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Aristide Bergès, un progressiste

Le Coseranés Aristide Bergès est le pionnier de l’hydroélectricité. Brillantissime, il est à l’origine d’une révolution.

La famille Bergès et ses racines couseranaises

Pierre Bergès, le père d'Aristide
Pierre Bergès (1800-1891), le père d’Aristide

La famille Bergès vit dans le Coserans (Couserans) dans la région de Sent Líser (Saint-Lizier). Ce sont des artisans : maçons, tailleurs de pierre, charpentiers, meuniers… L’un d’eux, Bertrand Bergès suit une formation de compagnon papetier à Sarrancolin (Hautes-Pyrénées).

À la Révolution, les biens des nobles deviennent propriété nationale. Alors, les deux frères Laurent et Bertrand Bergès achètent un des moulins de Lòrp (Lorp) qui appartenait à la baronne de Taurignan Pointis. Ce moulin passera au fils de Bertrand, Pierre Bergès. Puis, le 23 juillet 1827, Pierre épouse Jeanne Marie Victoire Foch, fille d’un fabricant de papier de Sent Líser. Ils auront 8 enfants dont 4 mourront en bas-âge. Mais Pierre est cultivé et veut instruire ses fils : Aristide, Étienne-Bertrand, Achille, Philippe. Aussi il prend un précepteur à domicile.

Pierre Bergès, le père papetier

La famille est ouverte, moderne, progressiste. Elle est à l’écoute de son temps. Ainsi, Pierre Bergès s’équipe d’une machine à papier, une invention de Louis-Nicolas Robert (1761-1828). Cette machine économise de la main d’œuvre et surtout permet non plus de sortir des feuilles une à une mais de faire un large et long ruban de papier. Son principe consiste à verser de la pâte à papier dans une grande cuve, puis une roue à écopes la déverse sur une toile métallique sans fin, en rotation et en vibration permanente, ce qui permet l’égouttage de la pâte. La feuille qui se forme ainsi est pressée entre des cylindres de presse garnis de feutres, puis s’enroule sur des bobines installées au bout de la machine. Plus tard, en 1848, Pierre achète une deuxième machine entrainée par trois turbines hydrauliques de type Fourneyron. C’est novateur et bien plus efficace que les roues à eau.

Maison natale d'Aristide Bergès et ancienne papeterie de Prat du Ritou à Saint-Lizier (09)
Maison familiale d’Aristide Bergès et ancienne papeterie de Prat du Ritou à Saint-Lizier (09)

Aristide Bergès, le fils ingénieur

Premiers locaux de l'Ecole Centrale à l'Hôtel de Juigné (aujourd'hui musée Picasso)
1ers locaux de l’École Centrale à l’Hôtel de Juigné (aujourd’hui musée Picasso)

Revenons au fils, Laurent, Arnaud, Aristide, Marcellin Bergès qui nait le à Lòrp (Lorp) dans le Coserans (Couserans). Après l’éducation primaire à la maison, Aristide continue sa scolarité au pensionnat Saint-Joseph à Tolosa (Toulouse). Il est très brillant et, avec les encouragements de ses professeurs, il passe l’examen d’entrée à l’École Centrale des Arts et Manufactures (créée en 1829), aujourd’hui l’École Centrale de Paris. Sa plus mauvaise note sera un 18 à un oral de mathématiques.

Aristide est le benjamin de l’école, il a tout juste 16 ans quand il y entre. Il est timide, a l’accent gascon et se sent bien petit à côté de ses camarades de familles aisées. Si ses camarades sortent très souvent, lui ne peut se payer qu’une place de parterre dans un petit théâtre une fois par mois. Dès lors, il restera sensible aux différences sociales. Cependant, Aristide obtient son diplôme en 1853. Seuls 46 des 134 élèves du début du parcours l’obtiennent. Et il sort deuxième. Il a choisi la spécialisation chimie en vue de la reprise de la papeterie familiale.

Des débuts difficiles pour Aristide

Aristide Bergès
Aristide Bergès

Ayant fini ses études, Aristide travaille à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest nouvellement créée. Puis, en 1856, un de ses camarades de Centrale lui propose une association pour reprendre une usine de toiles imperméables à Caudéran, à côté de Bordeaux. Aristide démissionne, mais son père refuse de lui avancer l’argent et rencontre l’industriel vendeur. Par ses propos, il humilie son fils. Toutefois, le vendeur accepte d’aider financièrement les deux jeunes repreneurs.

Cette même année, Aristide rencontre la Toulousaine Jeanne Marie Raymonde Cardailhac, tailleuse de robes. Encore une fois, le père s’interpose et refuse cette union, la jeune femme est pauvre et a 9 ans de plus que son fils. Alors, les jeunes amoureux fuient à Londres pour se marier le 27 septembre 1856.  Pour survivre, Aristide est contraint de trouver un poste. Ce sera à Cordoue, à la Compagnie des chemins de fer de Séville. Mais il a des dettes et n’est toujours pas majeur. Son père envoie une lettre aux dirigeants à Séville pour déclarer que son fils n’est pas marié.

Aristide est contraint de démissionner. Le couple rentre à Toulouse. Enfin majeur (à 25 ans), il obtient du tribunal la mainlevée de l’opposition de ses parents. Il peut signer le contrat de mariage devant notaire le 6 avril 1859 et se marier à la mairie de Toulouse. Le tribunal oblige même ses parents à lui verser une pension alimentaire. Les relations avec son père s’apaiseront peu à peu.

Les débuts de l’ingénieur Aristide Bergès

En 1860, Aristide entre à la Compagnie générale des asphaltes probablement grâce à des camarades de Centrale. L’année suivante, le père consent enfin à aider son fils à la condition expresse qu’il renonce à jamais à l’utilité du jugement rendu par le tribunal civil de Saint-Girons. En effet, ce jugement entache l’honneur de Pierre Bergès et provoque même des rumeurs sur sa solvabilité.

Le défibreur de Bergès installé à Lorp en 1862
Le défibreur de Bergès installé à Lorp en 1862

Aristide s’installe à Maseras de Salat (Mazères-sur-Salat). Là, il construit une râperie de bois qu’il a mise au point. Une fois l’écorce enlevée, la machine râpe les troncs et libère les fibres du bois. Elles feront la pâte à papier.

Or, les papetiers Amable Matussière (1829-1901) et Gabriel Fredet (1829-1904) sont deux camarades centraliens de notre Aristide, à peine plus âgés. Ils veulent mettre en place une râperie dans l’usine d’Amable à Domène dans l’Isère. Et ils font appel à lui en 1867.

La papeterie du Lancey au début du 20e siècle. On voir les canalisations forcées qui descendent de la Cimbe de Lancey
La papeterie du Lancey au début du 20e siècle. On voit les canalisations forcées qui descendent de la Combe de Lancey

Grâce à Amable, Aristide s’installe à Villard-Bonnot dans l’Isère, au bord du ruisseau de La Combe de Lancey. Là, notre ingénieur crée en 1869 la première conduite forcée en captant une chute de 200 mètres. Elle alimente une turbine permettant d’entrainer les défibreurs de sa râperie de bois. C’est un véritable exploit ! Les débits et la pression de l’eau étaient tels qu’il fallut trouver des matériaux aptes à supporter ces pressions et renforcer les soudures des canalisations.

Aristide Bergès, l’inventeur

La conduite forcée de Bergès
La conduite forcée de Bergès

En fait, dès sa sortie de Centrale, Aristide Bergès témoigne de son inventivité et dépose de nombreux brevets. Par exemple, il crée un appareil rotatif à haute pression pour broyer les roches et en extraire le bitume. il invente la pilonneuse mécanique à vapeur employée à l’asphaltage du terre plain de l’Arc de Triomphe.

Pour le métier de papetier, il dépose aussi de nombreux brevets qui seront des perfectionnements majeurs et durables : recyclage sans fin de la pâte à papier, décantation de la pâte, hélice pour les cuves, pompe spirale pour la recirculation,  serrage hydraulique…

Mais, il marquera surtout son temps par son concept de… la houille blanche.

L’inventeur de la houille blanche

À partir de 1880, l’usine d’Aristide s’agrandit de façon spectaculaire. Aussi, il ajoute une autre conduite forcée, cette fois-ci de 500 mètres, pour monter une papeterie à côté de sa râperie. Mais il n’utilise qu’une partie de l’énergie produite. Alors, il installe une dynamo qui fournit de l’électricité avec la force de la chute d’eau.

Le Lac du Crouzet (1974m)
Le Lac du Crouzet (1974m)

En 1889, Aristide Bergès présente son invention de production électrique à partir de l’eau à l’Exposition universelle de Paris en l’appelant la houille blanche (en allusion à la houille noire, le charbon). Aristide Bergès déclare : les glaciers ne sont plus des glaciers ; c’est la mine de la houille blanche à laquelle on puise, et combien préférable à l’autre [houille noire].

Mais l’irrégularité du débit est dangereuse et nuit à l’installation. Aussi, pour soutenir le débit du torrent, il bâtit en 1892 un barrage sur le lac du Crozet et un siphon à 6 m sous la surface de l’eau. C’est un succès considérable, même si cela lui vaut des procès avec les locaux. Il installe un tramway électrique pour le transport du bois. Et l’énergie hydraulique s’étend à toutes les Alpes du Nord.

Rapidement, les pouvoirs publics réagissent et créent le Service des forces hydrauliques au sein de l’administration des Ponts et Chaussées.

Progrès technique et social

Pour Aristide Bergès, le progrès technique est au service du progrès social. Le papier moins cher, c’est pour lui le livre bon marché, l’instruction à portée de toutes les bourses. De même, il fait installer l’électricité dans les maisons du hameau de Lancey et pousse la municipalité de Grenoble à mettre en place un éclairage public. D’ailleurs, il crée en 1898 la Société d’Éclairage Électrique de Grésivaudan, pour amener le courant à Grenoble et ses environs. C’est autour de la lampe électrique que le soir commencent le repos et la vie de la famille, pour le pauvre comme pour le riche, écrit-il. De plus, pour lui, l’énergie chez soi permet de créer des petits ateliers à domicile.

Il organise aussi des équipements et des services pour les ouvriers de son usine et leurs familles : cité ouvrière, infirmerie, crèche… Lors de sa création, le syndicat des ouvriers papetiers de Lancey rappellera « la part qu’il a prise dans l’émancipation ouvrière ».

Aristide Bergès meurt le 28 février 1904. Il est enterré à Toulouse, avec sa femme Marie Cardailhac. Après un enfant mort-né en début de mariage, ils ont eu cinq enfants dont trois, Achille, Georges et Maurice reprendront les papeteries de Lancey.

Les retombées de la houille blanche

L'institut électrotechnique de Grenoble 1901) vue extérieure lors de sa fondation Rue Général-Marchand, Annexe du Lycée de Jeunes Filles
L’Institut Électrotechnique de Grenoble, vue extérieure lors de sa fondation en 1901, rue Général-Marchand, annexe du Lycée de Jeunes Filles

La houille blanche va donner un élan à la région grenobloise qui se fera connaitre pour ses inventeurs, ses avancées sociales et ses premières écoles d’ingénieurs (début XXe siècle). En effet, pour répondre à cette industrialisation naissante, il faut spécialiser la formation. Après des premiers cours d’électricité, se crée l’Institut Électrotechnique de Grenoble en 1901.

