120 ans de promotion littéraire en Gascogne
En 1896 naissait après de nombreuses péripéties l’Escole Gastou-Fébus. Sa revue littéraire, la plus ancienne encore en activité de tout le sud de la France, continue à proposer des textes d’auteurs anciens et contemporains. Pour ses 120 ans, l’association Escòla Gaston Febus – Edicions & Revista Reclams publie deux tomes d’anthologie d’articles parus depuis la mort de son grand secretari en pè, Miquèu de Camelat.
L’enthousiasme de trois jeunes littéraires
Depuis 1877, les félibres et les cigaliers de Paris effectuent tous les ans un événement dans un coin du sud de la France. En août 1890, ils viennent à Agen, Auch, Tarbes, Pau, Oloron. C’est l’occasion de faire connaissance, d’écouter les primés des concours littéraires organisés, de s’éveiller, de se mobiliser.
Les lauréats déclament leurs poèmes. Un svelte jeune homme de dix-neuf ans monte le premier. Il a visiblement pris la résolution de ne pas avoir le trac devant tant de monde et il commence à déclamer sa légende pyrénéenne En grounh (Au foyer) ; mais bientôt sa voix s’étrangle et il faut l’encourager ; il arrive pourtant au bout et il disparaît aussitôt dans la foule, fuyant les félicitations. C’était Miquèu Camelat, premier prix de poésie. [Extrait de Prosateurs béarnais]
L’année suivante, Simin Palay, 17 ans, et deux camarades vont chez le lauréat Miquèu de Camelat. Là, en effet, commence la collaboration de deux passionnés de notre langue. Ils partagent l’envie de créer une école félibréenne.
De son côté, Pierre-Daniel Lafore, secrétaire de la mairie d’Orthez et lauréat d’un concours littéraire, a la même idée. Et sur le conseil de Pierre Bacquié-Fonade, trésorier de l’Escolo mondino (Toulouse), écrit aux deux compères. À eux trois, en 1895, ils se lancent et montent le projet. Nou bén abeyét, lou capdau que yessira d’Orthez, que sera Adrien Planté (ne vous en faites pas, le président sortira d’Orthez, ce sera Adrien Planté) précise Lafore. Planté accepte. Jusque là tout va bien…
Une création difficile
Nous sommes avant 1901 et sa loi sur les associations. Si en monter une est compliqué – Il faut des enquêtes, une autorisation préfectorale – monter une section régionale, pour toute la Gascogne, de l’association félibréenne existante, c’est simple. Il ne faut que sept signatures et adresser sa lettre de demande à la maintenance de Bordeaux. Mais…
Simin Palay fait son service militaire, il n’a pas le droit de signer. Il faut donc trouver quatre signataires supplémentaires. Et la galère commence. Tout le monde refuse. Camelat raconte que tout le monde avait des conseils à leur donner mais l’û non tienè quà ha obre bigourdane e de cap-sus encoère ! l’aute, gascòu de la mar, nou poudè senti lous biarnés…. (l’un ne tenait qu’à faire œuvre bigourdane et du sud encore ! l’autre, Gascon de la mer, ne pouvait sentir les Béarnais…) Bref, comme souvent en Gascogne, on parlait de division, de particularisme, de dissension. Impossible de s’accorder et de rassembler sept personnes autour de la promotion littéraire en langue régionale !!
Deux ans de ténacité
Au bout d’un an, deux instituteurs béarnais acceptent : Jean-Victor Lalanne et Jean Eyt. Finalement, il fallut faire appel à deux Toulousains, Pierre Bacquié-Fonade et l’écrivain Danton Cazelles pour compléter le groupe des signataires.
Lous sèt felibres aci capbath sinnats qu’an l’aunou de-p prega de da-us poudé d’abia ûe Escole entaus parsâs de Biarn, de Bigorre e de las Lannes.
Que-s mentabera l’Escole Gastou-Fébus. Aci que son yuntats lous estatuts amoullats p’ous sèt félibres. Lous sinatoris qu’an la hide que la loue demande que sera agradade per la maintenenci d’Aquitani. |
Les sept félibres soussignés ont l’honneur de vous prier de leur donner pouvoir d’ouvrir une École pour les régions de Béarn, de Bigorre et des Landes.
