr [Loup 1er], Duc des Vascons de 670 à 688. Lop II est Duc de 768 à 778. Étant considéré comme le responsable de la défaite de Roland à Roncevaux, le roi des Francs l’aurait fait destituer et exécuter.

Son fils, Sanche-Lop, est Duc de 800 à 812. Puis, il cède sa place à son frère Semen-Lop, Duc de 812 à 816. D’ailleurs, il serait le père du premier roi de Pampelune Eneko Arista.

En continuant, son fils Garcia-Semen gouverne pendant 2 ans avant de céder sa place à son frère Lop III Centolh, duc de 818 à 819. Bien que la fausse charte d’Alaon lui attribue deux fils : Centolh-Lop, vicomte de Béarn et Donat-Lop, comte de Bigorre, il semble qu’il n’ait pas eu de descendance.

Ensuite, on ne parle plus de Lops au duché de Gascogne.

Le loup ne s’attaque pas qu’aux troupeaux

François Grenier de Saint-Martin (1793-1867) - Petits paysans surpris par un loup
François Grenier de Saint-Martin (1793-1867) – Petits paysans surpris par un loup

Pierre Bordages, curé d’Estancarbon en Comminges écrit dans ses registres paroissiaux : « Le deux août 1761, les loups dévorèrent une fille de Pointis-Inard, on ne trouva que le crâne et les habits huit jours après. Le douze, ils tuèrent une fille de Villeneuve-de Rivière, la transportèrent assez loin, la mirent à nu et la meurtrirent. Le quatorze, ils tuèrent un garçon d’environ quinze ans à Beauchalot, et le seize, une femme de cinquante ans à Aulon, vers les huit heures du matin, et les autres à la même heure du soir, en gardant le bétail, ce qui mit l’alarme dans le pays, ces malheurs étant sans exemple ».

Jean-Marc Moriceau, professeur émérite d’histoire à l’université de Caen, a dépouillé des registres paroissiaux de 1580 à 1842. Il recense 18 000 cas de prédation de loups sur l’homme en France métropolitaine. Ainsi, il note que les loups attaquent surtout de jeunes enfants isolés. L’Auvergne, la Champagne et la Bretagne sont particulièrement concernées, alors qu’on n’en trouve presque pas en Normandie.

Les périodes les plus propices aux attaques de loups sont celles où on les chasse le moins, notamment pendant les troubles comme les Guerres de Religions.

La chasse aux loups / la caça a la lobatalha

Pour lutter contre les lops [loups], on organise de grandes battues et on verse des primes à ceux qui tuent des loups.

Blason marquis de Flamarens, grand louvetier
Blason du Marquis et du Comte de Flamarens, Grand Louvetier

Charlemagne crée la Louveterie / Lobateria en 813. À sa tête, un Grand Louvetier qui prête serment au roi. Il est assisté de Lieutenants et de Sergents de Louveterie / lobatèrs qui lui prêtent serment à leur tour. Gaston de Crossoles, Marquis de Flamarens est Grand Louvetier de 1741 à 1753, Emmanuel-François de Crossoles, Comte de Flamarens, occupe la charge de 1753 à 1780.

De plus, les seigneurs hauts-justiciers doivent organiser des battues tous les trois mois. Par exemple, le 13 mars 1712, on organise une chasse dans le bois du Marmajou à Vic de Bigorre. Les habitants doivent venir avec leurs fusils. Ceux qui sont absents sont pignorés de 3 livres et ceux qui tuent un loup sont récompensés. De même, le 12 mars 1775, la communauté de Lherm en Comminges délibère sur la dépense de 10 livres 11 sols occasionnée par une chasse aux loups ordonnée par le Subdélégué et « sur quel essaÿ il ne pareu que beaucoup de pies & de corbeaux, et non de loups, comme nen paroissant point dans ce paÿs, que fort rarement ».

Insigne d'un lieutenant de louveterie contemporain
Insigne d’un lieutenant de louveterie contemporain

Mais le versement de primes conduit à des abus qui entrainent la suppression de la Louveterie en 1787. Puis, les guerres de la période révolutionnaire entrainent la multiplication des attaques de loups sur les soldats, si bien que Napoléon la rétablit en 1804.