Aujourd’hui, les 32 barrages des Alpes produisent 15 % de la production française d’électricité.

Un lycée et un bâtiment de l’Ense3 (École nationale supérieure de l’énergie, l’eau et l’environnement) portent son nom. La maison Bergès à Villard-Bonnot devient le musée de la Houille BlancheAristide Bergès avait la faculté de prendre des risques et le sens de la communication, indique Cécile Gouy-Gilbert, conservateur du Musée de la houille blanche.

Le Musée de la Houille Blanche aménagé dans la maison familiale d'A. Bergès à Villard-Bonnot (Isère)
Le Musée de la Houille Blanche aménagé dans la maison familiale d’A. Bergès à Villard-Bonnot (Isère)

Enfin, dans sa ville natale de Lòrp e Senta Aralha (Lorp Sentaraille), l’ancienne papeterie familiale et la maison adjacente sont devenues le musée Aristide Bergès.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Histoire industrielle, Aristide Bergès, une vie d’innovateur, Louis André, 2013.
Histoire des papeteries de Lancey, de Bergès à nos jours, Gilbert Coffano, 1999.
Les papeteries de Lancey.
Les grands Centraux, Aristide Bergès, promotion 1852.
Aristide Bergès, inventeur ariégeois, François Baby, 1987.




Figues et figuiers

Le figuier est associé à la Méditerranée, et pourtant, c’est un arbre, doté de pouvoirs, que l’on trouvait dans toutes les maisons de Gascogne.

Histoire succincte du figuier

Chapiteau de la nef, basilique de Vézelay, Yonne - Adam et Ėve cachent leur nudité avec une feuille de figuier
Adam et Ėve cachent leur nudité avec une feuille de figuier. Chapiteau de la nef de la basilique de Vézelay, Yonne.

Lo higuèr, le figuier en français, est un arbre fort ancien puisqu’il est cité dans la Bible. Souvenez-vous, Adam et Ève découvrant leur nudité cachent leur sexe sous des feuilles de figuier : Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. (Genèse 3 v 7).

On sait aussi que l’on cultivait le figuier au Proche-Orient il y a plus de 10 000 ans. D’ailleurs, son nom latin, ficus carica, veut dire figuier de Carie, région du sud-ouest de l’Asie mineure dont serait originaire cet arbre. Un peu avant notre ère, les Carthaginois apportent le figuier dans tout le pourtour de la Méditerranée. Puis, les Phocéens et les Romains le propagent dans leurs territoires de conquête.

Ainsi, on le trouve aujourd’hui dans tout le sud de la France, et aussi dans des zones abritées en Ile de France, Bourgogne, Bretagne ou sur la Manche. Dans le sud-ouest, il laisse son nom à plusieurs lieux comme le col du Figuier à Belestar (Bélesta), en Ariège languedocienne. Les Béarnais ont Higuèra (Higuères) ou Labatut-Higuèra (Labatut-Figuières), les Commingeois Higaròu (Figarol), etc. Et les Basques Picomendy (la hauteur des figuiers) à Saint-Étienne-de-Baïgorry.

La culture du figuier autour de la Méditerranée - Source : Jacques Vidaud, Le Figuier.
La culture du figuier autour de la Méditerranée – Source : Jacques Vidaud, Le Figuier.

Le figuier est symbole de vie (il peut vivre 300 ans) ; il possède des fruits en forme de bourses et son latex qui évoque le liquide séminal. Il est d’ailleurs l’arbre de Dionysos, dieu de la fécondité. Et c’est au pied d’un figuier que la louve allaite Romulus et Rémus qui fondent Rome.

Le figuier des botanistes

Ficus Carica © Wikipedia
Ficus Carica, Trew,C..J. (1771) © Wikipedia

Le figuier (ficus carica) appartient à la famille des Moracées, comme le murier ou l’arbre à pain. Il n’est pas très grand, dans les 4 ou 5 m, il aime le soleil et pas du tout le vent. Mais il peut supporter des températures basses, de -15°C. Il en existe plus de 260 variétés et on les regroupe souvent selon la couleur de leur fruit : figue blanche (à peau verte), noire (à peau violette), figue grise (à peau mauve).

Une toute petite abeille nommée blastophage s’occupe de la pollinisation des fleurs femelles ; en contrepartie le figuier l’abrite et le nourrit. Toutefois, l’abeille ne pollinise pas toutes les figues qui vont alors murir plus tôt, fin juillet. Nos amis provençaux les appellent les « couilles du pape ».

Mais attention, le figuier n’est pas que sympathique : ses feuilles et ses tiges contiennent un latex photosensibilisant. Si vous en mettez sur votre peau et que vous allez au soleil, vous verrez apparaitre de jolies brulures.

Le figuier est dans chaque maison gasconne

Dans les plaines ou les collines de Gascogne, jusque fin XIXe siècle, on trouve des figuiers qui bordent les routes. En Lomanha / Lomagne, los broishs (les sorciers) les utilisent car on attribue à ses branches un pouvoir divinatoire. Dans les Landes, le figuier protège la maison. D’ailleurs, le Landais Isidore Salles (1821-1900) nous le rappelle dans sa poésie Lou higuè / Lo higuèr / Le figuier

Isodore Salles (1821 -1900)
Isidore Salles (1821 -1900)

Toute maysoun, grane ou petite,
A soun higué, petit ou gran.
Tota maison, grana o petita, / A son higuèr, petit o gran.
Toute maison grande ou petite, / A son figuier petit ou grand.

Sans aller jusqu’à le dire sacré, on ne touche pas à un figuier même devenu vieux :

Badut bielh e quent lou cap plegue,
Que herèn un pecat mourtau
De pourta le hapche ou le sègue,
Sus l’anyou gardien de l’oustau.

Vadut vielh e quan lo cap plega, / Que herén un pecat mortau / De portar la hacha o la sèga, / Sus l’anjo gardian de l’ostau.
Devenu vieux et quand sa tête plie, / Ce serait un péché mortel / De porter la hache ou la scie, / sur l’ange gardien de la maison.

Vous pouvez écouter, lu par Tederic Merger, le texte d’Isidore Salles extrait de Langue et chansons en pays de Gascogne d’Hubert Dutech aux Editions CPE.

      1. Lo higuer-V2

Le figuier dans la conversation

Plusieurs expressions gasconnes font référence à la figue ou au figuier comme gras com ua higa (gras comme une figue, équivalent français : gras comme un cochon) ou har la higa (faire la figue, eq. français faire la mijaurée), ou encore segotir lo higuèr (secouer le figuier, eq. français secouer les puces). Quelques proverbes s’en inspirent comme:
Eth laurèr, eth higuèr que deishan tostemps heretérs.
Le laurier et le figuier laissent toujours des héritiers (c’est-à-dire que ces arbres vous survivront).

Papire Masson note en 1611 dans son livre Descriptio Fluminvm Galliae (description des fleuves de France) le proverbe suivant qui est presque un virelangue :

Lo no es bon gasconet
Se non sabe dezi
Higue, Hogue, Haguasset

Lo non es bon gasconet
se non sap díser
Higa, Hoga, Hagasset

N’est pas bon petit gascon
Celui qui ne sait dire
Higa, Hoga, Hagasset
(en expirant fortement les h s’il vous plait ; higa : figue)

Diverses utilisations de la figue

Le figuier est généreux, il peut donner à l’âge adulte (après 10 ans) de 30 à 100 kg de fruits par an. Il n’est pas très exigeant et se développe facilement, aussi il est appelé l’arbre du pauvre. Son fruit peut être séché et il se conserve longtemps.

Rome et Carthage au début de la 2ème Guerre Punique (218 av. JC)
La proximité de Rome et Carthage, à l’époque de Caton, au début de la 2ème Guerre Punique (218 av. JC)

Déjà, la figue est à la base du régime des athlètes en période olympique. Et c’est le fruit préféré de Cléopâtre. En Gascogne, comme partout, on fait sécher la figue qui devient un aliment calorifique pour toute l’année.

Plus amusant, Caton (234-149) utilise la figue pour convaincre le Sénat des dangers que représente la puissance punique. Carthago delenda est (Il faut détruire Carthage) répète-t-il inlassablement.  Et celui-ci de se laisser convaincre grâce à une figue : Sachez qu’elle a été cueillie il y a trois jours à Carthage : voilà à quelle proximité nous sommes de l’ennemi ! 

La figue et le foie gras

Les Égyptiens remarquent que les anatidés (oies, cygnes, canards…) se gavent avant la migration. Et ils remarquent aussi que la chair de ces oiseaux en devient plus tendre.  Ils décident alors de reproduire ce gavage pour rendre les chairs plus savoureuses. La technique se transmet dans le pourtour méditerranéen.

Figues farcies au foie gras
Figues farcies au foie gras

À leur tour, les Romains s’y mettent. Horace (-35, -8) nous rappelle : Pinguibus et ficis pastum jecur anseris albi (le foie de l’oie blanche est nourri de graisse et de figues). Ce qui rend leur chair tendre et leur foie plus savoureux.  D’ailleurs, ils parlent de Jecur ficatum (foie aux figues). Le mot ficatum (figue) devient figido au VIIIe siècle puis hitge en gascon, fetge en languedocien, feie en français au XIIe et finalement foie.

Les Romains portent cette technique jusque chez nous en Gascogne. De là, des Juifs se déplacent vers le centre de l’Europe. Or, ils n’ont pas le droit d’utiliser du beurre avec la viande et ils ne trouvent pas d’huile dans ces régions, alors ils vont utiliser le gavage afin d’obtenir de la graisse d’oie. Ainsi, ils l’installent en Alsace, en Hongrie et en Bulgarie.

Recettes de figues

El llibre del coch
Llibre de doctrina per a ben servir, de tallar y del art de coch cs (ço es) de qualsevol manera, potatges y salses compost per lo diligent mestre Robert coch del Serenissimo senyor Don Ferrando Rey de Napols

Si les figues sont surtout mangées sèches, nos aïeux ne dédaignent pas de les cuisiner.  Et nous en trouvons trace dans le Llibre del Coch (Livre du cuisinier), premier livre de cuisine catalane, écrit vers 1490 par Robert de Nola, maitre queux de l’Aragonais Ferdinand 1er, roi de Naples.

Mestre Robert nous propose une bonne recette de préparation à partir de figues sèches.

Les figues seques pendras mes melades que pugues hauer negres e blanques e leuals lo capoll e apres rentales ab bon vin blanch que sia dolç: e quant sien netes pren vna panedera de terra e met les dins menant les vn poch: e apres posa aquella panadera sobre vnes brases e tapa les be de manera que se stufen alli e quant seran estufades ese hauran beguda la vapor menales vn poch e met hi salsa fina damunt e tornales amenar de manera que encorpora aquella salsa: e apres menja ton potatge eveuras gentil cosa e mengen se entrant de taula.

