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Fables françaises et fables gasconnes

Fables - un loup transformé en moutonLes fables, un genre littéraire éternel ?

Certaines fables, fort célèbres, ont été reprises à plusieurs époques et dans plusieurs langues. Ne peuvent-elles nous faire apprécier ces diverses cultures ? Ainsi les fables d’Ésope, reprises par Jean de la Fontaine, puis reprises par un Gascon nous montrent l’enseignement du Grec, la poésie du Français, l’art du récit du Gascon.

Prenons La cigale et la fourmi, première fable du premier livre de La Fontaine, les trois versions peuvent être considérées comme une allégorie du travail et de la paresse. Pourtant, voici quelques différences.

La fable d’Ésope

C’est un court dialogue en prose exprimant de façon claire la morale de l’histoire. Effectivement, dans l’Antiquité, la cigale représente le poète insouciant. Ésope vise-t-il les artistes ?

La fable de La Fontaine

Elle met l’accent sur la poésie, avec des vers joliment tournés. Ainsi, elle est assez fantaisiste que ce soit dans la forme – les vers ondulent par leur longueur et leur rythme – ou dans le contenu, n’hésitant pas à quelques invraisemblances. En effet, une cigale ne mange ni mouche ni vermisseau. Les réactions à cette version montrent que la morale est moins évidente que dans la version d’Ésope. Rousseau, par exemple, quelques décennies après leur parution, disait que ce n’était pas une fable pour les enfants qui seraient trop enclins à imiter la cigale. 

La fable du Bigourdan Jules Portes

Elle est plus romantique – influence de l’époque probablement – et plus descriptive. On retrouvera ce souci de description chez d’autres auteurs gascons s’étant inspirés de La Fontaine. Peut-être pourrait-on dire que le réalisme et le pittoresque sont deux caractéristiques des récits gascons. Et c’est encore plus vrai dans Le corbeau et le renard, traduit par un Bayonnais du XVIIIe siècle. Le texte semble fait pour être conté.

Vous trouverez des informations plus précises dans la page, et ses documents associés, consacrée à La Fontaine traduit en gascon,
ainsi que La cigale et la fourmi, dans  la version originale en bigourdan de Jules Portes ici.

Le trois versions de La cigale et la fourmi

La cigale et la fourmi, dans les trois versions présentées en français pour favoriser la comparaison :

Esope

À l’époque de l’hiver, les blés ayant été mouillés, les Fourmis les faisaient sécher. Une Cigale qui avait faim leur demanda de quoi manger. Les Fourmis lui dirent : « Pourquoi en été n’as-tu pas amassé de quoi vivre ? » Elle leur répondit : « Je n’avais pas le temps, je chantais mélodieusement. » Alors les Fourmis, se mettant à rire, lui répliquèrent : « Eh bien ! puisque tu chantais en été, danse en hiver. »

Morale. Cette fable montre qu’il ne faut montrer de négligence en rien, afin d’éviter tout chagrin et tout danger.

La Fontaine

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva for dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »

 

Jules Portes

L’été s’en était allé
Avec l’automne doré,
Et nous avait laissé
Seulette dans son pré,
La cigale étonnée
De ne même plus trouver
Mouche ni ver à manger.
Il fallait
Pourtant vivre :
Et comment faire sans emprunter ?
La petite bête
Bien tristounette
Donc s’en va
La fourmi trouver,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’au printemps ;
Lui promettant que la première
Elle sera payée, sans faute…
Mais si on en croit l’histoire
Nulle fourmi n’a encore jamais prêté
Ce qu’à grand peine elle a amassé
Dans son humble demeure ;
Aussi celle-ci répondit
Sans y mettre de façon,
– Eh ! pauvre emprunteuse,
Tu empruntes de bonne heure ! …
Que faisais-tu au temps chaud
Au lieu de te chercher ce qu’il faut ?
– Au bord de la Baïse
En haut d’un aulne
Je chantais : n’es-tu bien aise ?
– Moi ? Fort aise ! …
Maintenant donc qu’il te plaise
De danser l’hiver.

Anne-Pierre Darrées