Les Lieutenants de Louveteries existent toujours. Et la loi de 1971 les charge de veiller à réguler les nuisibles et à maintenir l’équilibre de la faune sauvage.

Le Baron de Ruble, chasseur de loups en Gascogne

La loi du 3 août 1882 facilite la destruction des loups. D’après le Bulletin du Ministère de l’agriculture, on a tué 1 316 loups en 1883, 760 en 1886 et 515 en 1889. En 1940, il ne reste plus de loups en Europe, sauf en Espagne et en Italie.

Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896)
Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896)

Le Baron Paul-Joseph-Alphonse de Ruble (1799-1896) est Lieutenant de louveterie en 1830. Il habite le château de Bruca sur la commune de Blanquefort dans le Gers. En fait, il parcourt la Gascogne pour chasser le loup.

Pour mieux y parvenir, il croise des chiens et crée une race des Bleus de Gascogne appelés Chien de Ruble.

Finalement, en 1848, le Baron de Ruble tue le dernier loup du Gers entre Lectoure et Fleurance. La chasse nous est racontée par les témoins : « Huit heures dura la chasse, d’un train d’enfer, par monts et vallées, mais en vain. Harassés, hommes, chevaux et chiens durent s’arrêter. Plus madré qu’un ancien, le jeune loup avait disparu aux alentours d’un vaste étang… Dix-sept jours de suite, la bête fut relancée, poursuivie à outrance. Enfin les chasseurs l’emportèrent. Le loup squelettique fut forcé et l’hallali sur pied fut sonné. L’explication de ce mystère est que, chaque jour, la bête sur ses fins se réfugiait à la nage sur un minuscule îlot broussailleux au centre de l’étang. Elle en sortait la nuit pour aller se nourrir ».

Il est de retour

Présence du loup en Europe de l’Ouest (source Large Carnivore Initiative for Europe)

Que’s lobatèja [On crie au loup]. On a aperçu les deux premiers loups en 1992 dans le Mercantour. Il progresse rapidement : on le voit dans les Vosges en 2011, dans l’Aude en 2014, puis dans le Tarn. En Gascogne, on observe le premier loup à Troncens dans le Gers en 2012. Des rumeurs le font apercevoir en Béarn, en Bigorre, en Ariège. En fait, il revient dans toute l’Europe.

Le loup est un carnivore. Il mange des cerfs, des chevreuils, des sangliers mais ne dédaigne pas les lapins, les oiseaux, les œufs, les grenouilles et même les baies sauvages. On sait que la présence du loup contribue à réguler la population d’ongulés (cerfs, chevreuils, isards, chamois, sangliers, etc.) et à améliorer leur état sanitaire car il chasse les plus faibles et les animaux malades. Il s’attaque aussi aux troupeaux qui ne représentent que 8 % de son alimentation.

Le loup vit en meutes de 5 à 6 individus. À la recherche d’un nouveau territoire, un loup peut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres par jour. C’est ce qui explique que l’on en voit çà et là de manière isolée.

Aujourd’hui, le loup fait partie des animaux protégés. On en compte plus de 600 en France.

Un Plan national d’actions couvre la période 1998 à 2023. Il vise à limiter l’impact du loup sur l’élevage : installation de parcs électrifiés, achat de chiens de protection, gardiennage des troupeaux, lutte contre les chiens errants qui font aussi beaucoup de ravages dans les troupeaux. Lorsqu’on constate une attaque, la réglementation prévoit que l’éleveur reçoive des indemnisations.

Comparons chiens et loups

Sa place dans la culture populaire

Un si long voisinage avec l’homme n’a pas manqué d’inspirer nombre de contes et de fables.

Par exemple, La Fontaine écrit Le loup et l’agneau. Un auteur bayonnais anonyme (peut-être François Batbedat) traduit ses fables en gascon en 1776 avec le titre Fables causides de La Fontaine en bers gascouns :

Le Loup et l'Agneau - Les Fables de La Fontaine illustrées par G. Doré (Gallica)
Le Loup et l’Agneau – Les Fables de La Fontaine illustrées par G. Doré (Gallica)

Un agnét en ibe aigue pure
Que bebé delicademen :
Bin un loup cercan abenture ;
Lou querela brutalamen.
………………..
Atau sur lo prat, sus la bignbe,
Aus petits lous grans cerquen grigne ;
Qu’ous minyen, qu’ous gahen l’aryen.
Sauva qui pot dequere yén.