Les figues sèches, tu prendras aussi miellées que tu pourras, noires et blanches ; enlève la peau ; après rince-les avec du bon vin blanc qui doit être doux et quand elles sont propres, prends une casserole en terre et mets-les dedans, tout en les remuant un peu ; ensuite, pose la casserole sur des braises et couvrez-les pour qu’elles réduisent et quand elles sont réduites et qu’elles ont bu la vapeur, remue-les un peu et verse dessus une sauce fine ; remue-les à nouveau pour qu’elles incorporent cette sauce : et puis mange le potage ; jamais ne mange cette chose délicate en te mettant à table.

Depuis, la créativité contemporaine mêle la figue à la volaille et propose par exemple du poulet sur des feuilles de figuier ou du confit de figues. Sans oublie les savoureux desserts et les confitures.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Vousvoyezletopo, Du figuier, 2019
L’Amelier, Ydille du figuier et de son abeille
Secrets de jardin, le figuier
Recette du Llibre del coch, Roberto de Nola, 1520
Le foie gras, c’est toute une histoire




Jacques Laffitte, un destin peu commun

Les Mansonniens (habitants de Maisons-Laffitte) doivent le nom de leur commune à Jacques Laffitte, banquier et homme politique français qui a pris une part importante dans la Révolution de 1830. Ce que l’on sait moins, c’est que Jacques Laffitte est un Gascon de Baiona (Bayonne).

A 21 ans, Jacques Laffitte quitte le pays

Jacques Laffitte
Jacques Laffitte (1767-1844) © Wikimedia

Jacques Laffitte (1767-1844) nait à Bayonne. Son père Pierre est maitre charpentier. Sa mère s’appelle Etiennette Rogère. La famille est modeste et nombreuse (10 enfants). Jacques fait peu d’études et devient apprenti charpentier chez son père, puis clerc chez un notaire et enfin commis chez un négociant.

En 1788, il a 21 ans. Le voilà qui « monte à Paris » muni d’une lettre de recommandation de son patron pour solliciter un emploi de commis dans les bureaux de la banque Perregaux. Rapidement, il gravit tous les échelons jusqu’à devenir associé de la banque qui s’appelle désormais Perregaux Laffitte et Cie.

De la charpente à la banque

Cependant, en janvier 1800, Napoléon Bonaparte crée la Banque de France sur la proposition de Jean-Frédéric Perregaux. Celui-ci en est le régent (administrateur) et installe son siège dans l’hôtel de Toulouse, rue de la Vrillière, en plein cœur de Paris. À sa mort, en 1808, c’est Jacques Laffitte qui prend cette fonction. Et il la gardera jusqu’en 1821.

En même temps, il devient juge au Tribunal de commerce de la Seine et Président de la Chambre de commerce. Napoléon lui aurait dit : « Je vous connais Monsieur Laffitte, je sais que vous n’aimez pas mon gouvernement, mais je vous tiens pour un honnête homme ».

En tous cas, à la chute de l’Empire, il est nommé Gouverneur de la Banque de France. Il souscrit sur ses fonds personnels une somme couvrant la contribution de guerre exigée par les Alliés. Après Waterloo, il s’oppose à ce que la Banque de France paie les arriérés de solde des soldats de l’Armée impériale et avance la somme nécessaire sur ses fonds propres. De plus, il avance la nouvelle contribution de guerre exigée par la Prusse. Et il évite une crise financière en achetant sur ses fonds des rentes qu’il paye.

En fait, Jacques Laffitte a une fortune considérable. D’ailleurs, il achète le château de Maisons (futur Maisons-Laffitte), le château de Meudon, le château de Breteuil-sur-Iton et un hôtel particulier à Paris.

De la banque à la politique

L’homme est très actif. Le 8 mai 1815, Jacques Laffitte est élu représentant du commerce à la Chambre. Puis réélu député de la Seine en 1816. Et il se spécialise dans les affaires financières. Sans oublier son pays, en 1827, il devient député de la circonscription de Bayonne.

Il prend une part active aux émeutes de 1830. Il transforme son hôtel particulier en quartier général de l’insurrection. Là, les députés constituent une commission municipale.

Les artisans de la victoire de Louis-Philippe en 1830 de gauche à droite. Jacques LAFITTE, Casimir, Périer, Général de La Fayette, Comte Gérard
Les artisans de la victoire de Louis-Philippe en 1830 de gauche à droite, Jacques Laffitte, Casimir Périer, Général de La Fayette, Comte Gérard © Wikimedia

Gérard - Lecture à l'hôtel de ville de la proclamation des Députés (31 juillet 1830).
Gérard – Lecture à l’hôtel de ville de la proclamation des Députés (31 juillet 1830) © Wikimedia

Ainsi, il est l’un des principaux artisans de la proclamation de Louis-Philippe, surnommé roi des Français (et non roi de France). Le 9 aout, il préside la Chambre devant laquelle Louis-Philippe prête serment. Alors, Jacques Laffitte est nommé Président du Conseil et forme le Gouvernement. Il est en même temps ministre des finances.

Mais, le climat politique est tendu. Le procès des ministres de Charles X provoque une émeute. Plusieurs lois sont décidées sans son accord : loi conférant au roi la nomination des municipalités, loi sur la presse, etc.

Perfidement, le roi lui dit : « Il n’y a qu’une chose impossible entre nous, c’est que nous ne soyons pas toujours ensemble ». Pourtant, en coulisses, il cherche à se débarrasser de Jacques Laffitte. L’intervention de l’Autriche en Italie lui en fournit l’occasion. Le roi interdit d’informer Jacques Laffitte de l’intervention militaire. Et celui-ci l’apprend en lisant le journal ! Jacques Laffitte présente en Conseil des ministres son plan d’intervention pour aider les insurgés italiens mais il est repoussé. Le roi a bien préparé le terrain. Aussi, Jacques Laffitte démissionne le 13 mars 1831.

Déçu, Jacques Laffitte retourne à la Chambre des Députés et devient un farouche opposant à la Monarchie de Juillet et à Louis-Philippe.

De la gloire à la ruine

Louis-Philippe observant la faillite de son ami Jacques Laffitte
Louis-Philippe observant la faillite de son « ami » Jacques Laffitte © Wikimedia

La politique entraine des dépenses importantes. De plus, sa banque prête à des industriels qui font faillite et qui ne remboursent pas. La situation devient critique. Il vend la forêt de Breteuil.

Lorsqu’il quitte le gouvernement, Jacques Laffitte est quasiment ruiné. Il doit liquider sa banque en 1831. Ses adversaires politiques l’appellent « Jacques La Faillite ».

Affiche pour le lotissement du parc du château de Maisons-Laffitte
Affiche pour le lotissement du parc du château de Maisons-Laffitte © Wikimedia

De fait, Jacques Laffitte vend son hôtel particulier de Paris et une partie de son domaine de Maisons. Toutefois, il garde le sens des affaires : sur le modèle des lotissements paysagers anglais, il crée une ville composée de maisons de campagne que les parisiens fortunés s’arrachent. Jacques Laffitte crée aussi les premières courses de chevaux. Et la ville de Maisons-sur-Seine prend le nom de Maisons-Laffitte en 1822.

Sa liquidation est terminée en 1836. Il fonde la Caisse Générale du Commerce et de l’Industrie, banque d’affaires destinée à financer les entreprises industrielles. Il en confie la direction à son frère Martin qui a fait carrière comme armateur à Rouen. La banque disparaitra à la mort de Jacques Laffitte. Plus de 20 000 personnes assistent à ses obsèques. Il repose au cimetière du Père Lachaise.

La famille de Jacques Laffitte

Sépulture de Jacques Laffitte au Père Lachaise
Sépulture de Jacques Laffitte au Cimetière du Père Lachaise © Wikimedia

Jacques Lafitte se marie en 1801 avec Marine Françoise Laeut, fille d’un négociant et capitaine de navire. Il a une fille unique qu’il marie à Joseph-Napoléon Ney, le fils du Maréchal Ney.

Un contemporain parisien, Charles comte de Rémusat dira de Jacques Laffitte : « S’il rappelle Necker par sa formation, son optimisme inébranlable et son ivresse de la popularité, Laffitte n’en a pas le recul et l’intelligence ».

Un long poème de dix pages, publié en 1845 sur la vie de Jacques Laffitte portera ces vers :
Pleurez, pleurez, vous tous, vous qui, dans la misère,
Avez reçu les dons de sa main tutélaire.
Pleure, pauvre peuple, maudis les coups du sort,
Tu as perdu ton père, Jacques Laffitte est mort ! 

Références

Wikipédia.
18 janvier 1800, naissance de la Banque de France, André Larané, 2020.
Napoléon.org, Laffitte Jacques, Marc Allégret, 2002.
Jacques Laffitte, poème de P.M. André, 1845. www.gallica.fr




Armand Fallières

Armand Fallières (1841-1931) est un Gascon originaire du Lot et Garonne. Il est le seul Gascon devenu Président de la République française, de 1906 à 1913.

Une carrière de notable de province qui entre au Gouvernement

Armand Fallières (1841 - 1931) alors parlementaire
Armand Fallières alors parlementaire (1876-1899)

Armand Fallières nait le 6 novembre 1841 à Mézin dans le Lot-et-Garonne. Son grand-père est forgeron, son père est géomètre-arpenteur. Après le collège à Mezin, son père l’envoie à Angoulême pour perdre son accent gascon. Il n’y arrivera pas. Puis, il fait des études de droit à Toulouse et à Paris et devient avocat à Mézin en 1867. En particulier, il défend un groupe de jeunes gens qui ont chanté La Marseillaise au passage d’une procession.

En 1868, il épouse Jeanne Bresson avec qui il a une fille Anne-Marie et un fils André qui suivra la carrière son père. André sera chef de cabinet de son père au Sénat de 1899 à 1906, puis conseiller à l’Elysée de 1906 à 1913) Puis, il deviendra ministre du travail de 1926 à 1928 dans le cabinet de Raymond Poincaré.

Madame Fallières en 1908
Madame Fallières en 1908

Attiré par la politique, Armand Fallières entre au conseil municipal de Nérac en 1868 et en devient maire en 1871. Alors, il rétablit l’école primaire supérieure à Nérac et instaure la gratuité des cours. Puis, il entre au Conseil général du Lot et Garonne et en devient Président en 1874. Il est à l’origine de la construction de la voie ferrée Nérac-Mézin-Mont de Marsan pour désenclaver le Lot et Garonne. Il devient Député en 1876.

 

Armand Fallières entre au Gouvernement

Armand Fallières alors Président du Sénat
Armand Fallières alors Président du Sénat (1899-1906)

Le Gascon monte à Paris. Il est Secrétaire d’État à l’Intérieur (1880-1881), Ministre de l’Intérieur (6 mois en 1882), Président du Conseil (2 mois en 1883), puis successivement Ministre de l’Intérieur (6 mois en 1887), de la Justice (1887-1888), de l’Instruction publique (1889-1890) et de la Justice (18830-1892). C’est « la valse des portefeuilles » !

Il est le promoteur de la loi de réconciliation nationale de 1881 qui réhabilite les insurgés du coup d’état de 1851. Dans l’arrondissement de Nérac, 205 pensions sont accordées.

En 1892, Armand Fallières devient Sénateur du Lot et Garonne. Puis, il est élu Président du Sénat en 1899 en remplacement d’Emile Loubet élu Président de la République. Il préside la Haute Cour de Justice qui juge les coupables d’une tentative de coup d’État lors des obsèques du Président Félix Faure.

