1

Paul Lacôme, musicien gascon

Paul Lacôme est un grand musicien et compositeur du XIXe siècle. Il compose plus de 200 œuvres, dont une vingtaine d’opéras comiques, d’opéras bouffe et d’opérettes. S’il mène une brillante carrière à Paris et à l’international, il n’oublie pas sa Gascogne natale.

Paul-Jean-Jacques Lacôme d’Estalenx

Paul Lacôme  cliché Nadar — Bibliothèque nationale de France
Paul Lacôme (1838 – 1920) – Cliché Nadar — BNF

Plus connu sous le nom de Paul Lacôme, il nait en 1838 au Houga dans l’Armagnac Noir.

Très tôt, il baigne dans la musique. Sa mère, Clémentine d’Estalenx, est la petite-fille d’Angélique Bouillon (1733-1814) qui dirigeait la musique de la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV. Angélique avait épousé Jean-François d’Estalenx et eut un fils unique, Jean-Jacques, le grand-père de Paul Lacôme, qui revint au Houga en 1779. Et il en fut le maire de 1804 à 1830.

Son père, Auguste Lacôme, est musicien amateur et lui apprend quelques principes d’art musical. D’ailleurs, à 14 ans, le jeune Paul a déjà écrit un opéra.

Malheureusement, les parents de Paul Lacôme décèdent. Alors, sa tante, Elvire d’Estalenx, célibataire et sans enfant, s’en occupe ; elle l’adoptera en 1870. Elle est passionnée d’art, de poésie, de théâtre et de musique.

Côté études, Paul Lacôme est interne au collège d’Aire sur l’Adour. Là, il compose des morceaux pour la fanfare du collège et il en prend la direction. Il prend des cours de musique auprès de José Puig i Alsubide, un Catalan organiste de la cathédrale d’Aire. Ce sera son seul professeur.

En 1863, la revue illustrée Le Musée des familles organise un concours de composition d’un opéra bouffe en un acte. Paul Lacôme remporte le 1er prix. Alors, il part à Paris où son œuvre doit être jouée. Mais elle est déprogrammée au dernier moment. C’est une grande déception.

Une brillante carrière à Paris

Paul Lacôme - Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons
Paul Lacôme – Partition de Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons

En 1866, il repart pour Paris. Son succès est rapide. Ainsi, ses œuvres sont jouées à l’Opéra-Comique et aux Bouffes-Parisiens. Cela lui permet de côtoyer Jules Massenet, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Léo Delibes, etc. Paul Lacôme est curieux et ouvert ; il recueille deux chants d’Espagnols venus se louer au Houga pour les travaux des champs. Et il les donne à Guiseppe Verdi qui les insère dans son opéra Don Carlos.

À partir de 1872, ses pièces sont jouées dans divers théâtres. En 1873, il entre aux Bouffes-Parisiens avec Le Mouton enragé puis La Dot mal placée qui fait plus de 100 représentations. En 1874, il joue l’Amphytrion à l’Opéra-Comique.

De même, en 1876, Jeanne, Jeanette et Janneton remporte un immense succès aux Folies-Dramatiques. La carrière de Paul Lacôme est définitivement  lancée. De plus, ses œuvres sont éditées par une société d’édition musicale fondée par Wilhelm Enoch et Georges Costallat, originaire de Bagnères de Bigorre. Leur collaboration dure 40 ans.

Paul Lacôme écrit des opéras comiques à succès, comme Le Beau Nicolas en 1880, La Gardeuse d’oies en 1888, Le Maréchal Chaudron en 1898. Il écrit aussi des opérettes : La Fille de l’air en 1890, Les Quatre filles Aymon en 1898.

Le public d’aujourd’hui connait peu ses œuvres mais on continue à les jouer dans tous les pays. Son œuvre la plus connue est L’Estudiantine. Elle a été reprise dans la bande originale du film Titanic. D’ailleurs, de nombreuses formations musicales ont pris ce nom : Anglet, Ciboure, Bayonne, Saint Jean de Luz, Saint-Juéry, Ajaccio, Roanne, etc.