Jean-François Bladé (1827-1900) a recueilli plus de 10 contes populaires avec des loups : La Messe des loups, Le loup malade, La chèvre et le loup, Le loup et l’enfant, etc. Naturellement, le loup n’a jamais le beau rôle et fait les frais de l’histoire !

Le gascon est riche d’expressions comme Minjar com un lop [manger beaucoup et avec voracité], Hicà’s dens la gòrja deu lop [se jeter dans la gueule du loup], Un vente de lop [un ventre affamé], Un caishau de lop [une molaire ou quelqu’un de vorace], Qu’a entenut a petar lo lop [il a une grande connaissance], Tuar eth lop [faire bombance], Ací, que i a un lop [se dit quand on rencontre une difficulté], etc.

Le loup est également présent dans la toponymie gasconne : Lupiac, La loubèra, Pouyloubrun, etc.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références.

Revue de Gascogne
Fables causides de La Fontaine en bers gascouns, 1776, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus.
Dix contes de loups, Jean-François Bladé, La Bibliothèque électronique du Québec
Notice sur la vie et les travaux du baron de Ruble lue dans la séance du 11 août 1899,  Henri Thédenat
Le loup en France, Office Français de la biodiversité
Le loup ni ange ni démon, Site du WWF France




Les moulins du Lavedan

Le moulin à eau est une belle invention qui sera fort prisée un peu partout. En Lavedan, le moulin s’adapte à la montagne et se différencie de celui de la plaine. Jean Wehrlé nous renseigne par son livre : Le moulin de montagne, témoin du passé.

L’invention du moulin à eau et son développement


Meule et broyeur -(Orgnac) - source Wikimedia
Meule et broyeur à main  (Orgnac) – Wikimedia

L’invention du moulin à eau est un soulagement pour le travail des femmes qui jusqu’alors, utilisaient un mortier ou deux pierres.

Ce seraient les Grecs qui l’inventèrent. En 30 av. J.-C., le poète Antipater de Thessalonique écrit : Ne mettez plus la main au moulin, ô femmes qui tournez la meule ! Dormez longuement, quoique le chant du coq annonce l’aurore ; car Cérès a chargé les nymphes des travaux qui occupaient vos bras

Moulin à eau de Barbegal - reconstitution
Moulin à eau de Barbegal – reconstitution

La première mention d’un moulin se trouve dans les écrits de Strabon au 1er siècle av. J.-C. Il signale l’existence d’un moulin à eau, à Cabira, dans le palais de Mithridate, roi du Pont. Mais la plus étonnante de ces constructions hydrauliques romaines se trouve en Provence, à Barbegal, près d’Arle [Arles]. Le plus grand « complexe industriel » connu de l’Empire romain est un ensemble de moulins capable de moudre le grain pour une ville de 80 000 habitants !

En France, on attribue l’introduction des moulins à eau à Clovis (~466-511). Puis, les monastères développent cette technique et les moines de Clairvaux disséminent les moulins en construisant de nouvelles abbayes dans toute l’Europe. En plus des besoins domestiques des abbayes, l’eau courante a des usages industriels : écraser les grains, tamiser les farines, fouler le drap et tanner les peaux, puis, plus tard, fabriquer de la pâte à papier.

Parmi les grandes réalisations du XI-XIIe, citons la Société des Moulins du Basacle [Bazacle] ou Los moulins de Basacle fondée à Toulouse par des citoyens de la ville, avant que ne commence la Croisade des Albigeois, pour exploiter en commun des dizaines de moulins installés sur le site du Basacle, à l’amont  de la ville. Ils constituent  pour cela, la première société française par actions.

Les moulin à eau en Lavedan

Saint Orens
Saint Orens

En Lavedan (ou Vallée des Gaves), c’est à Sent-Orens, le futur évêque d’Auch, que l’on attribue le premier moulin à eau.  La légende nous apprend que vers 370, il aurait construit dans le vallon d’Isaby, un moulin merveilleux qui fonctionna 700 ans sans la moindre réparation. Né à Huesca, très pieux, il serait venu se réfugier dans le Lavedan pour échapper au destin politique que sa riche famille voulait pour lui.