Mais la droite nationaliste s’agite. Pendant huit jours, Paris connait des manifestations et des heurts avec la police. On s’attend à un coup de force sur l’Elysée. Le 23 février, lors des obsèques, Paul Déroulède tente d‘entrainer dans cette tentative de coup d’état le général Roget qui rentre avec sa troupe à la caserne de Reuilly. Le coup d’état échoue et Paul Déroulède est jugé devant la haute Cour de Justice. Il est acquitté.

Armand Fallières est élu Président de la République

Armand Fallières élu président de la Répblique en 1906 (carte postale)
Armand Fallières élu président de la République en 1906 (carte postale)

Le 17 janvier 1906, Armand Fallières succède à Emile Loubet en tant que Président de la République. Notons qu’il lui avait déjà succédé en tant que Président du Sénat.

Sous la IIIe République, le Président de la République n’a pas de rôle politique influent. Toutefois, Armand Fallières veut rapprocher la fonction présidentielle des Français. D’ailleurs, il devient très populaire et on le surnomme « le père Fallières ».

Il voyage beaucoup en province. Pour cela, il remplace les calèches officielles par les automobiles. Son premier voyage officiel est pour sa terre natale : la Gascogne (Agen, Allemans du Dropt, Marmande, Villeneuve sur Lot). Les photos de ce voyage sont à disposition sur le site des Archives départementales du Lot et Garonne.

Les actions d’Armand Fallières

Narbonne, charge de la cavalerie sur les viticulteurs les 19 et 20 juin 1907
Narbonne, charge de la cavalerie sur les viticulteurs les 19 et 20 juin 1907

Armand Fallières est contre la peine de mort et gracie les condamnés. En 1908, la Chambre des députés examine un projet de loi d’abolition de la peine de mort. Mais, le projet de loi n’obtient pas de majorité.

De nombreuses réformes marquent la présidence d’Armand Fallières dont la création de l’impôt sur le revenu en 1907 en remplacement des contributions directes. La même année, Georges Clémenceau, alors président du Conseil,  fait face à de nombreuses grèves et réprime la révolte des vignerons du Midi. Armand Fallières définit en 1909 les trois zones de production de l’Armagnac (Bas-Armagnac, Haut-Armagnac, Ténarèze).

Les relations internationales se tendent. Face à la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie), Armand Fallières voyage beaucoup en Europe pour renforcer la Triple Entente (France, Russie, Royaume-Uni).

Le Château de Loupillon
Le Château de Loupillon à Villeneuve de Mézin (Lot-et-Garonne)

Le mandat de Président de la République d’Armand Fallières se termine en 1913. Il ne se représente pas en disant : « la place n’est pas mauvaise, mais il n’y a pas d’avancement ». Et il se retire dans sa propriété de Loupillon, près de Mézin. Pendant la guerre, il la transforme en hôpital et il y meurt le 22 juin 1931.

 

Un Président caricaturé

Fallières (Petit Parisien illustré, 1909)
Agression contre Fallières (Petit Parisien illustré, 1909)

La mode est à la caricature politique. Parfois féroce. Armand Fallières est sans doute une cible de choix.

Il faut dire que dès son arrivée à la présidence, il a mis fin à l’affaire Dreyfus. Ses ennemis sont nombreux. Son embonpoint et sa bonhommie s’y prêtent. Ne parlons pas de son accent !

Lors d’une promenade sur les Champs-Elysées, Jean Mattis, garçon de café et membre de l’Action Française, se jette sur Armand Fallières et lui tire la barbe. Il explique son geste à la police : « Je suis Jean Mattis, 34 ans, garçon de café. Je suis très content de ce que j’ai fait ; je voulais donner une leçon au chef de l’Etat qui se moque du monde. Je suis inspiré par Dieu et mon geste est destiné à dénoncer ses alliances scandaleuses avec les Francs-Maçons ».

Toute la presse s’en émeut. Les ambassadeurs font part de leur soutien à Armand Fallières. L’ambassadeur allemand s’indigne de l’attentat et envoie un message de sympathie très appuyé qui fait dire au chef de cabinet d’Armand Fallières : « Encore une agression comme cela et ils sont capables de nous rendre l’Alsace et la Lorraine, rien que pour nous consoler ! ».

M. Fallières déménage !
M. Fallières déménage !

Le mouvement de l’Action Française vend même un jouet articulé. Par un ingénieux jeu de ficelles, on peut tirer la barbe d’Armand Fallières. Le jouet est interdit à la vente et les revendeurs sont inculpés d’outrage à un magistrat de l’ordre administratif. En tout cas, l’affaire est suffisamment prise au sérieux pour que soit renforcée la protection des ministres et la garde doublée aux Assemblées.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia
Archives du Lot et Garonne : Armand Fallières
Abolition de la peine de mort. Le débat de 1908 à la Chambre des députés
Armand Fallières: 1841-1931 : de Mézin à l’Elysée, documents réunis et présentés par S. Baumont, S. Caillaouze et P. Polivka,  Service éducatif des Archives départementales de Lot-et-Garonne, 1986




Paul Lacôme, musicien gascon

Paul Lacôme est un grand musicien et compositeur du XIXe siècle. Il compose plus de 200 œuvres, dont une vingtaine d’opéras comiques, d’opéras bouffe et d’opérettes. S’il mène une brillante carrière à Paris et à l’international, il n’oublie pas sa Gascogne natale.

Paul-Jean-Jacques Lacôme d’Estalenx

Paul Lacôme  cliché Nadar — Bibliothèque nationale de France
Paul Lacôme (1838 – 1920) – Cliché Nadar — BNF

Plus connu sous le nom de Paul Lacôme, il nait en 1838 au Houga dans l’Armagnac Noir.

Très tôt, il baigne dans la musique. Sa mère, Clémentine d’Estalenx, est la petite-fille d’Angélique Bouillon (1733-1814) qui dirigeait la musique de la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV. Angélique avait épousé Jean-François d’Estalenx et eut un fils unique, Jean-Jacques, le grand-père de Paul Lacôme, qui revint au Houga en 1779. Et il en fut le maire de 1804 à 1830.

Son père, Auguste Lacôme, est musicien amateur et lui apprend quelques principes d’art musical. D’ailleurs, à 14 ans, le jeune Paul a déjà écrit un opéra.

Malheureusement, les parents de Paul Lacôme décèdent. Alors, sa tante, Elvire d’Estalenx, célibataire et sans enfant, s’en occupe ; elle l’adoptera en 1870. Elle est passionnée d’art, de poésie, de théâtre et de musique.

Côté études, Paul Lacôme est interne au collège d’Aire sur l’Adour. Là, il compose des morceaux pour la fanfare du collège et il en prend la direction. Il prend des cours de musique auprès de José Puig i Alsubide, un Catalan organiste de la cathédrale d’Aire. Ce sera son seul professeur.

En 1863, la revue illustrée Le Musée des familles organise un concours de composition d’un opéra bouffe en un acte. Paul Lacôme remporte le 1er prix. Alors, il part à Paris où son œuvre doit être jouée. Mais elle est déprogrammée au dernier moment. C’est une grande déception.

Une brillante carrière à Paris

Paul Lacôme - Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons
Paul Lacôme – Partition de Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons

En 1866, il repart pour Paris. Son succès est rapide. Ainsi, ses œuvres sont jouées à l’Opéra-Comique et aux Bouffes-Parisiens. Cela lui permet de côtoyer Jules Massenet, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Léo Delibes, etc. Paul Lacôme est curieux et ouvert ; il recueille deux chants d’Espagnols venus se louer au Houga pour les travaux des champs. Et il les donne à Guiseppe Verdi qui les insère dans son opéra Don Carlos.

À partir de 1872, ses pièces sont jouées dans divers théâtres. En 1873, il entre aux Bouffes-Parisiens avec Le Mouton enragé puis La Dot mal placée qui fait plus de 100 représentations. En 1874, il joue l’Amphytrion à l’Opéra-Comique.

De même, en 1876, Jeanne, Jeanette et Janneton remporte un immense succès aux Folies-Dramatiques. La carrière de Paul Lacôme est définitivement  lancée. De plus, ses œuvres sont éditées par une société d’édition musicale fondée par Wilhelm Enoch et Georges Costallat, originaire de Bagnères de Bigorre. Leur collaboration dure 40 ans.

Paul Lacôme écrit des opéras comiques à succès, comme Le Beau Nicolas en 1880, La Gardeuse d’oies en 1888, Le Maréchal Chaudron en 1898. Il écrit aussi des opérettes : La Fille de l’air en 1890, Les Quatre filles Aymon en 1898.

Le public d’aujourd’hui connait peu ses œuvres mais on continue à les jouer dans tous les pays. Son œuvre la plus connue est L’Estudiantine. Elle a été reprise dans la bande originale du film Titanic. D’ailleurs, de nombreuses formations musicales ont pris ce nom : Anglet, Ciboure, Bayonne, Saint Jean de Luz, Saint-Juéry, Ajaccio, Roanne, etc.

Musique Originale du film Titanic d’après l’Estudiantina de Paul Lacôme

 

L’ami Emmanuel Chabrier et l’Espagne

Emmanuel Chabrier (1841-1894)
Emmanuel Chabrier (1841-1894) © Wikimedia Commons

Paul Lacôme donne des conférences. Il est aussi critique musical dans 25 revues. Grand ami d’Emmanuel Chabrier, il voyage souvent en Espagne et introduit en France la vogue de la musique espagnole. D’ailleurs, il écrira lui-même quelques pièces sur des musiques espagnoles.

Adolphe Desbarolles (1801-1866), qui remet à l’honneur la chiromancie lui prédit : « Vous feriez une magnifique carrière si vous n’aimiez pas tant votre pays natal ». Il est vrai que Paul Lacôme partage sa vie entre Paris et Le Houga.

 

Paul Lacôme n’oublie pas sa Gascogne natale

Le Houga - Église Saint-Aubin
Le Houga – Église Saint-Aubin © Wikimedia Commons

En 1882, Paul épouse Gabrielle du Lau-Lusignan de Laujuzan, commune proche du Houga. Ils ont deux fils dont l’un disparait au Chemin des Dames en 1917. Son dernier fils dépouille les mémoires et la correspondance de Paul Lacôme et écrit La vie sincère de Paul Lacome d’Estalenx publiée en 1941.

Sa femme continue l’exploitation de la propriété familiale. Et Paul Lacôme rentre souvent au Houga. D’ailleurs, il y tient l’orgue. La Messe de Noël est un spectacle qui attire la foule. Il écrit plusieurs cantiques et chants de Noël.

Dans Le Courrier de l’art du 23 novembre 1882, Octave Fouquet écrit : Volontiers le maestro du Houga parle de la vigne paternelle, des métairies où s’élève le bétail, des poulets qu’il nourrit et qui le lui rendent. Pour un peu il signerait, non pas vigneron, comme Paul-Louis, mais viticulteur, appellation plus noble et de formation savante, latine, méridionale. Pour tout dire d’un mot, M. Lacome, dès son début dans la vie, a su prendre une attitude, et cela lui a réussi. Voilà au moins quinze ans que son nom et sa personne sont célèbres dans le quartier de la nouvelle Athènes, où cependant il n’a jamais passé plus de cinq mois par an. Au commencement de juin, aussi invariable que le soleil, Lacôme quittait Paris pour aller se livrer aux soins que réclame la culture de la vigne. Il ne revenait que les vendanges faites et sa récolte vendue.