Musique Originale du film Titanic d’après l’Estudiantina de Paul Lacôme

 

L’ami Emmanuel Chabrier et l’Espagne

Emmanuel Chabrier (1841-1894)
Emmanuel Chabrier (1841-1894) © Wikimedia Commons

Paul Lacôme donne des conférences. Il est aussi critique musical dans 25 revues. Grand ami d’Emmanuel Chabrier, il voyage souvent en Espagne et introduit en France la vogue de la musique espagnole. D’ailleurs, il écrira lui-même quelques pièces sur des musiques espagnoles.

Adolphe Desbarolles (1801-1866), qui remet à l’honneur la chiromancie lui prédit : « Vous feriez une magnifique carrière si vous n’aimiez pas tant votre pays natal ». Il est vrai que Paul Lacôme partage sa vie entre Paris et Le Houga.

 

Paul Lacôme n’oublie pas sa Gascogne natale

Le Houga - Église Saint-Aubin
Le Houga – Église Saint-Aubin © Wikimedia Commons

En 1882, Paul épouse Gabrielle du Lau-Lusignan de Laujuzan, commune proche du Houga. Ils ont deux fils dont l’un disparait au Chemin des Dames en 1917. Son dernier fils dépouille les mémoires et la correspondance de Paul Lacôme et écrit La vie sincère de Paul Lacome d’Estalenx publiée en 1941.

Sa femme continue l’exploitation de la propriété familiale. Et Paul Lacôme rentre souvent au Houga. D’ailleurs, il y tient l’orgue. La Messe de Noël est un spectacle qui attire la foule. Il écrit plusieurs cantiques et chants de Noël.

Dans Le Courrier de l’art du 23 novembre 1882, Octave Fouquet écrit : Volontiers le maestro du Houga parle de la vigne paternelle, des métairies où s’élève le bétail, des poulets qu’il nourrit et qui le lui rendent. Pour un peu il signerait, non pas vigneron, comme Paul-Louis, mais viticulteur, appellation plus noble et de formation savante, latine, méridionale. Pour tout dire d’un mot, M. Lacome, dès son début dans la vie, a su prendre une attitude, et cela lui a réussi. Voilà au moins quinze ans que son nom et sa personne sont célèbres dans le quartier de la nouvelle Athènes, où cependant il n’a jamais passé plus de cinq mois par an. Au commencement de juin, aussi invariable que le soleil, Lacôme quittait Paris pour aller se livrer aux soins que réclame la culture de la vigne. Il ne revenait que les vendanges faites et sa récolte vendue.

Paul Lacome seul, avec son professeur et caricatureDe gauche à droite :
Portrait de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Caricature de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Paul Lacôme et son professeur José Puig i Alsubide – © Alix de Selva

Le Gascon rentre en Gascogne

En 1900 – il a 62 ans – Paul Lacôme décide de rentrer définitivement au Houga. Là, il écrit une Fantaisie pour violon en hommage au poète d’Agen Jansemin (Jasmin, 1798-1864).

Deux ans après, il fonde l’école de musique de Mont-de-Marsan qu’il dirige pendant 10 ans. C’est maintenant le Conservatoire départemental de musique.

Parallèlement, il obtient des subventions pour sa commune et les communes voisines pour entretenir le patrimoine. Nombre d’églises du secteur lui doivent leur restauration. Et il s’occupe de faire installer le télégraphe au Houga, un bureau de poste, etc.

Il meurt en 1920 à la suite d’un accident de voiture à cheval. Il a 82 ans. Le Journal des débats politiques et littéraires du 9 janvier 1921 lui rend un vibrant hommage : Bref, celui qui vient de disparaitre fut un artiste doué d’une grande facilité, mais qui ne s’y abandonnait pas ; qui sut, dans un genre où il n’est que trop facile de s’abaisser, garder toujours une tenue, une distinction rares et, vraiment, si l’on s’avisait un jour d’écrire l’histoire de la musique légère au théâtre (mais qui donc s’en soucie aujourd’hui?), il serait souverainement injuste de n’y pas classer en bon rang l’auteur de Jeanne, Jeanette et Janneton.

Le souvenir d’un grand compositeur

De nombreuses personnalités sont présentes à l’inauguration d’une stèle au Houga en 1924. Joseph de Pesquidoux y prononce un discours : « … Ce monument est ici, et pour cet homme, est à sa place. Paul Lacôme d’Estalenx a rayonné par l’art, par la pensée, par le cœur… ». On chante la messe avec les airs composés par Paul Lacôme. Puis on joue son opéra-comique Ma mie Rosette devant 5 000 personnes. Filadèlfa de Gèrda (Philadelphe de Gerde) déclame des vers en gascon. Suivent des danses gasconnes et un défilé avec concours de costumes d’Armagnac et de Bigorre.