Très vite, les moulins privés vont se multiplier dans le Lavedan, au-delà de ce qu’on voit dans d’autres contrées. Le cartulaire de Sent Savin en 1150 ou le censier de 1429 en témoignent.

En 1708, une taxe est créée qu’on ne paiera pas toujours. En 1735 par exemple, 17 moulins clandestins sont découverts dans la baronia deths Angles

Toutefois, en 1836, le cadastre parle d’une vingtaine de moulins à Arcisans-Dessús pour trente-cinq familles. Et quand le moulin est partagé entre deux familles, chacune s’attribue des jours.

À quoi ressemble un moulin en Lavedan ?


Arcizans-Dessus_(Photo Omnes)
Moulins en chapelet – Arcizans-Dessus (Photo Omnes)

La superficie au sol d’une mola [moulin] fait 20 à 25 m2. En enlevant les murs, le moulin est donc très petit. En Val d’Azun, les murs sont en granit clair, en vallée de Gavarnia, ils sont en schiste sombre. Les toits sont en ardoise.

On construit le moulin généralement dans la pente et une rigole depuis le ruisseau permet l’alimentation en eau directement à l’intérieur. De plain-pied, on a l’espace de travail et dessous la chambre du rouet où l’on tient en général debout.


Beaucens (Photo SPPVG)
Moulin de Beaucens (Photo SPPVG)

 

Quant à la porte, elle ne se distingue pas de celle d’une bergerie. Elle peut être ornée d’une croix, voire fleurie. En revanche, à hauteur d’homme, une dalle horizontale encastrée dans le mur permet de poser les sacs lors des manipulations ou du chargement des bêtes.

Enfin, à l’intérieur, un tira huma, une cheminée dont le conduit traverse le mur et non la toiture, permet de se réchauffer l’hiver. Et le sol est le plus souvent en simple terre battue.

L’alimentation en eau du moulin


Canal de dérivation vers un moulin
Canal de dérivation (photo SPPVG)

Qui dit moulin à eau signifie qu’il faut de l’eau ! Ce qui est plus difficile avec l’altitude.  On trouve des rigoles d’alimentation appelées graus ou agaus parfois assez longues, comme celle d’Ayrues qui alimentait deux moulins mais uniquement l’été. Pourtant, on trouve des moulins même à plus de 1300 m d’altitude.

Et les passages ou ventes de droits d’eau font l’objet de transactions en Lavedan. Jean Wehrlé cite la vente de passage d’eau entre Maria du Faur et Johan de Palu le 8 février 1502.

Vieuzac, canal de l'Arrieulat-1
Vieuzac, canal de l’Arrieulat (photo SPPVG)

 

Ou encore l’établissement d’un canal de moulin en 1651 entre un certain Vergez et le sieur d’Authan.

Le plus souvent, le meunier actionne une simple pelle de bois ou de schiste pour donner passage à l’eau dans la rigole.

Au XXe siècle, lors des travaux en montagne, EDF devra assurer l’alimentation des canaux pour la marche des moulins.

Le fonctionnement du rouet


Schéma de principe du moulin à roue horizontale de Sazos
Schéma de principe du moulin à roue horizontale de Sazos (SPPVG)

Pour entrainer l’arrodet [la roue], on creuse dans un arbre évidé, une pièce appelée coursier.  Calé de 30 à 45° par rapport à l’horizontale, le coursier fait office de déversoir et l’eau fait une chute de 2 à 3 m, ce qui entraine la roue (ou rouet) à 60-80 tours par minute.


Turbine horizontale - Moulin de l’écomusée de Marquèze ( Landes)
Turbine horizontale – Moulin de l’écomusée de Marquèze ( Landes)

Quant au rouet, dans le sud de la France, comme dans le bassin méditerranéen, il est horizontal avec un axe vertical. Il mesure 1,15 m de diamètre est souvent en chêne ou en acacia. Il tourne généralement à droite.

La pèira [la meule], sauf exception, est faite de matériau trouvé sur place : la roche cristalline. Elle mesure de 0,90 à 1,15 m de diamètre, pour une épaisseur de 15 cm. Et elle pèse facilement 120 kg. Elle peut être marquée.

Que moud-on dans les moulins du Lavedan ?