Paul Lacome seul, avec son professeur et caricatureDe gauche à droite :
Portrait de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Caricature de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Paul Lacôme et son professeur José Puig i Alsubide – © Alix de Selva

Le Gascon rentre en Gascogne

En 1900 – il a 62 ans – Paul Lacôme décide de rentrer définitivement au Houga. Là, il écrit une Fantaisie pour violon en hommage au poète d’Agen Jansemin (Jasmin, 1798-1864).

Deux ans après, il fonde l’école de musique de Mont-de-Marsan qu’il dirige pendant 10 ans. C’est maintenant le Conservatoire départemental de musique.

Parallèlement, il obtient des subventions pour sa commune et les communes voisines pour entretenir le patrimoine. Nombre d’églises du secteur lui doivent leur restauration. Et il s’occupe de faire installer le télégraphe au Houga, un bureau de poste, etc.

Il meurt en 1920 à la suite d’un accident de voiture à cheval. Il a 82 ans. Le Journal des débats politiques et littéraires du 9 janvier 1921 lui rend un vibrant hommage : Bref, celui qui vient de disparaitre fut un artiste doué d’une grande facilité, mais qui ne s’y abandonnait pas ; qui sut, dans un genre où il n’est que trop facile de s’abaisser, garder toujours une tenue, une distinction rares et, vraiment, si l’on s’avisait un jour d’écrire l’histoire de la musique légère au théâtre (mais qui donc s’en soucie aujourd’hui?), il serait souverainement injuste de n’y pas classer en bon rang l’auteur de Jeanne, Jeanette et Janneton.

Le souvenir d’un grand compositeur

De nombreuses personnalités sont présentes à l’inauguration d’une stèle au Houga en 1924. Joseph de Pesquidoux y prononce un discours : « … Ce monument est ici, et pour cet homme, est à sa place. Paul Lacôme d’Estalenx a rayonné par l’art, par la pensée, par le cœur… ». On chante la messe avec les airs composés par Paul Lacôme. Puis on joue son opéra-comique Ma mie Rosette devant 5 000 personnes. Filadèlfa de Gèrda (Philadelphe de Gerde) déclame des vers en gascon. Suivent des danses gasconnes et un défilé avec concours de costumes d’Armagnac et de Bigorre.

La maison natale de Paul Lacôme devient Monument Historique. Une association perpétue son souvenir.

De gauche à droite :
Joseph de Pesquidoux © Wikimedia Commons
Stèle en hommage à Paul Lacôme au Houga © Wikimedia Commons
Filadèlfe de Gèrda © Wikimedia Commons

Références

Œuvres musicales de Paul Lacôme, Gallica
La vie sincère de Paul Lacôme, Bulletin de Société archéologique du Gers, 1941
Le Houga: Paul Lacome d’Estalenx est mort il y a 100 ans, La Depèche, 16 janvier 2022
Hommage au compositeur Paul Lacome d’Estalenx, grand homme du Houga, Le Journal du Gers, 23 octobre 2022




Montréjeau et ses trésors

En traversant une ville, on voit l’église, la place centrale, et si on a un peu de temps, l’office de tourisme et quelques commerces. Pourtant, beaucoup d’entre elles ont des trésors cachés. Et c’est bien le cas de Montréjeau.

Montréjeau, bastide royale

Mont reiau [Montréjeau] signifie Mont royal. C’est une bastide fondée en 1272, en paréage entre Eustache de Beaumarchès, sénéchal du roi de France à Toulouse, et Arnaud d’Espagne-Montespan.

Comme souvent, l’affaire est profitable aux deux parties. Car, ainsi, le roi s’implante en Comminges, au milieu des possessions des Foix-Béarn en Nebouzan – Cela lui permet de surveiller ces remuants seigneurs. Et, d’autre part, Arnaud d’Espagne-Montespan obtient une étape sûre entre ses deux domaines de Montespan et de la vallée du Louron.

De plus, la bastide de Mont reiau est une réussite. En effet, trente ans après sa fondation, elle est entourée d’un rempart et est entièrement peuplée.

Montréjeau - la place centrale de la bastide
Montréjeau – la place centrale de la bastide et ses arcades

Bien sûr, les fondateurs la dotent de coutumes octroyées aux habitants, qui seront réécrites en 1435 (elles contiennent 228 articles) et en 1619.

Montréjeau - Pont sur la Garonne
Montréjeau – Pont sur la Garonne

Mont reiau tient un marché hebdomadaire. Et elle tient aussi deux foires annuelles à la Trinité et à la Saint-Barthélemy. Par ailleurs, la construction du pont sur la Garonne au XIVe siècle assure le succès de ses foires. Plus tard, Henri IV (1553-1610) lui en concède deux nouvelles à la Saint Mathias et à la Saint-André.

C’est aussi le siège de la judicature de la jugerie de Rivière. Ainsi, les professions de loi y prospèrent.

Mais, Mont reiau subit les affres des guerres de religion, sert de garnison lors des guerres avec l’Espagne. Et elle est le théâtre de la bataille de Montréjeau qui met fin aux espoirs royalistes en 1799.

La place Bertrand Larade

Il n’est pas habituel de voir une place porter le nom d’un grand poète gascon du XVIIe siècle.

En effet, Bertrand Larade (1581-1635 ?) est né à Montréjeau. Issu d’une famille de notables, il étudie le droit à Toulouse avant de se consacrer entièrement à la poésie. Il devient l’ami de Goudouli, grand poète toulousain. De plus, Bertrand Larade reçoit un prix aux Jeux Floraux en 1610, puis, il abandonne le français pour ne plus écrire qu’en gascon.

La Margalide gascoue

Sa Margalide gascoue, éditée en 1604 – il a 22 ans–, contient 96 sonnets dont le sonnet XXXVII sur Montréjeau, lieu de résidence de son amour :

Chant Royal - B Larade - la Margalide Gascoue (1604)
B Larade – La Margalide Gascoue (1604)

Mourejau ey lou loc de ma neichense,
Mourejau ey lo loc de la beutat,
Doun trop jouen jou’m trobey amatat,
Et force’m houc de’u da m’aubesience.

En Mourejau be he sa residence,
En exerçan sur my sa crusautat,
Et sa berou m’a tan plan tormentat,
Que cauque cop perde’m he paciense.

Et nou i a arrenc com noste Mourejau,
De y demoura lou bet loc be s’ac bau:
Courren aupres la Garona, et la Neste: 

Lou Roussinon nou pousque aillous boula
Qu’a Mourejau que d’et hé tant parla,
Per ma Margot suber toutes auneste.

Montréjeau est le lieu de ma naissance,
Montréjeau est le lieu de la beauté,
Par quoi trop jeune je me suis trouvé anéanti,
Et à qui force m’a été de faire obéissance.

À Montréjeau, elle a sa résidence,
En exerçant sur moi sa cruauté,
Et sa fureur, elle m’a si bien tourmenté
Que quelquefois elle me fait perdre patience.

Et il n’y a rien comme notre Montréjeau,
Il vaut la peine de résider en ce beau lieu :
Auprès duquel courent la Garonne et la Neste :

Le rossignol ne pourrait voler ailleurs
Qu’à Montréjeau qui fait tant parler de soi,
Grâce à ma Margot sur toutes les autres honnête.

L’hôtel de Lassus à Montréjeau

Montréjeau - Hôtel de Lassus
Hôtel de Lassus

Le XVIIe siècle est aussi celui de l’émergence de la famille de Lassus, l’une des plus importantes de Montréjeau.

Marc-François de Lassus (1692-1780) est, comme son père, subdélégué de l’Intendant d’Auch et Contrôleur général des Marbres du Roi. En 1760, il fait construire un magnifique hôtel particulier en pierre de Gourdan.

La famille de Lassus donnera un conseiller au Parlement de Toulouse, guillotiné à Paris sous le nom de M. de Nestier, un maire de Montréjeau, un conseiller général, un député, un célèbre pyrénéiste ami d’Henry Russel et deux présidents de la Société d’Etudes du Comminges. En sus, en 1865, les de Lassus sont faits barons héréditaires.

À l’initiative du Maréchal Foch, l’hôtel de Lassus abrite le séminaire de Montréjeau de 1929 à 1970. Aujourd’hui, il accueille des services de la communauté de communes, dont l’office de tourisme. Et, il est inscrit au titre des Monuments Historiques en 2005.

Le château de Valmirande

Le comte Henry Russell et le Baron de Lassus en 1894
Le comte Henry Russell et le Baron de Lassus en 1894

Bertrand de Lassus (1868-1909) fait construire le château de Valmirande, à l’imitation des châteaux Renaissance de la Loire. Les travaux durent de 1893 à 1899.

On remarque la propriété de 41 hectares, clôturée par un mur qu’on longe, à la sortie de Montréjeau, en prenant à la route de Lannemezan et de Tarbes.

C’est l’architecte bordelais Louis Garros qui construit le château. Denis et Eugène Bühler, concepteurs du parc de la Tête d’Or à Lyon et du parc Borelli à Marseille, se chargent du parc, qui contient plus de 180 espèces d’arbres et d’arbustes. Plus tard, en 1912, Édouard-François André, le concepteur des parcs de Monte-Carlo, dessine deux parterres à la française supplémentaires.

Une tour d’aspect médiéval abrite un calorifère à vapeur pour chauffer le château.

Des dépendances en style montagnard abritent une des plus belles écuries de France. De plus, une tour du bâtiment rappelle le clocher de l’église de Saint-Bertrand de Comminges que l’on voit depuis Valmirande. D’ailleurs, on raconte que Bertrand de Lassus communiquait à vue avec le curé de Saint-Bertrand. En tous cas, la vue est bien dégagée entre les deux lieux.

Dès 1899, le château de Valmirande est occupé. Et l’hôtel de Lassus situé dans Montréjeau est vendu.

Il est classé en 1976, le parc en 1979 et les dépendances en 1992. Le château habité n’est pas visitable, sauf la chapelle. Le parc et les dépendances font l’objet de visites guidées.

Montréjeau - Château de Valmirande
Montréjeau – Château de Valmirande

Références

Bertrand Larrade – La Margalida gascoue et Meslanges (1604), édition critique de Jean-François Courouau.
Notre histoire, mairie de Montréjeau
Les statuts et coutumes de la ville de Montréjeau, baron de Lassus,  1896
Le château de Valmirande, mairie de Montréjeau




Marie, Simone et les autres… en politique

Puisque le 8 mars est la journée international de la femme, n’est-ce pas une bonne occasion de regarder la place des femmes en politique dans la Gascogne d’aujourd’hui ?

Le rôle des femmes dans l’histoire politique

Jeanne d'Albret, femme en politique
Jeanne d’Albret (1528-1572)

Les femmes tiennent surtout des rôles d’influence politique dans les temps anciens, sauf quelques cas où elles exercent directement le pouvoir : régence, remplacement des maris en guerre ou les abbesses. Toutefois, certaines sont restées dans les mémoires pour leur rôle plus ou moins choisi mais déterminant, comme Aliénor d’Aquitaine (ca 1122-1204), Pétronille de Bigorre (ca 1194 – 1251) ou Jeanne d’Albret (1528 – 1572) pour ne citer qu’elles.