La maison natale de Paul Lacôme devient Monument Historique. Une association perpétue son souvenir.

De gauche à droite :
Joseph de Pesquidoux © Wikimedia Commons
Stèle en hommage à Paul Lacôme au Houga © Wikimedia Commons
Filadèlfe de Gèrda © Wikimedia Commons

Références

Œuvres musicales de Paul Lacôme, Gallica
La vie sincère de Paul Lacôme, Bulletin de Société archéologique du Gers, 1941
Le Houga: Paul Lacome d’Estalenx est mort il y a 100 ans, La Depèche, 16 janvier 2022
Hommage au compositeur Paul Lacome d’Estalenx, grand homme du Houga, Le Journal du Gers, 23 octobre 2022




Noël 2022, Ukraine et Gascogne

Découvrir Noël en Ukraine et partager notre passion pour la culture régionale, voilà nos cadeaux de Noël pour les lecteurs du site.

Noël en Ukraine

Puisque, hélas, l’actualité tourne les yeux des Européens vers l’Ukraine, que savons-nous de leur noël ? Tout d’abord, cette fête n’est devenue officielle que depuis peu. Auparavant, parce que religieuse, elle était bannie.

Les Ukrainiens fêtent Noël le 7 janvier. En effet, le calendrier orthodoxe est décalé de 13 jours par rapport à celui que nous utilisons, c’est-à-dire le calendrier grégorien. De plus, tout commence par un jeûne, le 28 novembre, appelé le jeûne de Saint Philippe. Il se termine à l’apparition de la première étoile de la nuit du 6 au 7 janvier. L’arbre de Noël, quant à lui, restera jusqu’au 19 janvier.

C’est une fête moins importante que le jour de l’an et il n’y a pas de cadeaux. Toutefois, elle est précédée de celle de la Saint-Sylvestre (31 décembre), et suivie de la fête de l’Ancien Nouvel An ou fête de Malanka, le 13 janvier. Il s’agit alors du Nouvel An selon le calendrier julien, celui utilisé par les églises orthodoxes. Et c’est l’occasion de danser la polka !

"<yoastmark

Le déroulement des festivités de Noël en Ukraine

"Le

La veille de Noël, des marionnettes du Vertep jouent des scènes bibliques sur le parvis des églises. Puis, la famille se retrouve pour le Svyata Vetcheria [réveillon de Noël] autour d’une grande table présentant 12 plats végétariens car la viande ne sera autorisée qu’avec l’apparition de la première étoile.  Traditionnellement, on dispose des gousses d’ail sur la table pour affirmer les liens forts de la famille, et des noix pour augurer d’une bonne santé.

Dans la soirée, des groupes de garçons vont de maison en maison en chantant les koliadky [chants de Noël]. Ils reçoivent de l’argent et des friandises. C’est assez proche de notre aguilhonèr que nous faisons pendant l’avent (donc les quatre semaines avant Noël).

De plus, toute la soirée, on chante des Koliadky et Chtchedrivky [chants de Noël]. Et, au moment de se coucher, on pose sur la table des cuillères afin que les membres décédés de la famille puissent participer au festin.

Enfin, cette belle période de festivité s’achève le 19 janvier (épiphanie dans le calendrier orthodoxe) par… un bain dans l’eau ! Ainsi, les prêtres font un trou dans la glace en forme de croix et les audacieux se trempent rapidement dans l’eau.

Les Ukrainiens rêvent de paix à l’occasion des bains glacés de l’Épiphanie orthodoxe (janvier 2016)

Livres pour Noël

Comme tous les ans, nous vous proposons trois ouvrages qui pourraient faire de beaux cadeaux de Noël en Gascogne.

Livre exceptionnel pour Noël, L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus

L'Elucidari - L'encyclopédie de Gaston Febus - un cadeau de Noël
L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus, Maurice Romieu.

Gaston Febus (1331-1391) est un homme lettré. Ce n’est pas un hasard. Sa mère, Aliénor de Comminges lui fait écrire une véritable encyclopédie alors qu’il n’a pas encore 18 ans. Une encyclopédie de plus de 650 pages, qui rassemble toute la connaissance de l’époque. Il n’en existe qu’un exemplaire, manuscrit, heureusement conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.

