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Mélenchon comprendrait-il Montesquieu ?

Montesquieu est un penseur politique majeur de la France du XVIIIe siècle. Il vit principalement à Bordeaux et alentour. Il écrit en français, il parle français. Parle-t-il français avec un accent gascon ? Voilà la question que nous allons explorer avec l’aide de ses biographes.

Montesquieu et le gascon

Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689 – 1755)

On ne présente pas Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755). Tout le monde le connait. Tout le monde le connait ne serait-ce que par ses études scolaires. Et, peut-être pour cela, comme on y apprend les choses de la France, Montesquieu est dans nos têtes un penseur français, même si on le situe bien de la région bordelaise.

Tout d’abord, Montesquieu parlait-il gascon ? Sa biographie nous donne facilement la réponse. Mis en nourrice dans le moulin du bourg de La Brède, le petit Louis apprit le gascon. Toute son enfance et toute sa vie, il conversait avec ses compagnons dans la langue régionale, en particulier avec Jean Demarennes, son frère de lait, qui deviendra berger de la Lande. Et toute sa vie, il négociera ses baux et discutera avec les paysans en gascon. Malgré ses différentes charges et ses travaux, l’auteur de L’esprit des lois gardera un lien fort avec la campagne.

Montesquieu écrit en français

Le château de Montesquieu à la Brède (33650)

Comme aujourd’hui l’anglais est la langue internationale, le français est alors la langue de communication au-delà de sa région. Alors, bien sûr, Montesquieu écrit en français.

On peut relever l’esprit trufandèr de l’écrivain gascon dans certaines de ses phrases comme : Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très honnêtes gens. Ou encore cette désinvolture apparente face à des difficultés comme quand il deviendra aveugle vers la fin de sa vie. Il écrira : C’est une chose extraordinaire que toute la philosophie consiste dans ces trois mots « je m’en f… »

En fait, l’empreinte de la langue d’oc est encore plus perceptible par l’utilisation de gasconismes que l’on peut relever çà et là. Par exemple, dans les Lettres persanes, Montesquieu utilise le mot essayer à la place de « utiliser », « user de » (lettre XI) : Tu renonces à ta raison pour essayer la mienne.

Le philosophe écrit encore :
– Il y a deux sortes de péchés ; de mortels [au lieu de « des mortels« ], qui excluent absolument du paradis ; et de véniels [au lieu de « des véniels »], qui offensent Dieu à la vérité.
– mais il n’y a guère personne qui ne le veuille gagner à meilleur marché qu’il est possible [au lieu de « au meilleur marché possible »]
– Il n’est rien de si plénier [au lieu de si facile]. Le Littré de 1880 rappelle d’ailleurs que « plénier » est un gasconisme venant de planey en gascon,  ce qui est sans inégalité, uni (lat. planus).

Des gasconismes flagrants, et surtout prêtant à confusion en français, échappent de la main du maitre :
– César avait tant de grandes qualités, sans pas un défaut [au lieu de sans aucun défaut].  Phrase relevée par C.V. Boiste dans Nouveaux principes de grammaire, 1820.

D’ailleurs Voltaire parlait des saillies gasconnes de Montesquieu.

Et l’accent, cher Montesquieu ?

L’accent gascon est un de ceux qui se reconnaissent le plus aisément et se perdent le plus difficilement, affirmait-on au siècle des Lumières. Voilà, le cadre est défini !

Le maitre a l’accent chantant, ses biographes sont clairs : Homme d’affaires, attentif à l’art de ses vignerons, proche des paysans, conversant en Gascon dont il avait conservé le fort accent, toute sa vie Montesquieu restera attaché à sa « campagne ».

Certains étrangers gardent un accent natal marqué en parlant français, par exemple certains Espagnols ont du mal à prononcer le son « u » qui n’existe pas dans leur langue, ou certains Anglais le son « r ». De la même façon, notre penseur ne prononçait pas le son « e ». Ainsi, toute sa vie il se présentera comme « Montesquiou » et non Montesquieu. De même, il prononcera et écrira « Bourdeaux » et non Bordeaux. Quant au « n » de Monsieur, les Méridionaux le prononçaient rarement, préférant dire « Mocieu ».

Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau  (1749 – 1791)

Le marquis de Mirabeau raconte : « Je disputai même Montesquieu et un jour que nous criions en vrais méridionaux, il me dit avec son accent gascon : Qué dé génie dans cette tèté-là… et quel dommagé qu’on ne puissé tirer qué dé la fougué. Telle était sa prononciation. » Et dit d’Argenson, il trouve en quelque façon au-dessous de lui de s’en corriger. (extrait de Histoire de Montesquieu, p.17)

Avec ces quelques exemples, on voit que Montesquieu n’écrivait ni ne parlait un pur français d’Île de France. Cela n’a pas nui, semble-t-il, à sa notoriété.

Et peut-être pourrait-on retenir avec humour ce bel échange rapporté dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture ?

– Voilà deux hommes qui ont bien de l’esprit.
–Cadédis, vous en étonnez-vous ? L’un est de Gascogne, et l’autre mérite d’en être.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Lettres persanes, Œuvres complètes, Montesquieu, éditions Laboulaye,
Nouveaux principes de grammaire, C.V. Boiste, 1820, p. 516
Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome XXIX, 1814, p. 456
Histoire de Montesquieu, Louis Vian, 1879