Plus tard, les femmes réclament une place plus égalitaire. Ainsi,  la Constitution de Pascal Paoli accorde le droit de vote aux femmes en Corse en 1755. Droit qu’elles perdront avec l’annexion de l’île à la France en 1768.

Olympe de Gouges , femme en politique prône l'entrée des femmes dans la Révolution
Marie-Olympe de Gouges (1748-1793)

Néanmoins, la Révolution française accorde le droit de vote aux hommes qui paient un minimum d’impôt. Aussitôt, des femmes se réunissent pour revendiquer l’égalité des droits comme la Paloise Pauline Siro ou la Montalbanaise Olympe de Gouges.

Les choses vont évoluer dans le monde, un siècle plus tard : les habitantes du Wyoming obtiennent le droit de vote en 1869, les Néo-Zélandaises en 1893 (y compris les maories), les Australiennes en 1902, les Finlandaises en 1906, les Norvégiennes en 1913, les Belges en 1920, les Britanniques en 1928. Même le pape Benoit XV se prononce le 15 juillet 1919 en faveur du droit de vote des femmes.

En France, pays de la Liberté, l’Égalité et la Fraternité, il faut attendre le général de Gaulle qui accorde ce droit par l’ordonnance du 21 avril 1944.

L’accès à l’administration locale

Jeanne Macherez (1852-1930) - portrait de 1914
Jeanne Macherez (1852-1930), portrait de 1914

Ainsi, en France, les femmes accèdent tardivement aux postes de l’administration locale. En 1914, Jeanne Macherez (1852-1930) s’auto-proclame avec courage mairesse de Soissons pour protéger la ville des Allemands.

En mai 1925, le Parti Communiste Français présente des femmes sur ses listes. Sept seront élues conseillères municipales, dont la Bretonne Joséphine Pencalet (1886-1972). Mais le Conseil d’État invalide ces élections six mois plus tard car les femmes ne sont en droit ni électrices ni éligibles.

 

 

Portrait de Joséphine Pencalet (1886 - 1972) vers 1906
Portrait de Joséphine Pencalet (1886-1972), vers 1906

Comme le droit de vote et d’éligibilité des femmes est légalisé en 1944, dès les élections municipales de mai 1945, les premières femmes prennent des postes de mairesse. Peut-être dix-sept femmes dont Odette Roux (Sables d’Olonne), Pierrette Petitot (Villetaneuse, Seine Saint-Denis), ou Suzanne Ploux (Saint-Ségal, Finistère) ou Marie Giraud (Marcols-les-Eaux, Ardèche). Aucune en Gascogne.

Toutefois, on peut illustrer l’action politique des femmes et leur entrée dans l’administration politique par deux exemples pris dans le Gers ou limitrophe : Marie Poirée et Simone d’Artensac.

Marie Poirée, militante républicaine

Marie Poirée nait en 1848 à La Montjòla [Lamontjoie] dans une famille aisée de propriétaires terriens (dont la propriété s’étend sur Lamontjoie en Lot-et-Garonne et Pergain-Taillac dans le Gers).  Elle s’engage très vite dans le débat politique. Ainsi, elle fait campagne dans toutes les élections. En particulier, sa véhémence est remarquée lorsque le maréchal de Mac-Mahon dissout la Chambre. Cela lui vaut de comparaitre au tribunal de Lectoure pour incitation à la haine. Dans la rue, elle reçoit la sympathie et les compliments des républicains.

À Paris où elle se rend régulièrement, elle rencontre différentes personnalités dont Armand Fallières (1841-1931) originaire de Mesin [Mézin] (à 27 km de Lamontjoie) et Jules Ferry (1832-1895) sur lesquels elle s’appuiera pour ses actions.

Deux actions majeures

Armand Fallières (1841 - 1931) alors parlementaire
Armand Fallières alors parlementaire (1841 – 1931)

En particulier, elle s’engage en faveur de l’école publique et multiplie les démarches auprès d’Armand Fallières, alors au gouvernement, afin d’obtenir une école à Lamontjoie. C’est chose faite en 1882. Et Jules Ferry lui-même vient inaugurer l’école. École gratuite, avec instruction obligatoire et un enseignement public conformément aux lois Ferry. Marie fournit le mobilier.

Bien sûr, Marie Poirée est hostile à l’Église et à l’école religieuse. D’ailleurs, elle déclare le 13 novembre 1882 : un couvent chez nous, c’est un brandon de discorde et un foyer d’abêtissement.

Le second grand axe de lutte de Marie Poirée, c’est ce qu’on pourrait appeler le féminisme ou, plus simplement, la lutte pour l’émancipation des femmes et leur place dans la société française.

Marie Poirée quitte la scène politique

Tombe de Marie Poirée à Lamontjoie

En 1887, suite au scandale des décorations (une affaire de trafic de décorations qui met en cause le gendre du président de la République, Jules Grévy), elle fait campagne pour Jules Ferry. C’est Sadi Carnot qui est élu. Alors, Marie s’éloigne des socialistes et des radicaux.

Avec la crise de l’agriculture qui sévit de 1880 à 1900, Marie doit se consacrer à sa propriété. Elle meurt le 30 janvier 1911 et sera inhumée sur place, dans une petite chapelle. La légende dépeint cette femme de poigne en disant qu’elle fut enterrée debout près de son cheval.

Lamontjoie (47)
Lamontjoie (47)

Simone d’Artensac, première élue maire du Gers

Castelnau Barbarens (32)
Castelnau Barbarens (32)

Simone de Brux nait en 1900 à Castèthnau Barbarens [Castelnau-Barbarens] joli village d’Astarac à 18 km d’Auch. La vieille famille locale possède la propriété d’Empoucourou, ou d’En Pocoron, construite à la fin du XVIIIe siècle ou au tout début du XIXe siècle pour sa famille, les de Brux, propriétaires de plantations à Saint-Domingue.  Elle deviendra par mariage Simone d’Artensac.

La commune vit une crise municipale qui aboutit à de nouvelles élections en aout 1950. Les femmes sont éligibles depuis 5 ans. Alors, Simone d’Artensac monte une liste de 12 personnes dont 3 femmes et gagne les élections.

Le village a une histoire ancienne. On lit en 1140 l’existence d’un Castèt nàou dé Barbaréncs. Rappelons qu’un castèth nau [château neuf] est un bourg castral, une sauveté autour d’un château. En fait, les seigneurs Bernard I comte d’Astarac et Guillaume Arnaud Desbarats concluent un accord, pour édifier à parts égales la fameuse sauveté : Bastirén et edifiquirén per mici Io castet nàou de Barbarens.

Femmes en politique : Simone d'Artensac en 1960 seule femme lors d'une réunion de maires et de conseillers généraux du Gers
Simone d’Artensac , seule femme lors d’une réunion de maires et de conseillers généraux du Gers en 1960

Quand Simone prend la direction de la mairie, la commune est très en retard sur ses équipements. Elle va donc lancer de gros travaux pour apporter l’eau et l’électricité, refaire les chemins. Elle sera réélue trois fois.

Parallèlement, en 1955, elle se présente au Conseil Général et est élue conseillère générale du canton de Saramon. C’est la première femme conseillère générale dans le Gers. Le Conseil Général lui confie le Concours des Villes et Villages fleuris.

Les femmes dans l’administration locale en Gascogne

Globalement, les Françaises ont encore une place modeste en politique. Pour donner une idée, les femmes occupent 50 pour cent ou plus des postes de ministres dans 13 pays seulement. Citons l’Espagne, la Finlande, la Colombie, la Moldavie ou l’Afrique du sud.

Bien sûr, en France, la politique des quotas permet que la part des femmes atteigne quasiment 42% des élus municipaux. Mais cette part est bien plus faible quand on regarde les postes majeurs :

  • 11,4% des présidents de conseils communautaires ;
  • 19,8% des maires ;
  • 20,2% des présidents des conseils départementaux ;
  • 31,6% des présidents de régions.

La Gascogne montre une féminisation plutôt faible puisque les mairesses représentent :

  • Ariège : 19,3%
  • Gers : 18,8%
  • Gironde : 23,9%.
  • Haute-Garonne : 19.1%
  • Hautes-Pyrénées : 14,7%
  • Landes : 19,9 %
  • Pyrénées Atlantiques : 13% des postes.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

En 1945, les premières femmes élues maires en France, France culture, 2 mars 2020
Les tribulations des femmes à travers l’Histoire Moyen Âge : libres malgré tout, Isabelle Gregor
Marie Poirée : une femme d’avant-garde, La dépêche, 28/04/2019
Le Gers, dictionnaire biographique de l’antiquité à nos jours, Georges Courtès, 2007
Faits et chiffres : Le leadership et la participation des femmes à la vie politique, ONU Femmes
Données et statistiques




Bayonne la Gasconne

Pour beaucoup, Bayonne est la capitale du pays basque. Pourtant, historiquement, sa capitale est Ustaritz. En revanche, Bayonne, Biarritz et Anglet sont gasconnes. Vers 1550, le français remplace le gascon dans les documents officiels. Pourtant, au XVIIIe siècle, un mouvement se dessine pour l’emploi du gascon dans les textes littéraires.

Le gascon, langue officielle à Bayonne au moyen-âge

Les ducs d’Aquitaine, puis rois d’Angleterre écrivaient à leurs sujets de Bayonne en gascon.

Les livres

Livre d'Or de Bayonne - Don de deux maisons à l'église
Le Livre d’Or de Bayonne (extrait). Don de deux maisons à l’église.

Le plus ancien ouvrage connu en gascon est le Livre d’or de Bayonne. Il s’agit d’un cartulaire, sans doute réalisé au XIVe siècle, contenant des textes rédigés entre le Xe et le XIIIe siècle. Parmi ceux-là, 106 sont des textes en latin et 36, plus récents du milieu du XIIIe siècle, en gascon :

« Sabude causa sia a tots aquez qui questa present carta veiran e audiran, que io en. B. de Garague reconny e manifesti em veritad per mi e per meis heirs e auieders, e per meis successors que dei dar e pagar au nost ondrable pair Mosseinher l’abesque e au Capito de Sancta Maria de Baiona. VI. Conques de bon froment, … »

De même, le Livre des établissements est un recueil d’actes en gascon, réalisé en 1336 par Arnaud de Biele, alors maire de Bayonne. Il établit les droits et les privilèges de la ville, son régime intérieur et ses rapports avec les seigneurs, villes et pays voisins.

La vie quotidienne à Bayonne

La toponymie utilisée est majoritairement gasconne, surtout dans la ville de Bayonne : arrua nava / rue neuve, arrue dous bascous / rue de basques, arrue dou casted / rue du château, carneceirie / carniceria / boucherie, port nau / port neuf, con de baque / corna de vaca / corne de vache, etc.

Bayonne, ville gasconne-Sur l'origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols Paul Broca (1875 - Gallica)
Sur l’origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols, Paul Broca, 1875, Gallica. Reprend les limites de la carte de 1863 de L-L Bonaparte.