Que contient cette encyclopédie ? D’où viennent les informations ? En quoi est-elle innovante ? Comment se présente-t-elle ? C’est l’objet du livre, en français, de Maurice Romieu, spécialiste de l’occitan ancien et du Moyen-âge. Une vraie découverte de l’encyclopédie du comte et un régal des yeux ! En effet, de nombreuses enluminures et des facsimilés du manuscrit original y sont présentés. Saurez-vous reconnaitre le jeune Gaston et Dame Savieza sur l’enluminure de la couverture ?

Le cadeau pour les amateurs de livre d’art !

Pour parler d’espoir et d’amour 

La murena atendrà (Danièle Estèbe Hoursiangou)
La murena atendrà, Danièle Estèbe Hoursiangou.

La murèna atendrà / La murène attendra est un magnifique livre, bilingue (français, occitan), de Danièle Estèbe-Hoursiangou. C’est l’histoire d’un couple amoureux et uni qui va être confronté à une murène, la maladie d’Alzheimer du mari.

Appuyé sur l’histoire personnelle de l’autrice, le récit est plutôt une conversation secrète, personnelle. Sans jamais se laisser gagner par le pathos, et en nous épargnant l’aspect médical, l’autrice nous offre plutôt une expérience où se mêle la violence du vécu et la force de l’amour.

Et malgré l’inexorable éloignement de l’homme aimé, la complexité des émotions,  le lecteur découvre la beauté et la solidité des sentiments.

Pour la mémoire de la langue, le dictionnaire de référence

Dictionnaire du Béarnais et du Gascon Moderne (Simin Palay) : - un cadeau de Noël
Dictionnaire du Béarnais et du Gascon Modernes, Simin Palay.

Tout bon Gascon ne doit-il pas avoir le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay ? En version classique, indispensable, ou sous coffret, il reste un magnifique cadeau de Noël. Voir sa description dans un article précédent.

Vous y trouverez tout un tas d’expressions, par exemple liées à la hèste / hèsta / fête. Ainsi, on retrouve le côté imagé de notre langue dans :
ha s’en la hèste / har-se’n la hèsta / s’en régaler (littéralement s’en faire la fête) ou
noû pas esta de hèste / non pas estar de hèsta / être fort ennuyé (littéralement ne pas être à la fête) ou encore
jamey tau hèste / jamei tau hèsta / jamais semblable chance.
Et le côté spirituel, trufandèr du Gascon dans ha tout die hèste / har tot dia hèsta / chômer tous les jours.

Donc, après avoir hestejat / hestejat / fait la fête, gare à l’hestoû / heston / lendemain de fête, car hèste sens hestoû, noû n’y a, noû / hèsta sens heston, non n’i a, non / fête sans lendemain, il n’y en a pas, non, dit le proverbe.

Quant à l’expression française « je vais te faire ta fête », le Gascon préfère dire : que’t harèi cantar vrèspas [je te ferai chanter les vêpres].

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

La célébration de Noël en Ukraine
L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus, Maurice Romieu, Edicions Reclams, 2022.
La murèna atendrà / La murène attendra, Danièle Estebe-Hoursiangou, Edicions Reclams, 2022.
Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, 4e édition, Simin Palay, Edicions Reclams, 2020.




La veillée de Noël et les contes

Hier, lors de la veillée de Noël, on chantait la naissance de Jésus ; aujourd’hui, la fête est tournée vers les enfants. Pourtant, des textes d’il y a cent ans relatent des veillées plus proches de ce que vivaient les familles au quotidien.

Les premiers noëls

Noël vient des mots latins dies natalis, autrement dit jour de naissance. Et ce serait au IVe siècle qu’on a commencé à célébrer ce jour.  Une célébration modeste qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui.

Bien plus tard, les noëls, c’est-à-dire les chants autour de la nativité, vont faire leur apparition. Nous sommes au Moyen-âge. Ce sont surtout des chants populaires – et non liturgiques – et même des chants dansés. Et on les interprète souvent lors de la veillée.

Henri Suso (1296-1366) auteur de chants de noël
Henri Suso (1296-1366) auteur du In dulci jubilo

Certains de ces chants sont écrits par des hommes d’Église comme le célèbre in dulci jubilo du mystique allemand Henri Suso (1296-1366).