Trémie avec son sabot
Trémie avec son sabot (SPPVG)

On peut moudre tous les grains : millet, orge, seigle, blé, avoine, maïs selon les époques. Pourtant la même meule ne s’adapte pas à tous les grains. Ainsi, René Escafre (1733-1800) nous signale : le moulin du seigneur aux Angles a une meule noire, il faudrait en acheter une blanche pour moudre le froment.

Le grain est versé dans un tremolh ou trémie pyramidale. Son soutirage est réglé par une pièce appelée esclop à cause de sa forme de sabot.

Le grain moulu servira à l’alimentation de l’homme et de l’animal. On pratique une mouture « à la grosse », le blutage étant fait par un cèrne [tamis à main] surmontant la masia [le coffre à bluter]. On peut ainsi séparer le son, séparer la fleur (farine très fine utilisée pour la pâtisserie).

Quauques reproès deth Lavedan

Les Gascons sont les rois des proverbes. Le Lavedanés Jean Bourdette (1818-1911), dans Reprouès det Labeda, signale les suivants :

Eras moulos, de Labéda, quoan an àyga n’an pas grâ.
Eras molas, de Lavedan, quan an aiga n’an pas gran.
Ces moulins, du Lavedan, quand ils ont de l’eau ils n’ont pas de grain.

Cadù q’apèra era ayga tat sué mouli,
E qe la tira at det bezî.
Cadun qu’apèra era aiga tad sué molin,
E que la tira a deth vesin
Chacun appelle l’eau pour son moulin / Et l’enlève à son voisin.

De mouliô cambià poudet, mes de boulur nou cambiarat.
De molièr cambiar podetz, mès de volur non cambiaratz.
Vous pouvez changer de meunier ; mais de voleur, non.
Bourdette précise : C’est que tous les meuniers passaient pour être voleurs ; ils conservent encore cette vieille réputation… en Labédâ du moins.

Mes bàou chaoumà que màou moule.
Mes vau chaumar que mau móler.
Mieux vaut ne rien faire que mal moudre.

Qi a mouli ou caperâ,
Jàmes nou mànca de pâ.
Qui a molièr o caperan,
Jamès non manca de pan.
Qui a curé ou moulin,
Ne manque jamais de pain.


Carte des Pays des Pyrénées - Le Lavedan
Carte des Pays des Pyrénées – Le Lavedan

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Reprouès det Labeda, Jean Bourdette, 1889, Bibliothèque Escòla Gaston Febus.
La Baronnie des Angles et les Roux de Gaubert de Courbons, René Escafre.
Le moulin de montagne, témoin du passé, Jean Wehrlé, 1990, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Patrimoine Volvestre Info, Les moulins du Volp
Le site des patrimoines du Pays de la Vallée des Gaves, Les moulins à eau, les scieries, les carderies, (les photos provenant du site sont référencées SPPVG)
La Société des moulins de Bazacle, Wikipedia
La Révolution industrielle du Moyen Âge,




Quand le gascon faillit devenir langue officielle

Le gascon est la langue du peuple. La Révolution de 1789, après bien des hésitations, décide d’imposer le français et de combattre les langues régionales. L’abbé Grégoire est le principal instigateur de cette lutte.

L’usage des langues régionales pendant la Révolution

Lous drets de l'ome traduits par Pierre Bernadau 1790)
Lous drets de l’ome traduits par Pierre Bernadau 1790)

Le 14 janvier 1790, l’Assemblée Nationale décide de faire traduire les lois et les décrets dans les différents « idiomes » parlés de France. Le but est de rendre partout compréhensibles les lois et les décrets de l’Assemblée car la majorité des citoyens ne parle pas français.

Le député Pierre Dithurbide, natif d’Ustaritz, se propose de réaliser les traductions en basque. Le Député Dugas, de Cordes dans le Tarn, rédacteur du journal Le Point du Jour, crée une entreprise de traductions pour les 30 départements du sud. Le 6 octobre 1791, Dugas présente 24 volumes, dont 9 pour les Hautes-Pyrénées, 7 pour les Basses-Pyrénées, 1 pour les Landes et 1 pour la Haute-Garonne. Il a des difficultés à se faire payer ce travail.

La traduction est mauvaise et les Hautes-Pyrénées font faire la leur.