En fait, la région fait apparaitre deux zones linguistiques. En particulier, la rédaction des Cahiers de doléances en 1788 se fait à Ustaritz pour le Labourd et à Bayonne pour la partie gasconne. Une représentation unique est alors inenvisageable tant les intérêts sont divergents. D’ailleurs, lors de l’élection des représentants à la fête de la Fédération de 1790, on crée deux bureaux de vote. Les délégués du Labourd s’appellent Dithurbide, Harriet, Detchegoyen, Diharce et Sorhaitz ; ceux de Bayonne s’appellent Lacroix de Ravignan, Mauco, Tauziet, Duffourg et Fourcade.

La première carte linguistique du pays basque, éditée en 1863 par Louis-Lucien Bonaparte, met en évidence que le gascon est encore très majoritaire à Bayonne, à Anglet et à Biarritz. Toutefois, les Basques s’installent à Bayonne au XIXe et au XXe siècles. Alors, l’usage du français gomme les différences linguistiques.

Bayonne et le renouveau du gascon au XVIIIe siècle

Alors que les dialectes sont méprisés, un mouvement se dessine dans la classe bourgeoise de Bayonne pour l’utilisation du gascon dans la littérature.

Par exemple, un tonnelier, Pierre Lesca (1730-1807), écrit plusieurs chansons, dont La canta a l’aunou de la nachence dou Daufin / La canta a l’aunor de la naishença deu Daufin / le chant en l’honneur de la naissance du Dauphin qui lui vaut une récompense des échevins de Bayonne, et Los Tilholèrs / Les bateliers, une chanson, aujourd’hui un hymne à Bayonne. Et le groupe gascon Boisson Divine en donne une version contemporaine.

Los Tilholièrs - un hymne de Bayonne ?
Los Tilholièrs. Paroles données sur le site de Boisson divine.

De même, en 1776, parait un remarquable ouvrage : Fables causides de La Fontaine en bers gascous suivi d’un lexique. Il est plusieurs fois réédité.

Autre exemple : Deldreuil (1796-1852), un Gascon de Bayonne, laisse une trentaine de chansons.

Le foisonnement après Louis-Philippe

La période révolutionnaire donne peu de textes connus. Mais, à partir de 1830, les auteurs gascons foisonnent à Bayonne.

Justin Larrebat (1816-1868)

Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes en gascon, dont Poésies gasconnes édité en 1898 et plusieurs fois réédité depuis. Ici le début d’un poème.

Amous de parpaillouns et flous

Le flou qu’ere amourouse
Et yelouse;
Lou parpailloun luzen
Incounsten.
Le flou toutyour aimabe,
Aperabe
Lou parpailloun aiman
En boulan.

Amours de papillons et de fleurs

La fleur était amoureuse
Et jalouse ;
Le papillon luisant
Inconstant.
La fleur toujours aimait,
Appelait
Le papillon aimant
En volant.

Léo Lapeyre (1866-1907)

Léo Lapeyre
Léo Lapeyre (1866-1907)

Il écrit des poésies en gascon. Et il écrit aussi des pièces de théâtre qu’il joue à Peyrehorade, sa ville natale, et à Bayonne. Citons : Lo horat de la peyre horadada / Lo horat de la pèira horadada / Le trou de la pierre trouée, Coèntas d’amou / Cuentas d’amor / Les ennuis de l’amour, La boussole de Mousserottes et Madame Pontriques en 1904.

Dès la création de Escòla Gaston Febus, Léo Lapeyre adhère (1897). Et il publie dans la revue de cette association, Reclams de Biarn et Gascougne, mais, face à certaines critiques de son édition de poèmes A noste, il s’en éloigne. Voici un extrait d’un de ses poèmes.

Aou cout dou houéc

Toutun se t’adroms, aou cap d’un moumèn
Que-t’ herey un broy poutoun qui chagotte
Et que-t’ déchuderas en arridèn
Aou coût dou hoèc!

Au coin du feu

Cependant, si tu t’endors, au bout d’un moment
Je te ferai un joli baiser qui chatouille
Et tu t’éveilleras en riant
Au coin du feu.

…Et tous les autres

Carlito OYARZUN un des fondateurs de l'acadamie Gasconne de Bayonne
Carlito Oyarzun (1870-1930)

En fait, les pièces de théâtre de Léo Lapeyre inspirent d’autres écrivains gascons, comme Georges Perrier, Léon Lascoutx, Carlito Oyarzun (1870-1930) ou Benjamin Gomès (1885-1959) qui est l’architecte, avec son frère, de la station balnéaire d’Hossegor. Ces deux derniers sont conseillers municipaux de Bayonne. Alors, en 1932, ils initient une fête populaire et traditionnelle qui auront et ont toujours un beau succès : Les Fêtes de Bayonne.

Pierre Rectoran (1880 - 1952), Secrétaire Perpétuel de l'Académie Gasconne de Bayonne
Pierre Rectoran (1880-1952), Secrétaire Perpétuel de l’Académie Gascoune de Bayoune.

À partir de 1912, la presse locale publie des poésies en gascon de Pierre Rectoran (1880-1952). Théodore Lagravère qui réside à Paris écrit des poèmes dans Le Courrier de Bayonne. Il publie son premier recueil de Poésies gasconnes en 1865. En outre, la presse locale publie J-B Molia dit Bernat Larreguigne et A. Claverie surnommé Yan de Pibole.

Enfin, après la Grande Guerre, des initiatives fleurissent à Bayonne en faveur du gascon. Par exemple, en 1923, Monseigneur Gieure, évêque de Bayonne, Oloron et Lescar, introduit l’étude obligatoire du gascon dans les établissements d’enseignement de son diocèse. Ou encore, en 1926, Pierre Simonet fonde l’Académie gascoune qui publie L’Almanach de l’Academie gascoune de Bayoune.

L’Académie gascoune de Bayoune et Ací Gasconha

Académie Gascoune de Bayoune - Acte constitutif du 7 mai 1926
Académie Gascoune de Bayoune – Acte constitutif du 7 mai 1926

L’Académie gasconne de Bayonne, qui s’appelle maintenant Academia Gascona de Baiona-Ador, est fondée en 1926. De 40 membres à l’origine, elle se compose aujourd’hui de 25 membres élus par leurs pairs pour leur connaissance du gascon.

Elle a pour but : « la recherche et le maintien de tous les usages et traditions bayonnaises et du Val d’Adour maritime, et en particulier de la langue gasconne parlée sur ces territoires ».

Active, l’Académie tient un Capitol / Chapitre trimestriel, ouvert au public, au cours desquels elle présente des sujets intéressant l’histoire locale ou le gascon. Les présentations qui sont faites en gascon sont éditées dans L’Armanac Capitol, revue trimestrielle de l’Académie.

De plus, l’Académie travaille en étroite collaboration avec Ací Gasconha, association créée en 1975. Les activités d’Ací Gasconha touchant au gascon sont multiples : gestion d’une bibliothèque, émissions radio en gascon, animation d’une chorale, cours de gascon, ateliers de danse, édition d’un bulletin trimestriel, publication d’ouvrages, etc.

Avec tout çà, qui peut dire que Bayonne, Biarritz et Anglet ne sont pas gasconnes ?

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Livre d’or de Bayonne, textes gascons du XIIIe siècle, Jean Bidache, 1906, Bibliothèque Escòla Gaston Febus 
Les « Tilloliers » de Pierre Lesca, René Cuzacq, 1942, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Fables causides de La Fontaine en bers gascous, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Poésies gasconnes, Justin Larrebat, 1926, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Les Poésies de J.-B Deldreuil, Chansonnier gascon bayonnais, Pierre Rectoran, 1931
Panorama de la littérature gasconne de Bayonne, Gavel Henri, 1948
Aou cout dou houéc, Léo Lapeyre,
Lapeyre, Léo. Auteur du texte. Au pays d’Orthe. Chez nous. A la maison. Dans la plaine. Soucis d’amour. – Aou pèis d’Orthe. A noste. A case. Hen le plène. Coèntes d’amou. 1900.
www.occitanica.eu
Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus : www.biblio.ostau-bigordan.com
Académie gasconne de Bayonne : www.academiagascona.fr
Aci Gasconha : www.acigasconha.asso.fr
Paul Broca – Sur l’origine et la répartition de la langue basque : Basques français et Basques espagnols-1875 – Gallica

 

 

 




La Leira, un fleuve discret

La Leira est le nom gascon de La Loire. Mais c’est aussi le nom d’un fleuve gascon qui se jette dans le bassin d’Arcachon. Si peu de Gascons en connaissent l’existence, c’est le paradis des amateurs de canoë ou des amoureux de la nature.

La Leira, un fleuve bien discret

La Leira [Leyre ou L’Eyre en français] prend sa source dans les Landes. Ou plutôt, elle n’a pas de source puisque c’est la remontée de la nappe phréatique, affleurant en plusieurs endroits, qui l’alimente.

Son nom véritable est l’Eira, ancien toponyme qui, selon les spécialistes Bénédicte et Jean-Jacques Fenié, signifie tout simplement « eau ». L’usage l’a transformé en Leira.

La Leira parcourt 116 km avant de se jeter dans le bassin d’Arcachon. En fait, on peut même parler des Leiras car le fleuve est formé de la grande Leira et de la petite Leira qui se rejoignent à Moustey au horc d’Eira [hourc d’Eyre].

La petite Leira se forme entre Lucsèir [Luxey] et Retjons. Elle est calme et ses eaux sont claires. En revanche, la grande Leira nait près de Sabres et ses eaux sont noires, son cours impétueux.

La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG
La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG

Tout au long de son parcours, la Leira reçoit de nombreux affluents aux noms bien gascons dont : l’Escamat, le Monhòc, [Mougnocq] le Cantagrith, le Mordoat [Mourdouat], le Richet ou barrada deus claus, le Boron [Bouron] aussi appelé Hontassa, le Casterar, ou encore la Palhassa [Paillasse].

Plus globalement, son bassin versant est dans le parc naturel des Landes de Gascogne. Lorsqu’elle arrive dans le bassin d’Arcachon, la Leira forme un delta de 3 000 hectares qui est le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux.

Et la belle réserve ornithologique du Teich couvre 120 hectares de ce delta.

La Leira, un grand intérêt écologique

Au cours de l’histoire, c’est avec la plantation de la forêt des Landes de Gascogne que la Leira présente un intérêt économique. En effet, elle sert au flottage du bois et elle alimente des forges, des fonderies, des verreries et des moulins.

Or, les activités économiques ont disparu. Alors, la Leira, bordée de prairies, s’est peu à peu cachée sous des feuillus, constituant une épaisse forêt galerie qui a poussé sur ses rives.

Composée de chênes, d’aulnes et de saules, la forêt amortit les crues, limite les matières en suspension et maintient les berges. Le microclimat ainsi créé abrite des espèces végétales devenues rares comme l’Osmonde royale ou le Drosera à feuilles rondes.