In dulci jubilo,
Nun singet und seid froh!
Unsers Herzens Wonne
Leit in praesepio;
Und leuchtet wie die Sonne
Matris in gremio.
Alpha es et O!

Dans une douce jubilation, / Chantez maintenant et soyez joyeux! / La joie de notre cœur / Repose dans la crèche; / Et [elle] luit comme le soleil / Dans le sein de la mère. / Tu es l’alpha et l’Omega!

      1. In dulci jubilo (Arr. R.L. Pearsall for Choir) - John Rutter, The Cambridge Singers

Des chants aux contes

Kinder- und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer) édité juste avant noël 1812 des frères Grimm
Kinder- und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer) des frères Grimm

À partir du XVIe siècle, à côté des chants, se développent d’autres formes : histoires dialoguées, légendes, contes.  Elles seront racontées à la période de Noël, à la veillée. Au XIXe, les contes pour enfants explosent. Et les aspects humains prennent le pas sur les aspects divins. De la même façon, le père Noël supplante le petit Jésus pour les cadeaux aux enfants.

Ainsi, Kinder- und Hausmärchen [Contes de l’enfance et du foyer] des frères Grimm sort le 20 décembre 1812. Les thèmes ne sont plus la naissance de l’enfant-Dieu, ils sont plutôt éducatifs, mettant en avant des enseignements de morale. Le recueil des frères Grimm contient par exemple le très célèbre Blanche-Neige.

Les noëls gascons

Lou Douctou A. CATOR de Flourenço de Gauro - traductou Gascoun (1862 - 1918)
« Lou Douctou A. CATOR de Flourenço de Gauro – traductou Gascoun (1862 – 1918) »

La Gascogne, comme d’autres régions et pays, développe les chants, les Nadaus [Noëls] et les contes. Ce peut être des contes originaux ou des contes inspirés (les thèmes se retrouvent souvent) ou encore des traductions de contes connus. Ainsi, au début du XXe siècle,  le Docteur Auguste Cator (1862-1918) de Fleurance dans le Gers, fait paraitre en gascon un recueil de contes choisis de Perrault.

D’ailleurs, les Edicions Reclams offrent cette année un livre numérique à lire ou télécharger sur son site, le conte Lo gat botat [Le chat botté], traduit par Auguste Cator, avec sa version en français.

 

Cador - Contes de Perrault - lo gat bottat (dessin de Clovis Roques)
Auguste Cator – Contes de Perrault – lo gat botat (dessin de Clovis Roques)

Les veillées de Noël

En attendant la messe de minuit, pendant la veillée, on chante, on se dit des contes, on raconte. Ainsi, dans des anciens exemplaires de la revue Reclams de Biarn et Gascougne, on trouve des récits racontant la vie. Des récits qui témoignent à la fois des douleurs vécues et de l’espoir qui animent leurs auteurs.

Par exemple, un Armagnaquais, Bernés-Lasserre, va  écrire un sonnet patriotique en 1916, La Nadau dous nostes.

La Nadau deus Nòstes

Dens lou sé de Nadau, per dessus las tranchados
Passeran lous aynats tout caperats de hèr;
Per lou cèl enlusit, de Belfort à la mer,
Esmalheran de flous las toumbos lèu fermados.

E lous souldats beyran, en loungo troupelado,
Lous guerriès d’autes cops s’abança, recouberts
Per l’alo dous fanious, dens lou malo councert
Que canto per es souls la grano Renoumado.

— O, peluts de Biarn, de Lanes, e Gascougno !
O, sublimes bouès d’uo santo besougno,
Eternelle glori ! campanos souneran.

Quand la Ney de Nadau, en signo de bictouèro,
Lusiran, coum estellos, bostos crouts de guerro
Sur le cô d’Henric, de Fébus e d’Artagnan !

Dens lo ser de Nadau, per dessús las tranchadas / Passeràn los ainats tot caperats de hèr; / Per lo cèl enlusit, de Belfòrt a la mer, / Esmalharàn de flors las tombas lèu fermadas.
E los soldats veiràn, en longa tropelada, / Los guerrièrs d’autes còps s’avançar, recobèrts / Per l’ala deus fanions, dens lo mala concert / Que canta per eths sols la grana Renomada.
– Ò, peluts de Bearn, de Lanas, e Gasconha! / Ò sublimes boès d’ua santa besonha, / Eternelle glòri! campanas soneràn.
Quan la Neit de Nadau, en signa de victoèra, / Lusiràn, com estalas, vòstas crotz de guèrra / Sur lo còr d’Enric, de Febus e d’Artanhan!

