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La cama crusa, un vieux mythe gascon

Si vous voulez rencontrer la cama crusa, venez en Gascogne, elle ne hante aucune autre région ! Toujours maléfique, elle est aussi la plus effrayante des créatures. Si tout Gascon la connait ou se doit de la connaître, que sait-on vraiment d’elle ?

A quoi ressemble la cama crusa ?

La cama crusa
La cama crusa

La cama crusa veut dire la jambe crue. Dans les quelques contes qui en parlent, elle est décrite comme une jambe seule, parfois munie d’un œil au genou, la cama crusa dab l’uèlh dubèrt, la jambe crue avec l’œil ouvert.

Devant le caractère inquiétant de cette jambe, l’imaginaire aidant, les illustrateurs voire les rapporteurs rajoutent des éléments : elle aurait une bouche, sinon comment pourrait-elle manger les enfants ! Elle aurait des griffes comme les harpies, etc. Mais ces descriptions ne sont pas convergentes et révèlent plus les peurs ou l’imaginaire de nos ancêtres.

La cama crusa d’Honoré Dambielle

Honoré Dambielle et la cama crusa
Honoré Dambielle

Honoré Dambielle (1873 – 1930) a fait une recherche approfondie auprès de ses concitoyens sur les superstitions et les êtres qui les incarnent en Gascogne. Cette étude a été publiée en deux parties dans le Bulletin de la Société Archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers en octobre 1906 et au premier trimestre 1907.

Il en ressort que la cama crusa pourrait être rapprochée des vampires, car elle rode autour des maisons pour s’emparer des petits enfants avec une férocité terrifiante.

Contrairement à un becut par exemple qui est un être à part entière, la cama crusa apparait certaines fois puis disparait. En fait Dambielle rapporte qu’un sorcier peut se transformer en lop garon ou en cama crusa grâce à la pèth [peau]…

Le pouvoir de la pèth

Un sorcier peut avoir la chance d’avoir une pèth car la peau a un pouvoir diabolique qui lui permet d’opérer des prodiges. Seulement, ce n’est pas une sinécure d’avoir ua pèth, car elle est tellement maléfique que les sorciers mêmes cherchent à s’en débarrasser !

La seule chose facile, c’est d’obtenir une peau. Vous pouvez essayer, Dambielle vous donne la recette : il faut aller déposer à minuit un drap de lit à la jonction de quatre routes pratiquées, à cet endroit qu’on appelle en patois croutzo-camin ; On revient avant la pointe du jour, et, pas plus difficile que cela, le drap de lit s’est métamorphosé en peau, en attendant que celle-ci métamorphose celui qui l’endossera.

Grâce à la pèth, le sorcier peut voyager la nuit et dévorer les imprudents ou les enfants.

La goulue de Jean-François Bladé

Jean-François Bladé, auteur du conte « La Goulue »

L’origine de la cama crusa est l’objet de légendes et fantasmes divers. Une bien construite est celle de La goulue. Une jeune fille ne pensait qu’à manger de la viande crue. On l’appelait la goulue. Un jour, ses parents allèrent à la foire d’Agen, puis, au moment de repartir, passèrent par tous les bouchers mais il était bien tard et il ne restait plus de viande. Seulement, ils avaient promis de la viande crue à leur fille ! Que faire ? Ils passèrent par le cimetière, déterrèrent un mort du matin, lui coupèrent la jambe gauche et la rapportèrent à leur fille qui la mangea jusqu’à la dernière moelle. Toute la nuit, une voix cria « rends-moi ma jambe ! »

Le lendemain, toute la famille travaillait au champs. Le père ayant oublié son couteau renvoya sa fille le chercher. Pendu à la crémaillère, un mort à qui il manquait la jambe gauche s’adressa à la jeune fille. Le mort prit la jeune fille, l’emporta au cimetière et la mangea.