Pierre Bernadau (1762-1852), avocat bordelais, traduit la Déclaration des Droits de l’Homme en gascon, ainsi que les décrets municipaux.

Les écrits en langues régionales se multiplient. À Toulouse, on publie Home Franc, « journal tot noubel en patois fait esprès per Toulouse » et destiné « a las brabos gens de mestiè ».

Une littérature occitane populaire de pamphlets et de chansons se développe. Le 2 nivôse an II, les jeunes de Mimbaste dans les Landes chantent sur l’air de la Marseillaise, un hymne en gascon dont les quatre couplets sont recopiés sur le registre des délibérations.

Cette politique de traductions prend fin en 1794, après la lecture du rapport de l’abbé Grégoire (1750-1831) : Rapport du Comité d’Instruction publique sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.

Qui est l’abbé Grégoire ?

L'Abbé Grégoire
L’abbé Grégoire

Henri Grégoire (1750-1831) nait à Vého, près de Lunéville (actuel département de Meurthe et Moselle). Ordonné prêtre en 1775, l’abbé Grégoire parle l’anglais, l’italien, l’espagnol, l’allemand et publie une Eloge de la poésie à l’âge de 23 ans.

En 1787, avec un de ses confrères, il fonde un syndicat de prêtres pour obtenir de meilleurs revenus au détriment des évêques et des chanoines.

Elu député du clergé aux Etats Généraux de 1789, l’abbé Grégoire réclame l’abolition totale des privilèges, l’abolition du droit d’ainesse, l’instauration du suffrage universel masculin et contribue à rédiger la Constitution civile du clergé.

L’abbé Grégoire plaide la cause des juifs (reconnaissance de leurs droits civiques en 1791) et des noirs (première abolition de l’esclavage en 1794). Grégoire est élu évêque constitutionnel à Blois. Il s’oppose à la destruction des monuments publics et créé le terme de Vandalisme. Il dit : « Je créai le mot pour tuer la chose ».

Membre actif du Comité de l’Instruction publique, il réorganise l’instruction publique. C’est dans ce cadre qu’il entreprend une enquête sur les patois pour favoriser l’usage du français.

L’enquête de l’abbé Grégoire

Le 13 août 1790, l’abbé Grégoire lance une enquête relative « aux patois et aux mœurs des gens de la campagne ». Elle comprend 43 questions. Quelques exemples :

Q1. L’usage de la langue française est-il universel dans votre contrée. Y parle-t-on un ou plusieurs patois ?
Q6. En quoi s’éloigne-t-il le plus de l’idiome national ? N’est-ce pas spécialement pour les noms des plantes, des maladies, les termes des arts et métiers, des instruments aratoires, des diverses espèces de grains, du commerce et du droit coutumier ? On désirerait avoir cette nomenclature.
Q10. A-t-il beaucoup de termes contraires à la pudeur ? Ce que l’on doit en inférer relativement à la pureté ou à la corruption des mœurs ?
Q16. Ce patois varie-t-il beaucoup de village à village ?
Q18. Quelle est l’étendue territoriale où il est usité ?
Q21. A-t-on des grammaires et des dictionnaires de ce dialecte ?
Q23. Avez-vous des ouvrages en patois imprimés ou manuscrits, anciens ou modernes, comme droit coutumier, actes publics, chroniques, prières, sermons, livres ascétiques, cantiques, chansons, almanachs, poésie, traductions, etc. ?
Q29. Quelle serait l’importance religieuse et politique de détruire entièrement ce patois ?
Q30. Quels en seraient les moyens ?
Q41. Quels effets moraux produit chez eux la révolution actuelle ?

À la lecture des questions, on comprend très vite où il veut en venir !

Entre 1790 et 1792, l’abbé Grégoire ne reçoit que 49 réponses à son questionnaire, dont 11 proviennent des départements du sud-Ouest : Périgueux, Bordeaux, Mont de Marsan, Auch, Agen, Toulouse et Bayonne.

Les débats sur la question linguistique

Carte sur la traduction des lois en langues régionales (1792)
Carte sur la traduction des lois en langues régionales (1792)

La question linguistique anime les débats. L’impossibilité de se faire entendre par tous milite pour l’unification de la langue.