Le Noël des Nôtres

Dans le soir de Noël, par-dessus les tranchées / Passeront les ainés tout recouverts de fer ; / Par le ciel éclairé, de Belfort à la mer, / Orneront de fleurs les tombes bientôt fermées.
Et les soldats verront, en longue troupe armée, / Les guerriers d’autrefois s’avancer, recouverts / Par l’aile des fanions dans le mâle concert / Qui chante pour eux seuls la grande Renommée.
– Ô poilus de Béarn, de Landes et de Gascogne ! / ô sublimes âmes d’une sainte besogne, / Éternelle gloire ! Les cloches sonneront.
Quand la Nuit de Noël, en signe de victoire, / Luiront comme des étoiles, vos croix de guerre / Sur le cœur d’Henri, de Fébus et d’Artagnan.

Les récits des veillées : douleur et espoir

D’autres récits, plus tragiques, sont publiés, comme en 1909 Soubeni de Nadau / Sovenir de Nadau [Souvenir de Noël] de Léon Arrix qui gagna la médaille d’argent du concours de Salies.

Là, l’auteur raconte que des histoires s’échangeaient en attendant la messe de minuit. En panne d’inspiration, les personnes se retournent vers l »ancienne. Bam, à bous, mayboune; diset-s’en ûe, qu’en débet sabé d’aquéres hort biélhes qui soun las mielhous. / Vam, a vos, mairbona; disetz-nse’n ua, que’n débetz saber d’aqueras vielhas qui son las mielhors. [Allons, à vous, bonne-maman : dites nous en une, vous devez en savoir de ces vieilles qui sont les meilleures.]

Et la pauvre femme dit qu’elle n’en connait plus, qu’elle est trop vieille. Puis, elle raconte une histoire vraie, une histoire qu’elle a vécue. Il s’agit de la mort de son fils un anyoulou de cinq ans / un anjolon de cinc ans [un petit ange de cinq ans]. Cela se passe pendant la période de Noël. Pour réconforter l’enfant, tout en lui tenant la main, elle lui raconte que s’il meurt il aura, pour aller au ciel, des ailes comme les anges du paradis. L’enfant lui répond : que demandèrey au boun Diu dé-m decha biene-t bédé é qu’arribérèy dab las ales d’û anyou ou d’û béroy ausèt. / que demandarèi au bon Diu de’m dèishar viéne’t véder e qu’arribarèi dab las alas d’un anjo o d’un beròi ausèth. [je demanderai au bon Dieu de me laisser venir te voir et j’arriverai avec les ailes d’un ange ou d’un bel oiseau.]

L'enfant malade
L’enfant malade

L’année suivante, pour Noël, la mère repense à son enfant décédé. Et là, ûe beroye tourterèle blangue que-s biénè de pousa sus la hourque déu ridèu déu brès, é aquiu, que démourè ûe pausote en m’espian. / ua beròia torterela blanca que’s vienè de posar sus la horca deu ridèu deu brèc, e aquiu, que demorè ua pausòta en m’espiant. [une jolie tourterelle blanche vint se poser sur la fourche du rideau du berceau, et là, elle resta un moment en me regardant.]

La mère caresse la tourterelle qui lui fit entendre rou-crou-ou. Toutes les autres années, la mère attend l’oiseau lors de la veillée de Noël, mais l’oiseau ne viendra plus.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Coundes causits de Perrault, Auguste Cator
Reclams de Biarn et Gascougne, 15 de Decembre 1916, La Nadau dous nostes, p.67
Reclams de Biarn et Gascougne, novembre 1909, Soubeni de Nadau, p. 262
Escòla Gaston Febus : Noël aujourd’hui en Gascogne
Escòla Gaston Febus : La veille de Noël en Gascogne

 




La veille de Noël en Gascogne

En Gascogne, la veille de Noël est riche de ses traditions païennes et chrétiennes, avec ses superstitions, ses quêtes des enfants, sa veillée, sa messe de minuit et son réveillon.