Elle s’appellera l’Escole Gastou-Fébus. Ci-joints les statuts écrits par les sept félibres. Les signataires espèrent que leur demande sera agréée par la maintenance d’Aquitaine. |
Les Bordelais mettront presque un an à répondre. Enfin, en octobre 1896, l’Escole est créée. Vastin Lespy accepte d’être président d’honneur mais noû credè qu’aquére maynade e seré û die maridère (non credè qu’aquera mainada e seré un dia maridèra), bref Lespy n’y croyait pas. Pourtant l’Escòla prendra un essor rapide et dépassera ses premiers objectifs.
Des œuvres littéraires magnifiques
Depuis 120 ans, environ 11 000 articles et 60 000 pages de la revue de l’Escòla, Reclams, parlent de la littérature en Béarn et Gascogne. Plus de 400 auteurs y ont contribué. Car l’Escòla propose à la fois une revue où se faire connaître et un lieu de perfectionnement de son écriture. Le jeune poète Jean-Baptiste Bégarie proposait ces textes et discutait avec Miquèu de Camelat ou Simin Palay.
En feuilletant ces revues, ne voit-on pas que la Gascogne a aussi une belle œuvre littéraire, avec de nombreux écrivains de grand talent ? Et, allez, nous ne sommes pas peu fiers de continuer à contribuer à cet élan magnifique initié par les sept félibres.
Les curieux pourront parcourir le numéro spécial de Reclams datant d’octobre 1997. Réalisé pour le centenaire de l’Escòla, ce 200 pages reprend quelques très beaux textes des plus anciens contributeurs. 25 grands noms de monde littéraire de notre région comme Simin Palay, Michel Camelat, Isidore Salles, Julien de Casabone, Césaire Daugé, etc.
On y trouve par exemple la très célèbre pièce de Palay, lo Franchimand et ces mots douloureux :
Non saberí pas díser la pena qui’m hè d’enténer ua mair, un pair o quan serà ua mair-bona, qui, per l’ordenari parlan « patuès » enter eths e per dehòra, servi’s deu francés quan devisan dab los petits. | Je ne saurais dire la peine que j’ai d’entendre une mère, un père ou même une grand-mère, qui, pour l’ordinaire parlent « patois » entre eux et pour l’extérieur, se servent du français pour parler aux enfants. |
L’anthologie des 120 ans
En 2018, Reclams a sorti deux numéros d’anthologie. 88 articles ont été sélectionnés pour se remémorer les dernières années de l’Escòla et de sa revue littéraire, en gros depuis le décès de son secrétaire en 1962. La revue débute, honneur oblige, par l’immense Camelat et sa poésie, Testament, suivie du fac-similé d’une lettre manuscrite de celui-ci à Simin Palay.
A côté des grands classiques comme Bernat Manciet ou de Roger Lapassada, on peut découvrir ou redécouvrir les nouveaux auteur(e)s. Car, bien sûr, comme dans tous pays et dans toutes langues, l’expression littéraire évolue avec la société. Et il y en a pour tous les goûts. On trouve des témoignages comme celui de Danèu Menjòt, Los chivaus e lo chocolat (sovièrs de presonèr), des poésies d’auteur(e)s comme A boca de nueit de la Marensine Estela Comellas ou Chegrin de Terèsa Pambrun, des extraits de roman ou des nouvelles comme Volusian Glandàs lo caçaire (recueil Manipòlis) de Joan-Luc Landi, des textes trufandèrs comme L’esbarrisclada de Jan-Loís Baradat, des essais, des articles d’information comme Lo miralhet deu net de Domenja Lekuona, etc. etc.
Vous aimez notre langue ? Comment ne pas trouver au moins un auteur, une œuvre qui vous séduise ?
Références
Les débuts de Reclams de Biarn e Gascougne, Jean-Marie Sarpoulet, 2005
Prosateurs béarnais, Paul Clavé, 1980
Reclams 1997 numèro especiau
Reclams n°845
Reclams n°846