De même, la Leira abrite des animaux disparus ailleurs, comme la loutre, le vison, la cistude, la genette ou le murin à oreilles échancrées (une espèce de chauve-souris). Elle abrite aussi les larves de lamproie qui y naissent avant de gagner la haute mer. De plus, dans ses herbiers aquatiques, on trouve de nombreux poissons, ainsi que le brochet aquitain. À noter, des naturalistes décrivent cette espèce de brochet pour la première fois en 2014. L’animal se distingue des autres brochets par un museau plus court, des écailles et des vertèbres moins nombreuses.

Cistude et Loutre d'Europe © PNRLG
Cistude et Loutre d’Europe © PNRLG

Cette richesse écologique vaut à la Leira de nombreux classements de protection : classement d’une partie de son cours sur la commune de Mios en 1942, zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) en 1973 et 1984, enfin zone Natura 2000. Son delta est classé zone humide d’importance internationale en 2011.

Le parc régional des vallées de la Leyre et du val de Leyre est créé en 1970. Il porte aujourd’hui le nom de parc naturel régional des Landes de Gascogne.

Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG
Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG

Concilier écologie et tourisme

Le parc naturel régional des Landes de Gascogne conduit le programme de protection du fleuve.

Outre les actions d’information du public, des usagers et des riverains, le parc étudie la faune et la flore présentes dans le bassin de la Leira, entretient les rives et la forêt galerie, restaure les milieux, supprime les obstacles créés par l’homme (barrages ou digues inutiles), veille à supprimer la pollution (action micro plastiques), etc.

Fort heureusement, peu d’espèces invasives colonisent la Leira. Des érables negundo et des catalpas originaires d’Amérique du nord sont progressivement éliminés. On y trouve aussi quelques ragondins et des écrevisses de Louisiane, plus difficiles à attraper.

Toutes ces actions visent à restaurer le fleuve pour obtenir le label « Rivière sauvage ». Ce label décerné par l’AFNOR est une marque de reconnaissance du travail de protection et de valorisation du territoire concerné.

Le parc naturel régional conduit aussi une action exemplaire qui concilie tourisme et protection du milieu en favorisant la pratique du canoë sur la Leira.

En relation avec des professionnels partenaires, 8 lieux de mise à l’eau et de sortie d’eau des canoés offrent au public la possibilité de naviguer sur la grande Leira et de profiter de la nature protégée de la forêt galerie.

Si les promenades sont permises, les activités restent réglementées : horaires de navigation, interdiction des bivouacs, interdiction des cueillettes, etc. Bien entendu, toute activité nautique à moteur est interdite.

Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie - © PNRLG Sébastien Carlier
Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie – © PNRLG Sébastien Carlier

La réserve ornithologique du Teich

Des ornithologues amateurs proposent à la commune du Teich de créer une réserve sur le bassin d’Arcachon, dans le delta de la Leira. On le fait en 1972.

Ainsi, la commue acquiert des parcelles par échange avec des parcelles forestières communales. Le parc ornithologique voit le jour. Il devient réserve ornithologique et, si la commune en est toujours propriétaire, le parc naturel régional des Landes de Gascogne en prend la gestion.

323 espèces d’oiseaux y sont répertoriées, dont 88 y nichent. Cela en fait une zone exceptionnelle de reproduction et de nourrissage des oiseaux. En conséquence, la réserve du Teich propose des visites en bateau, des activités d’observation et de photographie des oiseaux.

Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich
Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich

La plupart des Gascons ne connaissent pas la Leira. Pourtant, ce fleuve gascon offre des milieux remarquables et une faune protégée qu’il faut découvrir au gré d’une promenade au rythme de la nature.

De plus, le fleuve entretient des contes et des légendes que l’on peut retrouver dans le livre La Leyre, contes et chroniques d’un autre temps de Serge Martin et Marnie, Dossiers d’Aquitaine, 2016.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’Eyre et sa vallée
Affluents de la grande Leyre
Rivières sauvages : la grande Leyre
Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne
Parc naturel, Site consacré au canoë sur la Leyre
Réserve ornithologique du Teich




La main d’Irulegi

La main d’Irulegi trouvée le 18 juin 2021 en Navarre est une découverte majeure pour tous les héritiers des Vascons. Elle est la preuve que notre langue ancienne a laissé des traces écrites.

La main d’Irulegi

Irulegi - plan de situation
Irulegi – plan de situation

Jusqu’à récemment, la langue euskarienne ne possédait pas de preuve de son existence avant le IVe siècle de notre ère. En plus de cela, les premières traces écrites connues du basque dataient, avant cette découverte, du XVIe siècle. Mais depuis peu, en novembre 2022, a été traduit le premier mot d’une série de cinq, sur un objet découvert le 18 juin 2021 sur la colline d’Irulegi.

Officiellement la découverte de cet objet apporte la preuve écrite la plus ancienne de la pratique du proto-basque. Cette langue était parlée dans un espace bien plus large que l’Euskadi actuelle. En effet, c’est dans tout l’espace aquitain que le proto-basque était utilisé, espace allant du Couserans jusqu’au début du massif des Cantabres et de l’estuaire de la Gironde jusqu’à l’Ebre. Les locuteurs de cet ensemble de langues étaient les Aquitains. Ces derniers deviendront les Vascons durant le Haut Moyen-Âge, et c’est à partir du XIe siècle que les textes différencieront les Gascons des Basques.

Irulegi - le champ de fouilles
Irulegi – le champ de fouilles

L’objet en lui-même est une main droite en bronze de 14,31 cm de hauteur, 12,79 cm de largeur et d’une épaisseur de 1,09 mm. Le texte gravé sur cette main est composé de 5 mots, 40 signes sur 4 lignes. Enfin, la main de la colline d’Irulegi date du 1er siècle avant JC, plus précisément du dernier tiers du 1er siècle, au moment de la guerre sertorienne (-80 av JC à -72 av JC).

Le système d’écriture révélé par la main

D’après Javier Velaza, professeur de philologie latine à l’université de Barcelone, les inscriptions suivent un système semi-syllabique emprunté au système d’écriture ibérique. Un semi-syllabaire est un système mixte employant dans le même temps des signes correspondants à des lettres et d’autres signes correspondants à des syllabes. Cependant, le professeur remarque que sur cette main est inscrite une variante. Le signe « T » est à l’heure actuelle inexistant dans l’écriture ibérique ; il est nécessaire d’ajouter que ce symbole figure déjà sur deux pièces frappées en territoire basque. « Les Basques ont emprunté le système d’écriture ibérique en l’adaptant à leurs caractéristiques » fait-il remarquer.

La main d'Irulegi
Irulegi – La main

Le premier mot inscrit sur la main est quasi transparent : sorioneku. Il est comparable au basque actuel, zorioneko signifiant « de bonne fortune ». Ainsi, cela prouve qu’il s’agit d’une inscription proto-basque et non ibérique ou celtibérique. D’après Jean-Baptiste Orpustan, professeur honoraire des universités Michel de Montaigne Bordeaux III, spécialiste en lexicographie, linguistique historique, littérature, onomastique, traduction en langue et littérature basques, les langues ibériques et proto-basque étaient des langues voisines et probablement proches d’un point de vue phonétique et structurel mais elles étaient sans doute deux langues bien distinctes.

Le basque actuel ne permettant pas de traduire les autres mots, en plus de deux millénaires, l’euskara a changé et son vocabulaire n’est plus forcément le même. Sabino Arano Goiri, fondateur du nationalisme basque avait créé de nombreux néologismes afin d’éviter une trop grande hispanisation du basque.

La fonction de la main d’Irulegi

Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d'Irulegi
Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d’Irulegi.

Au sujet de l’objet en lui-même, il avait surement une fonction apotropaïque.  C’était un objet conjurant le mauvais sort pour les habitants de la maison où on l’a trouvé. On a découvert une main similaire  à Huesca, mais sans inscription dessus ; cette main devait avoir la même fonction.

Aujourd’hui encore, on trouve des objets ayant la même fonction à l’entrée des maisons, sacré-cœur de Jésus, crucifix, fer à cheval, médaille de saint Christophe dans les voitures etc… Nos ancêtres n’étaient pas si différents de nous.

Seul témoignage de notre langue passée ?

Tumuli de Vielle-Aubagnan (plan de situation)
Tumuli de Vielle-Aubagnan – plan de situation

La découverte de cette main peut remettre en lumière une autre découverte datant de 1914 par Pierre-Eudoxe Dubalen : les tumuli de Vielle-Aubagnan.

Dans ces tumuli, parmi le matériel découvert (restes de cotte de mailles, casques, lance tordue…) Dubalen trouve également des restes de phiales (coupe sans pied ni anse). Sur ces coupes, des inscriptions sont présentes.

 

Première inscription de Vielle-Aubagnan

Sur ce premier phiale on pourrait  lire :

  • anbailku : lecture en 1956 de René Lafon, spécialiste de la langue basque
  • anbaikar : lecture en 1980 de Jürgen Untermann, linguiste
  • binbaikar : lecture de 1990, Jean-Claude Hébert, linguiste.

Seconde inscription de Vielle-Aubagnan

  • betiteen : 1956, Lafon,
  • titeeki : 1980, Untermann,
  • kutiteegi : 1990, Hébert.Si, dans ces coupes, le symbole « T » n’est pas présent, comme sur la main d’Irulegi, les deux phiales et la main démontrent une appropriation d’un des systèmes d’écriture ibérique dans l’espace aquitain. Et cela peut démontrer que les peuples de langue proto-basque étaient donc capables d’écriture, peut-être même de littérature (cf. utilisation apotropaïque de l’écriture sur la main d’Irulegi).

On constate également que les deux phiales dateraient de la fin du 2e siècle avant J.-C. La main d’Irulegi, elle, date du début du 1er siècle av. J.-C. On peut donc admettre que ces objets sont presque contemporains.
La main date de la guerre sertorienne (-80 à -72) et les phiales de la fin du 2e siècle av JC.

Utilisation partielle ou générale en Aquitaine ?

Cependant, si on ne peut conclure à une utilisation généralisée de l’écriture dans tout l’espace aquitain, nous pouvons acter de l’usage au moins partiel de l’écriture dans l’espace dit aquitain. Ces peuples-là étaient donc capables d’écrire et même de s’approprier un système d’écriture et le modifier à leur guise. La découverte de la main d’Irulegi est définitivement une découverte majeure.

Enfin, il est légitime de ne pas s’étonner que ces peuples soient capables d’écrire. Après tout, une partie des Celtes de la Gaule préromaine utilisaient les systèmes d’écriture ibérique et l’alphabet grec entre autres. La doxa déclarant que les Celtes avaient une culture essentiellement orale provient principalement du fait qu’ils avaient une transmission orale de leur culture/religion/histoire. Si les Celtes étaient capables d’écrire, tout comme les Ibères et les Celtibères, alors les Aquitains le pouvaient également.

Loís Martèth

écrit en orthographe nouvelle

Références

La mano de Irulegi
L’âge du Fer en Aquitaine et sur ses marges. Mobilité des hommes, diffusion des idées, circulation des biens dans l’espace européen à l’âge du Fer sous la direction de Anne Colin, Florence Verdin, 2011
L’ibère et le basque : recherches et comparaisons, Jean-Baptiste Orpustan, 2009
Les deux phiales à inscriptions ibériques du tumulus numéro III de la lande « Mesplède », à Vielle-Aubagnan (Landes).