Les croyances autour de la veille de Noël

Le loup-garou de Noël
Lo ramponòt o lop-garon

Les superstitions allaient bon train dans les temps anciens. Et la période de fin décembre s’y prête particulièrement : le solstice d’hiver, le retour à la lumière, Noël chrétien… Bref, le 24 décembre, dans les campagnes gasconnes, il s’en passait des choses !

Cette nuit-là, se libéraient les esprits. Des créatures infernales traversaient les champs, des fées descendaient par la cheminée… On nettoyait les étables et on donnait le soir une bonne ration de foin aux bœufs, car savez-vous que ces bêtes se parlaient cette nuit-là ? Et gare à l’inconscient qui cherchait à écouter, on en connait qui sont morts sur le champ !

En partant à la messe de minuit, on laissait quelques victuailles et la lampe à pétrole allumée pour que les âmes du purgatoire, qui avaient alors droit de sortie, puissent revenir chez elles l’espace de la messe. A Nadau cadun a l’ostau! A Noël chacun chez soi !

Las halhas de Nadau

La tòrela de Capbreton à Noël
La tòrela de Capbreton (YouTube)

Puisque la veille de Noël les êtres malfaisants comme los lops garons, se déchainaient, dans la partie occidentale de la Gascogne, on allumait un feu dans chaque maison. Ces milliers de feux répondaient aux étoiles du ciel. Faisant avec son flambeau le tour de la maison, on protégeait ainsi les récoltes, la fumée éloignant les mauvais esprits, voire les ennemis. Bien sûr, cela ne fonctionnait qu’accompagné d’une formule incantatoire. Philippe Cloutet nous en propose :

Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau,
La pola au topin,
Coratge vesin !
Halha Nadau,
La tripa au pau,
Lo gat au hum
Pum ! Pum !
Flambeau de Noël,
Le porc dans le sel,
La poule dans le pot,
Courage voisin !
Haille Noël,
Le boudin sur le pieu,
Le chat dans la fumée,
Pum ! Pum !

À Capbreton, un grand feu, le feu de la torèla est enflammé. Construit de pièces et de débris de bois entassés afin d’illuminer et de réchauffer les âmes en témoignant leur reconnaissance au Ciel.

Les quêtes de Noël

Lo pica-hòu des enfants à  Orthez (Sud-Ouest.fr 20.12.2013)

Dans certaines régions gasconnes, la veille de Noël, les enfants allaient frapper aux portes pour obtenir quelques friandises ? Cette coutume s’appelle pros en Chalosse, ahumas dans la région du gave d’Oloron, birondèu en Bigorre ou encore pica-hòu (pique-fou) du côté d’Orthez. Bien sûr, les enfants chantent (ici du côté d’Oloron) :

Ahùm, Ahumalhes,
Tripes et castagnes,
Bouharoc, coc, coc,
Poumes y esquilhots.
Ahum, ahumalhas,
Tripas e castanhas,
Boharòc, còc, còc,
Pomas i esquilhòts.
Enfumé, enfumées,
Boudin et châtaignes,
Véreux, coc, coc (peut-être gâteau ?)
pommes et noix.
(traduction du dictionnaire de Simin Palay)

Dans certaines contrées, les enfants n’allaient que dans les familles où il y avait un nouveau-né de moins d’un an. Et l’ethnologue et flokloriste Arnold Van Gennep (1873 – 1957) rapporte que des enfants à Tartas remerciaient les parents par ces paroles Que serà b’ròi, b’ròi / com un anheròt (Il sera beau, beau / comme un agneau) ou se moquaient si les parents n’avaient rien donné : Que serà lèd, lèd / Com lo carmalhèr (Il sera laid, laid / comme une crémaillère)

La bûche de Noël

Le 24, la veille de Noël, débutait la grande veillée et l’on déposait un soc (une bûche) ou un capçau dans l’âtre qui avait été choisi pour brûler doucement jusqu’au 1er de l’an. En Armagnac, on mettait la daube – du bœuf dans une sauce au vin rouge – à mijoter au coin du feu. Elle serait complétée par des saucisses grillées, puis des châtaignes grillées. Si la famille ne pouvait s’offrir un tel luxe, les voisins palliaient car tous faisaient la fête.