Cette jeune fille est-elle la cama crusa qui rôde la nuit ? En tous les cas, la cama crusa est la vengeance de la jambe arrachée !

Era Cama crusa damb eth goelh duvert

Era Cama crusa damb eth goelh duvert (https://bit.ly/2HQ3ClC )

En Couserans, cet horrible monstre est appelée , la Jambe Crue à l’œil ouvert. Elle s’amuse dès que tombe la nuit à dévaler les pentes de la montagne, afin d’effrayer les passants isolés, sinon les emporter. Dans des temps plus récents, elle est une espèce de croquemitaine qui s’attaque aux enfants pas sages.

Ce qu’on en disait en Couserans : c’est une jambe avec un œil ouvert et une corne, qui court plus vite que tout le monde ; c’est une jambe creuse, qui n’a que l’os ; c’est une jambe rouge, mal fichue, laide, et sanguinolente…

La cama crusa en chanson

Le groupe gersois actuel Boisson divine a publié un CD, Enradigats, qui contient la chanson Cama crusa. La musique allie, selon leur site, identité gasconne et Heavy Metal. Et voici la chanson et les paroles :

Cama crusa

Escota petit, jo que’t voi condar ua istuèra
Istuèra d’aquèsta tèrra
Las aurelhas e los uelhs ubèrts
Mainat, audir que cau
Còp èra a lua plea
Lo conde de Cama Crusa

Au som de las montanhas, montanhas pirenèus
Tot au près deu cèu, a la prumèra nèu
Un monstre deus hastiaus, que s’a perdut la cama
La cama de córrer, de per tota la plana

L’espiar maishant, suu jolh l’uelh ubèrt
Avistaz-ve se la jamèi vedetz

Cama crusa !
La paur deus aulhèrs e deus mainats tanben
Atencion petit que’t gaharà lo ser
E tu esbarrit que t’empòrta a la nuèit
Siatz charmants, demoratz au lheit
Cama crusa !!!

La hilha deu rèi que’s volè maridar
A un praube hèr qui èra musician
Lo pair que l’avè causit un prince ric
De malur qu’avè plorava mei que chic

A nuèit la hilha que s’ei escapada
Mala sòrta que se l’a crotzada

Un vielh bohèmis un dia de mercat
Ua bèra pora que s’avè panat
Tota la jornada que s’estujè plan
Esperar lo ser entà’s har desbrembar

A nuèit que s’en torna tà la rotlòta
Mala sòrta que se l’a crotzada

Jambe crue

Écoute petit, moi je veux te raconter une histoire
L’histoire de cette terre
Les oreilles et les yeux ouverts
Il te faut écouter
C’était à la pleine lune
L’histoire de la jambe crue

A sommet des montagnes, montagnes Pyrénées
A l’aube du ciel, à la première neige
Un monstre abominable avait perdu sa jambe
Qui se mit à courir, de par toute la plaine

Le regard noir, au genou l’œil ouvert
Méfiez-vous si vous la rencontrez

Jambe crue !
La peur des enfants mais aussi des bergers
Attention petit le soir va t’attraper
Et toi l’égaré t’prendra la nuit tombée
Soyez sages et au lit restez
Jambe crue !!!

La fille du roi voulait se marier
A un pauvre hère qui était musicien
Son père lui avait choisi un prince fortuné
De malheur quelle avait ne faisait que pleurer

La nuit la princesse s’est échappée
Triste sort la pauvre l’a croisée

Un vieux bohémien une journée de marché
Une belle poule avait dérobée
Toute la journée prend soin de se cacher
Attendant le soir pour se faire oublier

La nuit à sa roulotte veut rentrer
Triste sort le pauvre l’a croisée

Reférences

La sorcellerie en Gascogne, Honoré Dambielle, 1906 – 1907, ouvrage de la bibliothèque Escòla GAston Febus
Cama crusa, Boisson divine, CD 27 mai 2013
Contes populaires de la Gascogne, La goulue, Jean-François Bladé, 1885