Un envoyé à Ustaritz, constate que « le fanatisme domine ; peu de personnes savent parler français ; les prêtres basques et autres mauvais citoyens ont interprété à ces infortunés habitants les décrets comme ils ont eu intérêt ». Dans les armées, des bataillons doivent être séparés car ils « n’entendaient pas le langage l’un de l’autre ».

Le 18 décembre 1791, Antoine Gautier-Sauzin de Montauban envoie une lettre au Comité d’Instruction publique de l’Assemblée nationale dans laquelle il propose un projet de fédéralisme.

« J’observe que le français est à peu de nuances près, la langue vulgaire de la majeure partie du royaume, tandis que nos paysans méridionaux ont leur idiome naturel et particulier ; hors duquel ils n’entendent plus rien […] Je crois que le seul moyen qui nous reste est de les instruire exclusivement dans leur langue maternelle. Oh que l’on ne croie pas que ces divers idiomes méridionaux ne sont que de purs jargons : ce sont de vraies langues, tout aussi anciennes que la plupart de nos langues modernes ; tout aussi riches, tout aussi abondantes en expressions nobles et hardies, en tropes, en métaphores, qu’aucune des langues de l’Europe ».

Antoine Gautier-Sauzin propose d’imprimer des alphabets purement gascons, languedociens, provençaux, … « dans lesquels on assignerait à chaque lettre sa force et sa couleur ». Il propose, par exemple, de supprimer le V qui se confond avec le B en gascon.

Il écrit : « Pour exprimer en gascon le mot « Dieu », que Goudouli écrit « Dius », j’écrirais « Dïous », les deux points sur l’i servant à indiquer qu’il faut trainer et doubler en quelque sorte cette voyelle ».

Bertrand Barrère
Bertrand Barrère

Bertrand Barrère impose la fin de tout usage des langues régionales dans le cadre officiel : « D’ailleurs, combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes parlés en France ! Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires ! ».

L’abbé Grégoire présente son rapport devant la Convention

Rapport de l'Abbé Grégoire - Page 1
Rapport de l’Abbé Grégoire – Page 1

Le 16 Prairial an II, l’abbé Grégoire présente son rapport Sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française. Texte complet disponible ici.

Extraits :

« On peut uniformer le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent, puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale, & qui doit être jaloux de consacrer au plutôt, dans une République une & indivisible, l’usage unique & invariable de la langue de la liberté ».

« Cette disparité de dialectes a souvent contrarié les opérations de vos commissaires dans les départemens. Ceux qui se trouvoient aux Pyrénées-Orientales en octobre 1792 vous écrivoient que, chez les Basques, peuple doux & brave, un grand nombre étoit accessible au fanatisme, parce que l’idiôme est un obstacle à la propagation des lumières. La même chose est arrivée dans d’autres départemens, où des scélérats fondoient sur l’ignorance de notre langue, le succès de leurs machinations contre-révolutionnaires ».

« Quelques locutions bâtardes, quelques idiotismes prolongeront encore leur existence dans le canton où ils étoient connus. Malgré les efforts de Desgrouais, les gasconismes corrigés sont encore à corriger. [….] Vers Bordeaux on défrichera des landes, vers Nîmes des garrigues ; mais enfin les vraies dénominations prévaudront même parmi les ci-devant Basques & Bretons, à qui le gouvernement aura prodigué ses moyens : & sans pouvoir assigner l’époque fixe à laquelle ces idiômes auront entièrement disparu, on peut augurer qu’elle est prochaine ».

« Les accens feront une plus longue résistance, & probablement les peuples voisins des Pyrénées changeront encore pendant quelque temps les e muets en é fermés, le b en v, les f en h ».

C’est la fin de l’usage officiel des langues régionales. Il a duré quatre ans et commence alors la « chasse aux patois ».

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Histoire de la langue française, des origines à 1900 ; 9, 1-2. La Révolution et l’Empire, par Ferdinand Brunot,1927-1937
La République en ses provinces : la traduction des lois, histoire d’un échec révolutionnaire (1790-1792 et au-delà) par Anne Simonin
Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française, Grégoire, 1794
La République condamne les idiomes dangereux, Anne-Pierre Darrées, 2021
Mélenchon comprendrait-il Montesquieu ?, Anne-Pierre Darrées, 2018