Ce soir-là, autour du feu, à la faveur des ombres projetées, on racontait des contes aux enfants, des histoires gentilles ou fantastiques. On chantait des nadalets jusqu’à l’heure de partir pour la messe de minuit, tout en faisant griller des châtaignes et en buvant du vin blanc. Puis, on chaussait los esclòps, on mettait un manteau bien chaud, on prenait la lanterne et on partait en chantant. En Ossau, Léopold Médan rapporte cette chanson des bergers :

Touts lous pastous
Cabbat las mountagnes
Y dap lous esclops
Qu’en hasen clic, clac, cloc,
clic, clac, cloc, clic, clac, cloc.
Qu’en hasen clic, clac, cloc !
Tots los pastors
Capvath las montanhas
I dab los esclòps
Que’n hasèn clic, clac, cloc,
clic, clac, cloc, clic, clac, cloc.
Que’n hasèn clic, clac, cloc !
Tous les bergers
Descendant les montagnes
Avec leurs sabots
Faisant clic, clac, cloc,
clic, clac, cloc, clic, clac, cloc.
Faisaient clic, clac, cloc !

Les pastorales de Noël

Noël se prépare. Aussi, neuf soirées à l’avance, les carillonneurs sonnent les cloches, las aubetas. Las pastoralas de Nadau quant à elles suivent une très vieille tradition de chants de Noël et de dialogues chantés par les personnages tels l’ange, les bergers, Joseph, Marie, les Rois Mages, sur fond sonore d’instruments traditionnels, en particulier la flûte à trois trous, le violon et la cornemuse ou « boha ».

Depuis 440, le 24 décembre, a lieu la messe de minuit. En Gascogne, on distribue un tròç de miche de maïs et d’anis au miel doré. Enfin les messes ! Car jusqu’au XIXe siècle, il y en a trois, la messe des Anges, la messe des Bergers et la messe du Verbe divin.

Le Noël des Bergers à Arcizan-Dessus
Le Noël des Bergers à Arcizan-Dessus (https://www.pyrenees-pireneus.com/)

Dans les années 1950, l’abbé Borie, curé d’Arras et d’Arcizans-Dessus, dit Lo Solèc (le Solitaire), décide de modifier la messe de minuit. En effet, si le texte est dit en latin et les chants en français, ses brebis se confessent en patois. Il décide alors de remettre à l’honneur de vieux cantiques, certains datant du XVe siècle, d’en composer des nouveaux, le tout en bigourdan. Il imagine, basé sur la messe des bergers, un rituel qui dépassera largement la petite commune. Des bergères chantent, réveillant ainsi des bergers qui sont accueillis par le curé et un agneau blanc. Et la messe commence avec les chants gascons.

De tous les cantiques, l’un en particulier conquerra toute la Gascogne :  Sonatz campanetas, tringlatz carilhons, sonatz las aubetas, cantatz angelos… (ici dans la version de la Chorale Ariélès)

Lo ressopet

L’estofat de Nadau en Gasconha

La messe est terminée ? La période de l’Avent, période de jeune, aussi. On va pouvoir faire bombance. On va pouvoir re-souper, ou ressopar. N’oublions pas que lo disnar c’est le repas de midi et lo sopar celui du soir. Et croyez qu’on ne va pas s’en priver ! Ce ressopar ou ressopet, repas qui marque la fin de la veillée de Noël, aujourd’hui le réveillon, tout le monde le fait. Et les personnes peu fortunées quémandent quelques victuailles pour pouvoir aussi le fêter. On mangera surtout de la viande.

Le gâteau, nommé bûche de Noël, est une création de fin XIXe siècle d’un pâtissier de Paris, Lyon ou Monaco (les avis sont divers). Il ne se répandra dans les régions qu’après la guerre de 1940 – 45.

Références

Tradition de Noël en Pays Basque et Gascogne, Alexandre de la Cerda, 2016
Le folklore : croyances et coutumes populaires en France, tome 1, volume 8. Tournées et chansons de quêtes, Arnold Van Gennep, . Paris, Stock, 1924.
Vieilles coutumes de Noël, Léopold Médan, IBG, lettre Janvier 2017
Lo hailla de Nadau ou hailhe de nadau : tradition de noël gasconne, Philippe Cloutet, Aquitaine on line, 1er décembre 2018
La messe des bergers d’Arcizan-Dessus, Pireneus